Après la réalité des prisons de César Doit mourir (2012) , les cinéastes Italiens se penchent sur le passé , Le XIVème siècle et la littérature, avec ces contes italiens inspirés du célèbre Décameron de Giovanni Boccace ,considéré comme l’écrivain fondateur de la littérature italienne. La tonalité de la Comédie et de la tragédie s ‘y croise au long des cinq récits, portés par la beauté des paysages et , celle , picturale des scène de groupe…

Trois garçons et sept filles qui ont fui la Peste dévastatrice qui sévit dans la ville de Florence en 1348 , pour se réfugier à la Campagne où , pour passer le temps chacun va être chargé de raconter une histoire qui permette de faire passer le temps plus agréablement et oublier la dure réalité de l’épidémie qu’ils ont fuie. Dans ce contexte de la villa de la campagne Toscane qui les abrite , les récits destinés à apporter un peu d’espérance et d’utopie se distillent , autour de la vie, l’amour et la Mort. Porteurs aussi de cet espoir de la jeunesse dans la vie et le futur , envers et contre tout ce qui voudrait lui barrer la route … et c’est, remplis de cet espoir retrouvé qu’après un bain de pluie collectif ils pourront de nouveau , s’en retrourner vers la ville dévastée pour y construire avec une force nouvelle, leur avenir . Cette scène finale fait admirablement écho à l’espoir retrouvé, à celle sombre qui ouvre le film avec le suicide du jeune pestiféré qui se jette dans le vide du sommet du Campanile du Giotto . On retrouve dans ces deux séquences, et dans les autres que la mise en scène ces frères itaiens construit , tout ce qui au fil du temps et des films a fait la spécificité de leur cinéma , en constante intérrogation sur le monde . Un cinéma faisant s’entrechoquer les époques pour y intégrer une réflexion en miroir sur la société d’aujourd’hui , comme dans César doit mourir, où la représentation théâtrale que le détenus ont accepté de jouer guidés par un metteur en scène , du Jules César de Shakespeare , renvoie , aux détenus du quartier de haute sécurité de La prison de Rebbibia à Rome , le miroir de leur propre condition.

Dans la villa-refuge , si les conditions ne sont pas le mêmes , les garçons et les filles qui ont fui Florence pour se mettre à l’abri de la Peste, se retrouvent moralement dans une situation qui les contraint à chercher dans un monde qui semble s’écrouler, les raisons de s’accrocher à la vie que raniment en eux , les magnifiques paysages de la Toscane où les frères cinéastes ont écrit quelques -unes des plus belles pages ( Le pré , La Nuit de San Lorenzo, Fiorile …) de leur filmographie . Magnifique, est en effet ici encore, l’utilisation de ces paysages Toscans où les garçons et les filles, s’y inscrivent au cœur et dans la sérénité qui précède leurs récits respectifs, laissant ensuite éclater leurs réactions . Réunis en groupe au cœur de cette nature qu’ils investissent , assis dans l’herbe ou autour d’une table et d’un repas campagnard auquel chacun a participé à la préparation , ils goûtent cette insouciance retrouvée ponctuée , par les récits qui se font révélateurs des préoccupations de tous sur ce mal , cette peste , qui sévit sur la ville qu’ils ont dû fuir , et sur cet avenir dont ils ne savant pas de quoi il sera fait. La conte emblématique et métaphorique d’un mal qui court et qui , au delà des époques, ronge toujours et encore la société, est présent dans chacun des récits dont l’inquiétude s’illumine des espoirs qui y sont enfouis. Si la noirceur et la méditation dominent , c’est aussi la comédie et la fable qui viennent y apporter le contrepoint . En même temps qu’y affleure aussi l’évocation de cet possibilité d’un amour libre qui viendrait faire écho à celui des récits dramatiques qui reflètent les tabous de l’époque et qu’à renforcé encore cette épidémie de Peste contraignant les amoureux à ne plus se voir , par crainte d’être contaminés ( la référence a un autre fléau, celui du SIDA est évidente). A cet égard, la précaution ( ne pas avoir de rapports sexuels ) qui s’inscrit au cœur de la cohabitation campagnarde, est significative de cette peur , mai, en même temps ouvre les portes des récits qui proposent la liberté de élans et des jeux de l’amour , avec l’évocation d’un érotisme empreint d’une certaine beauté laissant entrevoir le désir qui s’installe , aussi au fil des jours , au cœur des cette communauté provisoire, où les élans retenus finissent pas peser comme le dit , en substance , l’un des personnages « ne pensez-vous pas qu’il est temps de rompre le pacte, et de nous en libérer » .

Les frères cinéastes, prolongent donc ici avec ces récits inspirés du Décameron ( adapté aussi, en 1971 , par Pier Paolo Pasolini en version plus libertaire ), ce regard sur le monde et la société , que leur avait inspiré hier les nouvelles de Luigi Pirandello pour leurs contes siciliens de Kaos (1984) , pointant encore leurs regards de poètes, sous le prisme de l’allégorie dans le passé, pour nous renvoyer à la réflexion sur les maux qui s’abattent sur les sociétés en leur ouvrant cette nécéssaire parenthèse ici , de la villa campagnarde, via les cinq contes emblématiques de cette utopie qui est devenue le ferment de leur mode de narration, dont, la mise en images s’accompagne de tout l’arsenal du poids culturel représentatif de l’époque qui renvoie par sa force évocatrice , son écho au présent . Ainsi en est-il de ces paysages qui inscrivent le quotidien de la vie et la noirceur . De la ville de Florence dévastée par la peste , dont la beauté des monuments et de l’architecture, est éffacée par la noirceur des temps , tandis que la campagne préservée révéle sa beauté , celle des demeures paissibles où l’on s’adonne aux travaux quotidiens , où l’on jouit de la beauté des champs , des prés , et des lacs où l’on se baigne …les frères cinéastes la magnifient en composant des séquences en forme de tableaux où la violence extérieure , ne peut ( ne pourrait ) pas entrer . C’est au cœur de cette parenthèse que peut, à nouveau naître l’espoir , celui de la victoire de la vie, contre l’obscurantisme , la violence et la mort . Cet espoir que leur cinéma rend perceptible….

Les cinéastes dont l’oeuvre et les films, depuis leurs débuts , puisent comme on l’a dit dans le passé pour faire écho au présent , confirment dans le dossier de presse du film , dans leur déclaration d’intention, les raisons qui les ont conduits à adapter le Décameron de Boccace « Nous avions envie de nous rapprocher des jeunes d’aujourd’hui et du présent difficile qui est le leur – nous les cotoyons dans nos familles , dans les rues, lors de nos voyages – C’est alors, qu’un projet abandonné est réapparu avec force : dans la ville de Florence dévastée par la Peste, Dix jeunes , refusent de céder à la noirceur qui les mine de l’intérieur et qui leur ôte toute envie de vivre , ils quittent la ville et s’en remettent aux forces de la nature et de l’imagination (… , en effet , hier comme aujourd’hui , la peste peut prendre mille visages (…) nos contes italiens racontés avec notre langage , c’est cela : la peste , les jeunes qui se rebellent et les histoires fabuleuses évoquées qui battent d’un même cœur (…) les œuvres dont nous nous inspirons , nous les considérons comme un élément pour parler de nous, de nos angoisses , de nos désirs (…) pour nous, ce film est un hommage à la femme . Ce sont elles qui décident de partir , et ce sont elles qui racontent les cinq nouvelles », expliquent-ils . Des récits qui « font appel à l’art et à l’imagination . Avec une grande liberté de tous le sentiments. La morale ? Il n’y en a pas , si ce n’est que l’amour est possible » , précisent-ils ,encore , refusant qu’on puisse la voir intervenir , dans le choix des récits.

Des récits qui déclinent, avant tout , les multiples expériences et visages de l’amour . Celui qui peut devenir salvateur ( la femme malade abandonné par son mari ressusictée à la vie par l’amour d ‘un autre ), ou cruel et monstrueux comme l’est le mari du second récit. Celui qui peut être miné par la jalousie , les différece sociales et religieuses ,comme dans le troiséme conte . Tandis que dans le quatrième, c’est le désir de la chair qui éclate en libérateur dans un couvent , et enfin , c’est d’amour absolu qu’il est question , de main tendue et de faute pardonnée quand elle est faite ou dictée par l’amour, comme dans le dernier récit . On vous laisse le plaisir de découvrir, tout celà…
(Etienne Ballérini)
CONTES ITALIENS de Paolo et Vittorio Taviani – 2015-
Avec : Vittoria Puccini , Riccardo Scamarccio , Kim Rossi Stuart , Michele Riondino , Carolina Crescentini , Jasmine Trinca , Lella Arena …