Après Barrage (2006) et Avant l’Aube (2012 ) le troisième film du jeune Cinéaste , confirme son intérêt pour les sujets à caractère social avec l’adaptation d’un fait divers qui pose le problème d’une communauté – un petit village Français ordinaire – qui va faire d’ un jeune homme perturbé aux comportements parfois inquiétants, son bouc- émissaire. Rejet de l’autre et du « différent », au cœur d’une fable naturaliste dérangeante qui n’hésite pas explorer les points de vues contraires pour mieux , y faire sourdre les mécanismes des peurs qui conduisent à l’intolérance. Fort et éfficace …à voir.

C’est au cœur de l’été d’un petit village de la France profonde plongé dans la chaleur caniculaire que le « coup de chaud » du titre , va donc se produire . Celle-ci , aidant – qui exacerbe encore un peu plus le climat délétère d’une période de crise pénalisant les finances publiques ( municipales ), et les revenus déjà modestes des agriculteurs , artisans et autres habitants du village – et attisant par là même, les rivalités de cohabitations et ( ou ) relationnelles qui en sont souvent le lot traditionnel , que résume très bien par exemple, la rivalité qui oppose Diane ( Carole Frank ) à son voisin agriculteur déjà le mieux loti du village, qui convoite ses terres. Tandis que s’ y ajoutent celles , plus intimes , des situations précaires personnelles et des douleurs et souffrances de chacun, dont les frustrations trop longtemps retenues sont parfois, des braises en sommeil, que le moindre souffle de perturbation ( de peur ) peut réveiller . Et dans le village la présence de Joseph ( Karim Leklou , superbe , une belle révélation ) , jeune trentenaire souffrant de débilité mineure dont les comportements parfois agressifs sont révélateurs de frustrations et signes d’une instabilité qui le conduit parfois à commettre des délits mineurs, en réponse à une forme rejet dont il souffre. Joseph, taciturne et maladroit ne sait pas ( plus ) comment s’y prendre pour se faire accepter . Lorsqu’il tente de rendre service ou aider il se voit essuyer un refus poli ou une prote se fermer , comme réponse aux maladresses commises jadis et qu’on lui renvoie …Même son meilleur copain du village l’évite « il est lourd » lorsqu’il s’agit de l’écarter des sorties en groupe où Joseph maladroit en voulant s’ y imposer , va multiplier les bourdes , et voir , ses frustrations trop longtemps étouffées se libérer sous l’effet de l’alcool , dans des actes provocateurs …

Deux agressions physiques dont une présumée ( sur la jeune Manon ) , un acte de sabotage ( la pompe à eau ) présumé, lui aussi …et voilà les conditions réunies , pour un point de non retour . Dès lors , le rejet de plus en plus mal ressenti par Joseph qui a voulu par ces actes manifester son mal être , va entraîner la cristallisation de la haine de celui-ci par une communauté , qui jusque là , s’était plus ou moins accommodée de sa présence encombrante et parfois agressive. C’est cette analyse là ( déjà abordée dans le cadre d’un cercle plus restreint dans Avant l’Aube ) , celle d ‘une situation qui se dérègle et qui se cristallise en rejet définitif pouvant conduire aux pires excès , dont Raphaël Jacoulot, tente , ici , encore à approfondir les mécanismes et à les analyser , habilement, en cherchant à traduire le ressenti des deux camps comme reflet d ‘un état des lieux, dont il interpelle les réflexes qui peuvent entraîner au pire . Portrait d’une société malade d’une crise dont les réflexes d’enfermement sur soi, se cristallisent en rejet de l’autre . Et aussi questionnement sur des structures de société ( structures sociales , justice , police ..) qui se retrouvent mises sur la sellette . Comme l’illustrent ces phrases devenues des leitmotivs sécuritaires bien connus « il met le village en danger , et on ne fait rien ! » et entraînent les réflexes poujadistes d’une demande dont se fait le reflet , en réaction , une certaine forme de « justice » communautaire, au goût le plus rance! .

Dans cette posture le personnage de Diane ( Carole Frank ) qui l’incarne , est étonnante dans les raisons évoquées et par la manière, poujadiste, de le faire . Et Raphaël Jacoulot à la fois dans se choix de mise en scène , comme dans ceux du choix des comédiens ( un casting impeccable ) et d’une atmosphère révélatrice d’un « climax » ( état des lieux) impulsé par la matière ( documentaire ) d’une fait divers , y trouve son écho efficace par sa « radiographie » des mécanismes d’un récit , dont il révèle au cœur de la forme d’un polar-social , les effets de ce qu’une société malade et en crise, peut faire rejaillir comme pires réflexes de sa propre maladie dont elle renvoie , la faute et la culpabilité de ses maux sur l’autre. Ce différent qui ne veut pas se plier aux règles et aux lois , comme ce Joseph malade souffrant de « débilité débonnaire et affective » ( selon des experts médicaux et psychiatriques) , dont le cinéaste construit un portrait, qui refuse de verser dans la simplicité qui réduirait l’impact de son récit » il n’était pas question d’en faire un personnage sans ambiguïtés, sa différence peut faire peur . Mais je tenais à ce qu’il soit émouvant par rapport à la violence qu’on lui fait subir. Jospeh a trente ans, mais fonctionne comme un ado tourmenté de quinze ans. On lui refuse , l’affection mais aussi la sexualité , et cette frustration l’agite (…) . Diane s’énervant sur Joseph , je la comprends, il peut être totalement insupportable ! . on a voulu aussi se situer dans le regard et le ressenti des villageois , y compris lorsqu’ils dérapent , afin de comprendre comment le mécanisme se met en place . Et comment cette ronde d’individus finit par former un collectif' », ,explique le cinéaste dans le Dossier de presse du Film.

Et c’est cette approche, qui fait la richesse et la force de son film, dont la dramaturgie se retrouve renforcée dans les thématiques qu’il aborde comme dans le constat qu’il en fait . Interpellant le spectateur qui se retrouve lui- même confronté par la construction en éllipses du récit , à se questionner non seulement sur le comportement de la communauté et de cette rumeur assassine qu’elle répand sur Jospeh dont le cinéaste, appelle le spectateur également, à s’interroger sur les comportements violents de ce dernier, résultante d’un engrenage de tensions , dont Joseph il sera la victime désignée . Comme le souligne d’emblée la première séquence du film qui s’ouvre par le flash-back d’une scène de la violence qui lui est faite et annonciatrice d’un sombre constat, qui va trouer un écho d’espoir dans le superbe et beau final , celui de la scène réunissant la famille de Joseph et les adolescents du village, apportant l’apaisement nécessaire d’une forme de compréhension et de solidarité nécessaire, pour éloigner les ombres nauséabondes du pire. Celles , dont le spectre auquel les habitants du village vont être confrontés, au moment de l’enquête qui leur permettra de mesurer les conséquences de leurs comportements . Des comportements auxquels le cinéaste offre à la communauté du village , la dimension de microcosme révélateur d’un constat qu’il élargit à celui d’une société ( Française ) toute entière , qui pourrait être tentée par les mêmes démons , à franchir la même ligne rouge …
La force du film – et l’efficacité de sa démonstration- est là , dans la conduite d’un récit exemplaire ( qui n’hésite pas à interpeller le spectateur souvent mal à l’aise ) , dont on a souligné, la belle et forte idée sur laquelle le cinéaste s’est appuyé d’une analyse des mécanismes qui peuvent conduire, au point de non retour … On vous invite dans la chaleur de cet été , à aller découvrir le regard interrogateur d’un cinéaste qui nous incite -avec talent- à une forme de cohabitation citoyenne responsable , et respectueuse de l’autre. Un message qui ne peut pas faire de mal …
( Etienne Ballérini)
COUP DE CHAUD de Raphaël Jacoulot -2015-
Avec : Jean-Pierre Darroussin, Grégory Gadebois , Karim Leklou, Carole Frank , Isabelle Sadoyan ,Serra Yilmaz…