Le cinéaste Andreï Kontchalovski (Sibériade, Maria’s Lovers, Riaba ma poule) semblait avoir disparu du paysage cinématographique. Accaparé pendant plusieurs années par la mise en scène, à l’opéra et au théâtre, et la production et réalisation de documentaires, il effectue un grand retour au cinéma avec Les Nuits blanches du facteur, qui lui a valu le Lion d’Argent à la Mostra de Venise 2014.
Il y a 50 ans, en 1965, Le Premier maître, le premier long métrage d’Andreï Kontchalovski, alors âgé de 28 ans, sortait en URSS. Que de chemin parcouru depuis cette année-là par ce grand cinéaste qui a connu la Russie soviétique, l’exil à Hollywood, puis la Russie après l’effondrement de l’URSS. Si son parcours est riche de films mémorables, comme Le Bonheur d’Assia, Sibériade, Maria’s Lovers ou Riaba ma poule, on l’avait un peu perdu de vue ces dernières années. Malgré la sortie, quasi confidentielle, en France, en 2009, de Gloss, les souvenirs remontent à 2003 avec La Maison de fous, un récit tragi-comique sur la guerre en Tchétchénie, fort justement récompensé par un Prix spécial du Jury au Festival de Venise à la fin de l’été 2002. Andrei Kontchalovski n’a pas cessé de travailler pour autant, mais il s’est souvent consacré à la production et à la réalisation de documentaires ainsi qu’à la mise en scène d’opéras et de pièces de théâtre. Il revient au cinéma avec Les Nuits blanches du facteur, pour lequel il a été récompensé du Lion d’Argent à la Mostra de Venise 2014 et qui marque une nouvelle étape dans sa carrière.

L’idée du film est née de la lecture d’un article sur internet consacré aux facteurs dans les provinces russes. Au cours des 5 dernières années le nombre de villages était passé de 51.000 à 34.000. Beaucoup comptaient à peine 10 habitants. Du fait de l’éloignement des villes et de la mauvaise qualité du réseau routier, les habitants ne peuvent facilement être en contact avec l’administration et les services publics. Souvent dans ces régions, le facteur est le seul représentant de l’Etat. Le réalisateur a alors décidé de raconter la vie de l’un d’entre eux dans un coin perdu de Russie, Aleksey Triapitsyn, dit Lyokha. Presque quotidiennement, il parcourt le lac à bord de son bateau. Il est le principal relais entre la population, quasiment livrée à elle-même, et le monde extérieur. Il est conscient de sa tache et, malgré les difficultés, il ne baisse pas les bras. Comme il le déclare, il savait : « que plus personne n’écrirait avec le téléphone (…) et que plus personne n’écrirait avec internet (…) » mais, heureusement : « on n’envoie pas du pain par e-mail». Quand il n’y a pas de lettre ou de mandat, il apporte de la nourriture, des médicaments ou des outils. Il n’y est pas obligé, cependant il le fait pour rendre service. On l’invite même pour prendre un verre ou engager la conversation, simplement pour briser la solitude. Mais, lucide, il constate aussi : « quand il n’y aura plus de poste, ce sera la fin du village ». Ce jour arrive peut-être plus vite que prévu, quand on lui vole le moteur de sa barque et que personne ne veut rien savoir (ou voir), puis, quand Irina, la femme qu’il aime décide de changer de vie.

Dans ses œuvres précédentes, comme Le Premier maître, Le Bonheur d’Assia, Sibériade ou Riaba ma poule, le monde rural était déjà le décor principal. S’il s’agit, cette fois d’une production à très petit budget, c’est surtout la démarche d’Andreï Kontchalovski qui est . En effet, ce nouveau long métrage est à la fois un documentaire et une fiction, sans que la frontière entre les deux soit délimitée avec précision. Après un travail de recherche, il a posé sa caméra sur les bords de l’immense lac Kenozero, dans des villages de la province d’Arkhangelsk, à près 1000 km au nord de Moscou. Il a alors filmé le quotidien de ces habitants coupés du monde. Les villageois vont devenir les acteurs et jouer leur propre rôle. A une exception près, Irina, jouée par Irina Ermolova, une comédienne de théâtre, les interprètes n’avaient jamais eu d’expériences théâtrale ou cinématographique. C’est l’occasion de souligner combien le choix d’ Aleksey Triapitsyn, réellement facteur de son état, s’est avéré des plus judicieux. De par son prestation, son naturel, mais aussi par sa présence physique, il porte en partie le film sur les épaules.

Le scénario a commencé à prendre forme pendant le tournage, mais il a surtout été « écrit » au cours du montage. Il convient de saluer le remarquable travail d’orfèvre effectué au cours de cette étape pour assembler ces fragments de vies quotidiennes, les différentes pièces d’un puzzle dont on n’a au départ qu’une vague idée de ce que sera le résultat final. On pourra objecter, qu’au final, il se réduit à deux ou trois lignes et qu’il ne raconte pas grand chose. Est-ce obligatoirement un défaut ? On ne peut alors s’empêcher de penser à celui du magnifique Urga, Lion d’or de la Mostra de Venise en 1991 et réalisé par Nikita Mikhalkov, qui n’est autre que le frère d’Andrei Kontchalovski. Le sujet, lui aussi, se résumait en quelques phrases. Les deux films ont d’ailleurs en commun, leur style documentaire, la particularité d’avoir été tournés en majorité avec des non-professionnels et une bande originale signée Edouard Artemiev, le compositeur du grand Andrei Tarkovski. Dans un entretien accordé au magazine russe Ogoniok en septembre 2014, le cinéaste répondait à cette question qui revenait souvent : « pourquoi faire un film sur un sujet aussi insignifiant ? J’ai toujours été inspiré par deux maîtres : Tchekhov et Robert Bresson. Travailler avec des gens réels ouvre à l’inconnu, l’inattendu. On retrouve les trois registres des émotions humaines, la peur, le rire et les larmes. Ce sont les fondements de mon cinéma, comme les trois masques de la tragédie grecque ». Puis, de préciser par ailleurs : « l’histoire est assez simple, mais comme on dit il n’y a pas d’histoire ennuyeuse, c’est la façon de les raconter qui peut être ennuyeuse ».
Comme en attestent à elles-seules, les très belles images de paysages d’Aleksander Simonov, accompagnées de la musique lyrique d’Edouard Artemiev, Les Nuits blanches du facteur nous plonge dans un cinéma contemplatif où l’action est secondaire. Rien d’ennuyeux donc, mais il faut le savoir par avance. Quant à y voir en filigrane un constat amer voire une critique de la société russe actuelle, un peu comme l’a fait d’Andreï Zviaguintsev dans Léviathan, où il est également fait allusion à la perte des valeurs morales et à la corruption, c’est aller un peu vite en besogne.
Cependant, une chose est acquise, le nouveau film d’Andrei Kontchalovski est à découvrir au plus vite.
Les Nuits blanches du facteur (Belye nochi pochtalona Alekseya Tryapitsyna ) – Russie – 2014 – 101 minutes) d’Andreï Kontchalovski avec, Aleksey Triapitsyn, Irina Ermolova, Timur Bondarenko, Viktor Kolobov.
Philippe Descottes
[…] directeur de la photographie Aleksander Simonov (chef opérateur sur ses deux précédents films, Les Nuits blanches du facteur et Paradis, l’un et l’autre Lion d’argent à la Mostra de Venise) déjà […]