Après Trois Mondes (2012 ), la réalisatrice de La nouvelle Eve (1999) revient sur les destinées féminines avec la rencontre de deux jeunes femmes d’horizons différents plongées au cœur des luttes féministes des années 1970 , et dont la concrétisation d’une forte liaison passionnelle, va les contraindre à affronter les intolérances et à faire des choix. Une belle et sensible étude des sentiments et des mœurs au cœur d’une France d’hier dont les mentalités vont, elles aussi, être bouleversées …

Dans le sillage dés événements de 1968, la société Française des années 1970, a vu naître de nombreux mouvements contestataires qui vont chercher à se sortir d’une société engoncée dans certains carcans rétrogrades qui enfermaient dans leurs codes, les libertés . Parmi ces mouvements le MLF ( mouvement de libertion de la femme ) est un de ceux qui a été au premier rang avec ses revendications sur la contraception , l’avortement , sur la liberté sexuelle et la dénonciation du machisme ambiant dont les effets continuaient de reléguer les femmes à des conditions subalternes , et dont les slogans « nos corps nous appartiennent » et chansons nées aux cœur des luttes mettaient en relief cette soif et quête de liberté , en détournant par exemple, les paroles de l’internationale en « c’est l’orgasme final » . Des slogans et refrains provocateurs dont les séquences des réunions de ces militantes , au début du film reflètent habilement par les affrontements entre les « pures et dures » et les plus « modérées » le « climat » d ‘un foisonnement d’idées , de revendications et des modalités d’actions provocatrices , destinées à « chahuter » les habitudes . Manifestations , tracts , interventions tous terrains et actions de perturbation , comme celle visant le « meeting facho » des opposants à l’avortement , ou encore cette autre , montrant l’intervention dans un asile psychiatrique pour y libérer un homosexuel ami de l’un des leurs , interné et destinée à y être soigné ( lobotomisé!) de sa prétendue déviance. C’est ainsi que , légalement, on traitait , alors , ceux dont l’orientation sexuelle était considérée par la normalité ambiante comme anormale , comme une maladie !. Catherine Corsini traite avec une belle justesse les scènes restituant les aspirations d’un rêve en marche pour conquérir certaines libertés nécessaires à l’épanouissement de la femme dans la société moderne . Si un grand pas a été fait , pour certaines de ces revendications – évoquant déjà la lutte contre la violence au sein du couple , le viol , l’égalité des salaires Hommes-femmes – le chemin à faire, reste encore d’actualité. Le miroir que renvoie le film , au travers du récit de la passion et du parcours de Delphine et Carole, est à ce titre , passionnant .

Et c’est d’ailleurs le choix assumé de la Cinéaste de vouloir , y faire écho , comme elle le souligne dans le dossier de presse du film « j’avais envie de rendre hommage aux femmes féministes qui ont été souvent vilipendées , traitées de mal baisées…moi même je n’ai pas été une très grande féministe pendant des années , je n’étais pas loin de partager cette image d’elles. Mais je me suis rendue compte que beaucoup des acquis sur lesquels je vis aujourd’hui, on les devait à ces femmes qui se sont battues, engagées , un grand nombre d’entre elles étaient homosexuelles . Grâce à ce mouvement, enfin, elles pouvaient faire entendre leurs voix. De fait les homosexuelles ont beaucoup fait pour l’émancipation des femmes en général . Il y avait une vitalité dans le mouvement féministe qui m’a immédiatement séduite (…) j’ai compris que le féminisme mettait l’humain au centre et ça a été le grand principe de l’écriture du film » , dit-elle . Une film et une écriture de récit, aboutissement d’un gros travail, enrichi , poursuit la cinéaste « par des entretiens de militantes de l’époque , de photos et documents et journaux d’alors , et aussi d’images dont celles de Carole Roussopoulos , la première cinéaste à avoir filmé la lutte des femmes et le premier défilé homosexuel en marge du rassemblement du 1er Mai 1970 . Elle était très proche de Delphine Syrig , elle a Co-réalisé avec elle des films militants jubilatoires . Ce sont elles qui m’ont donné l’envie d’appeler les héroines , Delphine et Carole » . Ce travail de documentation , comme le souci de rester dans le réalisme, écartant la tentation de « représentation » d’une mise en scène qui ferait courir le risque de dévier de l’approche vécue par ses héroïnes emportées par le tourbillon de quête de liberté. Catherine Corsini y inscrit – admirablement – le vécu des deux femmes, venues de milieu différents .

Au cœur de ces deux portrait sensibles , c’est aussi en effet , le regard sur deux mondes , celui de la province campagnarde et celui de la capitale ( et plus largement de la classe bourgeoise et intellectuelle des villes ) , que Catherine Corsini décrit le dilemme des choix de ses héroïnes devant en affronter, les tabous. Delphine ( Izia Higelin , remarquable et bluffante!) qui « monte » de sa province à la « capitale » pour s’émanciper des carcans familiaux et tenter de gagner une indépendance financière qui lui permettrait de vivre plus librement son homosexualité qu’elle a dû cacher dans un contexte provincial qui oblige au secret d’une vie privée dont la tonalité hors normes , n’ est pas acceptée. Un prétendant qui la courtise et un futur mariage dont les parents verraient d’un bon œil la concrétisation qui permettrait d’assurer la relève et la bonne marche , par la succession de la propriété familiale . C’est lors d’une assemblée générale du mouvement féministe en effervescence que Delphine va donc rencontrer , Carole ( Cécile De France , parfaite ) professeur , vivant en couple et qui se passionne par la lutte militante . La rencontre et l’attirance irrépressible qui s’installe très vite , va tout bouleverser . Carole qui voit son hétérosexualité remise en question ainsi que sa vie de couple normal dans la logique de laquelle elle était construite . Et Delphine libérée par le contexte d’un mouvement dans lequel elle se reconnaît , qui se lâche totalement. Les deux se laissent porter par la passion et cherchent à s’organiser une possible vie commune …

Lorsque Delphine , santé défaillante du père oblige , est rappelée au bercail pour s’occuper de la ferme avec sa mère , Carole finit par la rejoindre. C’est dans ce contexte que leur amour -passion, va être mis à l’épreuve . Habilement Catherine Corsini analyse les mécanismes du vécu d’une liaison dont le secret dans lequel elle est maintenue , voit les regards de la communauté campagnarde et les interrogations s’amplifier de plus en plus, au fil du temps …et de la présence de cette « amie » qui se prolonge . D’autant que le prétendant ( Kévin Azaïs ) voit ses avances rejetées! . La rumeur qui s’amplifie , les tensions qu’elle entraîne entre les deux compagnes … la cinéaste décrypte remarquablement au fil des scènes qui traduisent, le malaise qui s’installe. Comme celui d’une communauté dont les regards et les attitudes se font de plus en plus inquisiteurs et font mesurer le gouffre qui existe et le mur à vaincre pour y faire entrer certaines idées « impensables » d’une libéralisation féminine qu’illustre magnifiquement le personnage de la mère ( Noémie Lvosky ) de Delphine. On le mesure aussi , par les belles analyses faites par la cinéaste , des réactions des deux femmes . Celle de Carole l’intellectuelle qui a du mal à comprendre pourquoi Delphine n’arrive pas à concrétiser ses aspirations en action , et comme le préconise le combat féministe à franchir le pas de ce que l’on appelle aujourd’hui le « Coming out » . Et la Cinéaste fait une subtile et très juste analyse des raisons et du contexte qui expliquent que Delphine , ne peut franchir le pas ( la très belle scène de la gare ) dont l’élan, se retrouve bridé . Les choix à faire dans ce contexte ne peuvent qu’être douloureux qui disent combien de liaisons et de bonheurs possibles ont étés sacrifiés , sur l’autel de l’intolérance .

Celle dont Delphine et Carole ont cherché à briser les tabous dans la chaleur d’un bel été et d’une belle saison et sa lumière campagnarde ( superbement captée par Jeanne Lapoirie ), s’y laissant aller à leurs désirs et étreintes , loin de ces regards qui bientôt se feront réprobateurs d’un milieu rural que la Réalisatrice, qui a vécu en Corrèze , connaît bien. L’une et l’autre réagissant au poids de ces derniers par des choix qui se font le reflet d’un contexte d’éducation et de milieu social. C’est ce contraste là , qui permet à la cinéaste – en interrogeant ce que reflétait dans ses réflexes la société Giscardienne d’hier – d’interpeller celle d’ aujourd’hui, sur ceux qui se sont réveillés par exemple , lors du débat sur le » mariage pour tous ». Le beau final qui fait référence au long chemin à parcourir pour tenter de rester en cohérence avec soi, offre au récit sa vraie dimension , celle d’un combat pour la liberté et le droit à la différence sexuelle , pour lequel il ne faut jamais baisser la garde, contre les donneurs de leçons de vie , qui s’arrogent le droit de vouloir régir , celle des autres.
Et , mine de rien , c’est sur ce droit souvent bafoué du respect des choix de vie individuels, que le film nous amène à réfléchir, sur l’intolérance qu’il révèle d’une société…
(Etienne Ballérini)
LA BELLE SAISON de Catherine Corsini – 2015-
Avec : Cécile De France, Izia Higelin , Noémie Lvovsky , Kévin Azaïs , Laetitia Doesch, Benjamin Bellecour , Bruno Podalydès …
[…] « Après ces deux films d’époque où j’avais parlé du féminisme, de l’inceste (La Belle saison, Un amour impossible), je voulais faire un film résolument contemporain, qui prenne en compte ce […]