Après le très réussi premier film Adieu Gary ( 2009) au climat poético-fantastique , avec son second long métrage le cinéaste d’origine Algérienne nous plonge dans la communauté Kabyle de Barbès où un jeune homme tente de s’affranchir des souvenirs d’une enfance douloureuse et des contraintes des traditions communautaires pour trouver le chemin de sa propre liberté . Un joli film sensible sur les angoisses, la quête d’amour , les désirs , l’inconscient, l’ambiguïté et les choix de vie à faire …

D’emblée c’est une voix -off ( celle du narrateur, de ses mémoires ? ) qui nous interpelle et nous ramène à ses origines , la Kabylie , d’une terre et de l’histoire d ‘un peuple dont l’insoumission et la résistance remonte à la période de la conquête romaine qui l’a fait se réfugier dans les montagnes pour s’y protéger et y forger au fil des siècle une forme de vie communautaire qui ont inspiré Karl Marx dont une scène du film cite en référence le livre « lettres d’Algérie et de la côte d’azur ». Ce prologue se poursuit avec l’indication du narrateur qui revient à un présent récent et explique que le système communautaire à su s’adapter avec ses traditions « fonctionnant comme une sorte d’entreprise moderne » protégeant ses intérêts . On va entrer dès lors dans le vif du sujet dans le Barbès d’aujourd’hui où vit Samir ( Nassim Amaouche , aussi devant la caméra ) à l’écart d’une communauté pour des raisons familiales qui l’on vu séparé de son père et qui a vécu avec une mère aimante et aimée, dont il doit aujourd’hui faire face à la perte . Lors de l’enterrement de celle-ci , au loin et à l’écart dans le cimetière , la silhouette d’un homme inconnu ( Djémel Barek ) dont il croise le regard , et dont il va découvrir qu’il s’agit de son père . Dès lors, la rencontre révélant que sa présence n’était pas fortuite au obsèques de la mère, ce dernier cherchant en réalité son fils aîné , Samir, pour tenter de résoudre une affaire de vente des biens familiaux dont la présence de ce dernier , héritier légitime, est nécessaire pour valider la transaction par le vote et la décision de la communauté…

Le film s’inscrit dans la continuité des recherches stylistiques, formelles et de récit de Nassim Amaouche , inscrites déjà dans Adieu Gary, où il s’amusait avec les codes du western , autour d’un décor d’usine et d’un ado qui fantasmait que Gary Gooper, et y faisait jeu de miroir avec un quotidien moderne dont certaines valeurs ( virilité , loi du plus fort ) sont encore glorifiées … on retrouve , ici , la volonté d’inscrire au cœur de ces recherches , un autre décor et une autre histoire , elle aussi symbolique , comme le laisse entendre , le cinéaste dans le dossier de presse « je voulais cette fois-ci , aller de l’autre côté … celui des indiens que l’histoire place dans le camp des vaincus , des faibles …ceux dont les murmures sont étouffés par les bruits environnants . Ceux qui doutent (…) le titre fait aussi un clin-d’oeil aux apaches de Belleville du Siècle dernier , ils n’ont pas disparu si l’on sait bien regarder », dit-il . Et Samir est cet « apache » , cet homme qui dévoile son intimité et ses incertitudes les plus profondes dans la quête de son identité confrontée au réel de la collectivité de laquelle il a été éloigné et pourtant à laquelle, de par sa filiation , il appartient et qui cherche à le récupérer . IL s’y laissera guider, s’y engouffrer à sa guise . Et c’est à une approche passionnante de celle-ci dans laquelle le cinéaste nous entraîne par le biais d’un récit qui juxtapose les personnages au gré de l’imagination de Samir faisant face au réel ( à la vie ) et aux angoisses des choix auxquels il va être confronté et s’y projette, en reflet-miroir éclaté de la confusion qu’ils lui renvoient . Ainsi la mère aimée et aimante des souvenirs de l’enfance renvoie à la cette jeune femme, Jeanne ( Laetitia Casta ) d’aujourd’hui reproduisant cet amour désiré qui se ferait libérateur. De la même manière que la juxtaposition de Samir enfant devenu adulte, est symbolisée par la magnifique scène de leur rencontre nocturne sur le toit de l’immeuble …

L’enfant et le père , la mère et l’épouse , se juxtaposent et se confondent dans le même jeu de miroir qui renvoie la confrontation de l’individu au collectif de la tradition . C’est au cœur de cette juxtaposition-affrontement que Samir va pouvoir s’affranchir , malgré ( ou grâce …) au médiateur – autre belle idée – incarné par l’avocat subtil et retors ( André Dussollier ) défenseur des droits de la communauté. Le choix formel de cette juxtaposition voulu par le cinéaste apporte – de surcroît – la note forte qui renvoie au questionnement de l’identité de chacun et de son façonnement , dont il explique sa volonté de mettre en avant l’idée de reproduction comportementale « j’ai voulu faire un film sur la reproduction humaine . Sur la reproduction de l’espèce d’abord, au sens primaire , avec les pulsions , les désirs comme point de départ , mais aussi sur la reproduction comportementale qui l’accompagne invariablement. On reproduit toujours une façon d’aimer, d’éduquer , de se comporter … souvent malgré nous, d’ailleurs. C’est pour cela que j’ai nourri volontairement cette confusion identitaire ( et temporelle ) entre ces personnages . L’enfant Samir et son père connaissent , on connu ou vont connaître les mêmes questionnements , les mêmes obstacles à surmonter , les mêmes peurs à des moments de leurs vies (…) j’ai juxtaposé les personnages comme dans un collage, c’est ce que le cinéma permet de merveilleux », dit-il, y ajoutant , la référence volontaire , à propos de l’enfant et du père référence volontaire , à ;« celle du triptyque de F. Bacon avec à gauche un enfant de trois-quart dos, au centre un jeune homme de profil, et sur le fronton de droite un vieillard peint de face. La vie d’un homme qui vieillit sous nos yeux… ». Et , ici c’est Samir , qui , sous nos yeux tente de construire l’itinéraire qui va lui permettre de conquérir son indépendance .

Et dans ce cadre , ce sont les choix formels assumés de mise en scène qui font le prix du film et offrent à la fois la dimension forte aux personnages en même temps que leurs fragilités qui en traduisent l’ intimité profonde , reflet d’un état « comme si l’on était dans un rêve ou dans une méditation personnelle » , explique le cinéaste qui cite en référence l’approche littéraire Sud-Américaine du mouvement du réalisme magique incarné par Borgès et Cassarès. Dès lors, son exploration du réalisme ( les scènes de la communauté et des rapports de force et de clans qui s’y jouent , comme des trafics qui la font vivre …) et celle de la poésie et de la dimension fantastique ( comme dans Adieu Gary ) qui habite le récit , donne une dimension complexe aux personnages et aux événements ; de la même manière que chaque détail , chaque geste , chaque attitude , chaque regard … sont remplis d’une dimension où le réel et l’imaginaire s’entrechoquent ( la superbe scène de la visite nocturne du jardin japonais …) , grâce à un beau travail d’éclairage et de cadrage qui sert admirablement le monde de l’intime et celui du réalisme qui lui fait écho . C’est aussi dans cette juxtaposition qu’est la réussite du film qui contrairement à ce que l’on pourrait redouter des choix formels dans lesquels il s’inscrit , y trouve en fait son « éclairage intime » sublimé par la simplicité avec laquelle la narration fait s’y intégrer le spectateur, comme un témoin privilégié….
Vous l’avez compris , on a beaucoup aimé l’approche sensible et complexe d’une intimité et d’un univers qui nous renvoie en miroir certaines de nos inquiétudes et autres interrogations qui nous croisent sur le chemin de nos vies et auxquelles nous devons faire face . En ce sens le film de Nessim Amaouche nous touche au plus profond parce qu’il nous renvoie et nous confronte à l’image de nous mêmes , de nos contradictions , de nos peurs , de nos désirs, de nos rêves…et ce besoin de liberté de choisir sa propre route hors de toutes contraintes …
(Etienne Ballérini)
DES APACHES de Nassim Amaouche -2015-
Avec : Laetitia Casta , Nassim Amaouche , André Dussollier, Djemel Barek , Alexis Clergeon ….