Littérature et Théâtre / L’odeur des planches

Impressionnantes pages 37  et 38 de ce récit autobiographique qu’est « L’odeur des planches », de Samira Sedira.

Cette comédienne, née en Algérie peu après l’indépendance, dévoile dans ses deux pages la liste des  théâtres où elle a joué, je préfère le verbe  « œuvré » : pratiquement tous les théâtres nationaux, un brave nombre de Centres Dramatiques Nationaux, des théâtres mythiques comme le Théâtre du Peuple à Bussang ou la Comédie de Genève, une moulon de scènes nationales, Naples, Lisbonne, Barcelone, Magdebourg, Luxembourg, and so on and so on… Excusez du peu.
Et une lettre des ASSEDIC,  février 2008. FIN DE DROITS.

 

samira
Samira Sedira

Du jour au lendemain, son existence bascule dans la précarité. Les contrats n’arrivent plus, ses droits au chômage s’arrêtent, le milieu l’oublie. Elle quitte les feux de la rampe pour rejoindre les travailleurs invisibles. Et devient femme de ménage pour survivre, comme sa propre mère. Elle mêle en parallèle de son récit l’histoire de son enfance pauvre et de l’exil douloureux de sa famille algérienne.
Bouleversant récit dans lequel Samira Sedira ne se départit à un seul moment de son rôle de narratrice, d’observatrice de sa propre vie. Elle nous conduit dans l’intime des gens pour lesquels elle va faire des ménages, leur crasse, leur cendriers pleins, leurs salle de bains répugnantes, leur indifférence quand ce n’est pas leur mépris pour ces esclaves qui travaillent pour eux, esclaves payés mais esclaves  quand même. Ces gens-là doivent payer leur misère. Ce n’est pas un mépris de classe, mais ça y ressemble. 
En montage parallèle,  l’histoire familiale malmenée, le départ d’Oran, l’installation dans un hôtel miteux, « Le Paradis » (sic), le déménagement à La Ciotat, le travail du père, les visites aux amis des parents, et les conditions de travail (j’allais écrire de travaux forcés) à laquelle Samira est réduite. Son compagnon étant enseignant, après FIN DE DROITS, elle ne peut prétendre au RSA.

L'odeur des planchesOn passe d’un court chapitre sur la mère de Samira, à la Ciotat, nostalgique de son Oran, à la vie à Maisons Alfort (C’est d’abord une odeur. Comparable à nulle autre), le chômage,  le bureau d’aide sociale, et on a, gorge serrée, la sensation que les deux descriptions se succèdent dans le temps, l’humiliation.
Mais il y a aussi sa découverte d’avec le théâtre, elle a dix huit ans. «J’ai aimé ça tout de suite. Ce dont je me souviens très précisément, c’est la chaleur que dégageaient les projecteurs comme un baume apaisant sur ma peau à vif. » Les premiers mots de théâtre qu’elle prononce seront du Shakespeare, Le Roi Lear.
Le mariage de sa mère a été une catastrophe pour cette dernière, un mariage obligé. « Ma mère n’a jamais aimé mon père, elle s’en est accommodée. Je suis née de cet accommodement, de cette union de contingence, de ce rendez-vous contraint. »  Mais « aujourd’hui, quand l’un s’absente, l’autre peine à trouver le sommeil. Ils sont attachés l’un à l’autre par un lien étrange, construit année après année, sur les ruines de l’exil et de l’adversité. »

Sandrine Bonnaire
Sandrine Bonnaire

Ce livre est sorti en 2013. Si je vous en parle, c’est que ce texte va faire l’objet de plusieurs représentations au TNN, pendant le festival  « Le printemps des femmes ». Il va s’agir exactement non d’une mise en scène mais d’une mise en espace. Une mise en espace  consiste à présenter un texte dramatique avec quelques déplacements et référents, dans le cadre d’une lecture publique.   La mise en espace, s’ajoutant à la mise en voix, permet de chercher tout ce que le corps et l’espace peuvent générer comme possibilités pour donner forme à la matérialité du texte et ainsi favoriser une interprétation. 
Personnellement, j’ai une attention pour ce genre de travail. Il est à la mise en scène ce que les dessins préparatoires sont au tableau fini, mais c’est peut-être parce qu’il est fini que, quelque part, il me touche moins que cette non-finitude de l’esquisse.
J’ai en mémoire une mise en espace des Cahiers de Nijinski par Isabelle Nanty avec  Redjep Mitrovista : l’émotion pure. J’estime que la lecture à haute voix, avec seulement une mise en espace, est plus troublante qu’une interprétation : cette dernière est finie,  la première est à venir.
Ici, la comédienne qui va se glisser dans les mots de Samira Sedira n’est autre que… Isabelle Huppert. Heureux habitants de Nice et des communes avoisinantes…
Jacques Barbarin

L’Odeur des planches, Samira Sedira, éditions La brune au rouergue

L’Odeur des planches, TNN, du mercredi 20 au samedi 23 mai
Illustrations :
Samira Sedira
Couverture L’odeur des planches
Sandrine Bonnaire

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