Elle et lui, deux exclus malmenés par la vie , deux taulards qui finissent leurs peines autorisés à travailler avant de retrouver la liberté. Ils s’étaient connus il y a vingt ans , le hasard qui les rassemble à nouveau et l’occasion de se reconstruire , va-t-il avoir raison de l’adversité ?. Le cinéaste sensible de Le Thé au Harem d’Archimède et de Marie -Line , les accompagne dans leur rêve de sortir de l’enfer .

Elle , c’est Graziella ( Rossy De Palma , formidable ) jadis infirmière de jour et danseuse la nuit , et lui c’est Antoine ( le grand , Denis Lavant ) jadis projectionniste de Cinéma qui s’offrait l’aventure en accompagnant les films , il « participait » de sa cabine de projection à l’aventure … et se faisait son propre cinéma. Jadis, il y a vingt ans Graziella fut amoureuse d’Antoine, une aventure rêvée qui ne se realisa pas …mais c’était il y a vingt ans , entre temps la vie qui les a séparés et a fini par les cabosser , ils ont pris des coups et ils ont répondu … et ce fut le rendez-vous de « Sing Sing » , la prison , comme ils disent. On ne saura que par bribes ce que l’un et l’autre ont enduré pour en arriver à se compromettre une liberté qu’ils n’auraient jamais voulu perdre.
Aujourd’hui, les voilà dans le camp des parias , des exclus , ils ont payé leur dû à la société et ils vont devoir bientôt tenter de s’y réintégrer, après ce passage « probatoire » des travaux d’intérêt général , qui leur permet de travailler le jour dans ce pensionnat provincial tenu par Alice , ( Claire Nebout , remarquable ) et de retrouver le soir , la prison dans des cellules mitoyennes . C’est donc dans ce Pensionnat que Gaziella va retrouver Antoine, qui y travaille déjà. Et c’est là qu’ils vont tenter , par étapes, de construire un parcours d’entr’aide leur permettant de se protégér et d’affronter l’adversité , afin de trouver une porte de sortie , digne .

C’est ce parcours, dont Mehdi Charef nous fait complice en nous racontant par le détail les approches et les défiances qui s’y inscrivent, comme s’ils étaient paralysés par l’enjeu . Et puis , petit à petit , les réticences qui se relachent et une certaine intimité qui s’y inscrit , la prise de conscience du besoin de la force et du soutien, de l’autre … c’est Antoine et son amour du cinéma qui en distille à Graziella la nécéssité en évoquant la référence au film d’Ettore Scola Une Journée Particulière ( joli flash-back sur la scène où sur la terrasse Sophia Loren et Marcello Mastroianni en pliant un drap, font se rejoindre leurs mains …) , où la rencontre de deux laissés pour compte du fascisme, s’ouvrent à des horizons nouveaux . C’est la magnifique idée du récit servie admirablement par les deux comédiens , qui , en filigrane offre au film et aux retrouvailles entre Graziella et Antoine sa vraie dimension , celle du cinéma qui y inscrit à la fois la réalité et le rêve qui permet de la transcender , et d’y projeter leurs espoirs . C’est par ce chemin de Cinéma que s’inscrit la prise de conscience du lien qui les unit et qui va -peut-être – leur permettre de s’ouvrir un autre avenir . Cette prise de conscience que décrit dans Une Journée Particulière d’Ettore Scola , avec la rencontre de l’homosexuel ( Marcello Mastroianni) persécuté par le régime Mussolinien , qui fera mesurer à Sophia Loren , le poids de son statut de mère au foyer et de femme soumise et bridée . C’est elle qui renvoie à Graziella et Antoine leur propre destinée d’exclus, que ce dernier , va rappeler à chaque fois ( citant des passages du film ) lorsque la défiance , l’agressivité ou la crainte s’installent créant des tensions entr’eux, afin qu’ils puissent les écarter et affronter, ensemble, l’adversité …

Car c’est bien au cœur de celle-ci qu’il faut trouver les parades pour échapper aux griffes de ceux qui vous harcélent et qui ne rêvent que de vous faire sombrer encore. L’angoisse et le désespoir qui peuvent vous habiter, sont pour eux des faiblesses qu’ils n’ont de cesse d’exploiter , sachant que vous êtes des proies faciles.
Comme l’illustrent ces séquences étonnantes de « snuff movies » (films clandestins mettant en scène la torture ou le meurtre…) à la Roulette Russe , où , la perversité s’incrit . Voyeurisme , argent , violence , les ingérdients de la machine à exploiter et à broyer les individus sont en marche …et gare à qui s’y laisse prendre !. La noirceur que Mehdi Charef installe et avec laquelle Antoine et Graziella ne cessent de flirter, fait miroir à cette possibilité salvatrice , évoquée par le film de Scola. De la même manière que quelques autres beaux personnages qui viennent y inscrire leur humanité, à l’image de cette Alice la gardienne du pensionnat Jeanne d’Arc , qui ménage à la fois , sévérité et regard bienveillant sur Antoine et Graziella… car ils lui rapellent qu’elle aussi ,dans un passé lointain , est passée par la même case .
Alors le risque qui est toujours là , et le rêve qu’il faut chercher à accrocher, peut-être même celui d ‘un amour qui pourrait y faire son nid … pourquoi ne pas y croire ? .

c’est bien le rêve ( le conte ) dans lequel Mehdi Charef inscrit ses héros . « Des montagnes d’où je viens , il n’y a que les contes (…) les contes m’ont appris à écrire , à regarder, à faire de l’image », explique-t-il dans le dossier de presse du film . Et c’est en images que son imagination vagabonde dans ce « conte » où la noirceur s’estomperait ne serait-ce que, pour une fois , les voir y endosser une destinée qui ne serait plus celles des parias , des laissés pour compte , des opprimés … mais celle d’hommes et de femmes qui auraient le droit de se reconstruire , de vivre , de s’aimer ( comme Alice qui attend que son amour la rejoigne ) , et se soustraire , enfin, à cette fatalité et à violence qui n’en finit pas de les confronter au désespoir. Le cinéma de Mehdi Charef , par ailleurs aussi écrivain, est un cinéma rare ( il n’a réalisé que 11 films dont 4 télé-films , en 30 ans ) hors des sentiers battus qui invente ses propres images « quand j’étais petit ma mère racontait des histoires et je voyais l’image . Je voyais le bossu , l’aigle qui ramenait la princesse dans son nid (…) c’est pour ça qu’on m’a souvent dit que j’écrivais d’une façon imagée . Parceque d’abord je vois une image , et ensuite j’éssaie de la décrire », explique-t-il . Et comme pour ses romans, les histoires de son cinéma ce sont celles d’un monde et d’individus qui sont à la marge , ( il a passé son enfance et adolescence dans les bidonviles de la région Parisienne) , celui des cabossés de la vie . Ce sont eux dont il a décrit les bléssures ( le Travesti de Miss Mona , les femmes en réinsertion après la prison dans Au Pays des juliet , Une unité de travail de nuit dans un supermarché où travaillent des femmes immigrées , dans Marie-Line .. ) , elles et eux, sur lesquels il porte un regard sensible et juste empreint d’empathie laissant poindre au cœur de la noirceur , la beauté des âmes et l’espoir . L’histoire d’Antoine et Graziella contrariée par le regard des autres, atteint ,par moments, au sublime par ses chemins de traverse et ses ellipses , par ses envolées poétiques faisant écho à son réalisme brut . C’est le cinéma que l’on veut défendre , celui qui ne s’inscrit pas dans la facilité, ni dans les normes , mais qui parle au cœur …
On vous le recommande et on est sûrs qu’il vous plaira . On voudrait vous voir, vous précipter en salles pour monter que ce cinéma là , souvent -et de plus en plus- victime de sortie en salles confidentielles, c’est aussi un cinéma qui compte … qui a besoin de vous pour continuer à distiller sa petite musique, celle sur laquelle certains producteurs courageux à contre-courant des modes , osent encore parier. Michèle Ray- Gavras et Costa -Gavras qui l’on produit sont de ceux – là , qui, compte tenu des difficultés rencontrées pour le distribuer , ce sont pour la circonstance… mués aussi en distributeurs. Pour permettre au film d’atteindre son public… la balle ,est maintenant dans votre camp ( 1).
GRAZIELLA de Mehdi Charef – 2015-
Avec : Denis Lavant , Rossy de Palma , Claire Nebout, Philippine Leroy-Beaulieu…
(1) – dans notre Région , le film est au programme du cinema Mercury à Nice.