Après Francès Ha , le cinéaste nous propose une nouvelle plongée dans l’Univers artistique New-Yorkais de Brooklyn, autour de la rencontre d’un couple de Quadras et d’un jeune couple branché opportuniste et manipulateur . Une comédie inter- générationnelle qui égratigne les clichés sur la modernité , en même temps qu’elle pose une réflexion sur le couple , le temps qui passe, les changements de mentalités et les rivalités …et pose aussi une réflexion sur la création.

Josh ( Ben Stiller ) et Cornélia ( Naomi Watts ) la quarantaine passée ont traversé leur vie bohème dans le quartier de Brooklyn en couple heureux dont le seul bémol est de n’avoir pu avoir d’enfants. Lui ,est documentariste méticuleux en même temps que très attaché à une certaine éthique, admirateur des grands documentaristes qui l’ont précédé ( il évoque Mekas, les frères Mayles , D.A Pennebaker, Robert Kramer, Shirley Clarke … mais aussi Jean- Luc Godard) , ) qui ont été les précurseurs d’un certain cinéma Underground et ( ou ) avant-gardiste dont il revendique de continuer la flamme. Et, Elle , elle officie essentiellement pour son père ( Charles Grodin ) cinéaste de renom dont on est en train de monter la cérémonie destinée à célébrer son œuvre révolutionnaire . Et c’est lui d’ailleurs, qui, en patriarche dans cette confrontation des deux couples, apportera le regard distancié d’une crise existentielle et générationnelle qui finalement a toujours été au fil des siècles un sujet de conflits , et reflétant les thèmes intemporels évoqués dans le film. En ce sens ,la première séquence du film fait d’ailleurs référence par une citation à la pièce de Solness le Constructeur d’Ibsen ( 1873) qui évoque le personnage d’un architecte qui se sent dépassé par les nouvelles générations. Et c’est donc, ici , le jeune couple libre et spontané formé par Jamie ( Adam Driver) et Darby ( Amanda Seyfried ) , jeunes « hipsters » dont le look rétro ( ils collectionnent les vinyles , VHS , machine à écrire …et autres objets , ils ont leurs propres règles morales ) fascine, Josh et Cornélia « quadras » empêtrés dans le modernisme des nouvelles technologies qu’ils ne maîtrisent pas, mais s’obstinent à vouloir le faire . Le cinéaste explique : « Jamie et Derby leur permettent de renouer avec les émotions de leur jeunesse , Josh et Cornélia ont sombré dans la routine, alors que le jeune couple vit sa vie , comme si c’était un art n soi : ils sont constamment en mouvement, s’engagent dans de multiples activités comme si rien ne pouvait les arrêter. C’est irrésistible pour Josh et Cornélia » dit-il .

Et dès lors, cette rencontre qui se produit à l’issue d’un cours donné par Josh , où le jeune couple vient lui confier son admiration pour son travail, va déclencher au fil des retrouvailles une « intimité » qui a le don, à la fois de sortir Josh et Cornélia de leur routine , mais en même temps de stimuler la créativité de Josh dont Jamie ( qui est lui aussi documentariste ) va devenir une source d’inspiration par la manière qu’il a d’aborder ou savoir détourner les difficultés . De fait Jamie , est le reflet de Josh jeune , il est prêt à tout tenter pour réussir …cette réussite qui a fui Josh qui patauge aujourd’hui, dans son travail de montage. Revigoré il va suivre avec Cornélia , le jeune couple dans l’aventure et les expériences . Josh et Cornelia sont portés par cette nouvelle euphorie jusqu’à en oublier leurs amis, et se laisser embarquer dans un tourbillon de jeunisme et d’expériences branchées . Le recyclage ( « tout a déjà été inventé »… et se trouve à disposition sur internet ) qui est devenu le leitmotiv créatif de Jamie, ils s’y laissent piéger et entraîner par le tourbillon d’une intimité, qui se matérialisme dans le mimétisme du look « cool » vestimentaire ( le chapeau) avec lequel Josh imite Jamie , et qui va trouver son apothéose dans la séquence d’anthologie de la cérémonie « Chamanique Amazonienne » hallucinée, dans laquelle ils suivent leurs jeunes amis !. Au sortir de celle-ci , et des autres péripéties dans lesquelles Jamie implique Josh , il y aura la découverte de ce dernier, par le biais du visionnage et du montage de séquences tournées ensemble, de l’opportunisme manipulateur dans lequel il s’est laisser piéger par Jamie , qui – en la circonstance- finit par révéler son vrai visage. Celui de ce que Josh , le puriste , déteste le plus : un faussaire qui n’hésite pas à manipuler la vérité ( les images ) , celle là même que le documentaire art du vrai et du réalisme, ne peut pas se permettre de « manipuler ».

Dès lors la fracture inévitable d’ une cohabitation stimulante, va se transformer en une rivalité et confrontation révélatrice du fossé des générations et surtout , des valeurs morales qui s’y attachent . Sujet au cœur de l’oeuvre du réalisateur , qui déjà avec Les Berkhman se séparent ( 2005 ) analysait le fossé relationnel qui se creusait entre les enfants d’un couple que la crise de l’âge adulte conduisait à la séparation . De la même manière que ses films suivants ( Greenberg / 2010, Frances Ha / 2012) sur une certaine jeunesse confrontée à des choix qui doivent lui permettre de franchir la barrière de la maturité dans une société où tout le monde se réfugie derrière une certaine uniformité, tout en cherchant à cultiver sa propre différence.
Le fossé générationnel dans lequel chacun cherchait à composer avec des ambiguïtés salvatrices ou par des échappatoires, trouve ici son écho, lorsque les motivations véritables de Jamie éclatent au grand jour et qu’il manipule, guidé par sa seule ambition, Josh sans aucun scrupule. Dès lors, il ne peut plus y avoir place pour une relation sereine, tant sur le plan relationnel et amical que sur le plan de la collaboration artistique, celle-ci étant faussée par un cynisme qui ne peut pas ( plus ) se satisfaire des faux -semblants. Mais l’habileté de Noah Baumbach est de ne pas prendre parti et condamner l’un ou l’autre, conscient que l’évolution de la société impacte, les attitudes comportementales , comme il le souligne « que cela nous plaise ou non , le cinéma, la musique ont étés irrémédiablement altérés par l’invasion des appareils numériques . Manipulations des contenus , frontières brouillées entre Art, Commerce, et projets participatifs sont devenus la norme. Et si les formes artistiques changent, les codes moraux à la base de la création font de même » , dit-il.

Dans cette perspective, son film est conçu comme une « comédie de mœurs vue au prisme des révolutions culturelles du XXI ème siècle », et la belle idée du cinéaste c’est de l’inscrire dans la tradition d’un film qui s’inscrit dans la lignée des comédies populaires des années 1970/ 80 , dont il revendique la parenté des cinéastes ( James L.Brooks, Sydney Pollack, Woody Allen , Mike Nichols.. .) , dont les films savaient traiter des sujets de société forts , et parfois sensibles comme par exemple le Tootsie de Sydney Pollack , tout en restant dans la légèreté d’un traitement de genre sophistiqué qui permet de faire passer une certaine gravité du propos . C’est ce qu’il réussit, ici ; avec une jolie maîtrise dans la tonalité du récit qui offre au « duel » entre Jamie et Josh , sa double dimension superbement servie par un Ben Stiller ( Josh) en cinéaste pur et dur qui a souffert de la non- reconnaissance , et un Adam Driver ( Jamie ) opportuniste et manipulateur qui est prêt à tout pour la conquérir au plus vite !. Et la scène finale d’un bambin utilisant son smartphone avec une étonnante dextérité , elle, apporte au récit une ultime touche amusante sur ce que peut réserver le futur sur la question du fossé des générations !.
On laissera à Naomi Watts ( remarquable , ici encore ), les mots de la fin , exprimant dans le dossier de presse sa perception personnelle sur le sujet « dans le film les personnages nous semblent familiers , mais leurs actes disent aussi des choses originales sur l’ambition, le mariag , les tensions entre les générations et les amitiés décalées ; Ce que montre Noah Baumbach dans le film , je l’ai observé autour de moi à travers la manière dont les relations humaines ont évolué . Il a mis le doigt avec délicatesse et drôlerie sur ce qui nous interpelle lorsqu’on est adulte « suis-je devenu quelqu’un d’authentique ou un imposteur ? , est-ce que je dois me réinventer ? ».
While We’re Young , est une belle comédie, sur le monde de l’intime, de la création et de la culture, comme il va …
(Etienne Ballérini)
WHILE WE’RE YOUNG de Noah Baumbach -20156
Avec : Ben stller , Naomi Watts, Adam driver , Amanda Seufield, Charles Grodin…