Portrait attachant et ,tout en petites touches, d’un fonctionnaire Londonien chargé des sépultures de défunts sans familles connues, qui, sur le point d’être licencié va se lancer dans un dernier baroud d’honneur . Comédie sociale sur un anti-héros et sur la mort dans la solitude . Prix de la mise en scène au Festival de Venise 2014.

Il s’appelle John May, et depuis 22 ans sa vie est réglée comme du papier à musique avec ses rituels immuables au travail comme dans la vie privée. Il est fonctionnaire dans un bureau qui doit prendre en charge les recherches des éventuels parents proches et éloignés et amis ou connaissances de défunts, dont les héritiers potentiels ne sont pas connus des services sociaux et communaux, et qui ne ce sont pas manifestés . Les sépultures qui restent en attente de cérémonies d’obsèques pendant les recherches , finissent si ces dernières n’aboutissent pas dans un « délai » minimum, par être effectuées . Et c’est John qui est chargé de les organiser, il le fait avec soin et dévotion mettant au point tous les détails écrivant lui-même l’éloge funèbre et l’accompagnement sonore musical adéquat, comme pour celle qui ouvre le film où il se retrouve seul avec le prêtre, face à la dépouille du défunt, dont il n’a réussi à trouver aucun héritier ou proche pour l’accompagner à sa dernière demeure. Un jour, John ( Eddie Marsan , épatant et tout en nuances ) voit débarquer dans son bureau son patron qui lui signifie que son poste va être supprimé pour des raisons de « rentabilité et de restructuration des services » et qu’il doit donc se préparer à le quitter dans les meilleurs délais, même s’il reste encore des « cas » dont les recherches n’ont pas abouti et en attente de cérémonie de sépulture. John , après avoir accusé le coup va s’activer à régler les derniers détails et classer les dossiers , mettant un zèle particulier dans sa dernière recherche qu’il voudrait voir aboutir positivement , concernant un récent décès intervenu dans son quartier. Celui d’un certain John Stoke, un ex-soldat ayant participé à la guerre des Malouines, c’est le dernier baroud d’honneur auquel John va s’atteler pour tenter, cette fois-ci , de ne pas être , une fois encore seul à la dernière cérémonie mortuaire qu’il aura la charge d’organiser…

C’est la quatrième film du cinéaste Britannique d’origine italienne, nous l’avions découvert à la Mostra de Venise ( qui vient donc de le distinguer lors de sa dernière édition 2014 ) où il avait présenté sa jolie comédie sur l’immigration clandestine : Sri Lanka National Handball Team ,en 2008 . On y retrouve , ici , son goût pour la comédie et de l’insolite. C’est par ce biais que le cinéaste , et c’est la belle idée de son film, propose en miroir du portrait de son héros , celui de la représentation de la destinée humaine et des souvenirs des défunts dont il est le gardien des objets leur ayant appartenu. Objets divers, albums de familles et photos qu’il conserve et classe méthodiquement, objets témoins et instantanés de vies captés et immortalisés dont il organise précieusement le rangement pour maintenir « en vie » le souvenir . En ce sens John est une sorte d’artiste qui ravive les souvenirs et l’amour de ses semblables par le soin qu’il met dans son travail, comme le souligne chacun de ses gestes de classement méthodique de ces objets, en une sorte de composition poétique , tendre et mélancolique au cœur de laquelle se glisse le regard sensible sur les gens ordinaires dont le cinéma Britannique ( Ken Loach , Mike Leigh…) sait si bien traduire et capter le réalisme. Celui-ci y est , ici , associé à la poésie et à l’absurde dont les rituels restituent et questionnent, à la fois, les destinées des défunts et celle de John, dont la vie solitaire renvoie l’écho .

Magnifiques séquences des rituels de John , au travail et à son domicile , qui se font écho . En effet au soin porté au rangement des objets des défunts comme à celui sur recherches des familles ou des proches de ces derniers, le même rituel immuable de son bureau il le perpétue à son domicile ( intérieur impeccable ), et par exemple dans la mise en place de sa table ( nappe, couverts ) pour les repas . l’assiette qui va accueillir l’habituelle boîte de thon accompagnée du pain et d’une pomme. Et le verre qui recevra la boisson préférée , le thé. La mise en scène qui suit ces rituels, l’est tout autant, à leur service ajoutant l’immobilité de ses plans -séquences qui les ancre dans l’immuable. Rituels dans lesquels s’inscrivent les solitudes qui renvoient au désespoir, à l’absence d’amour , à la misère sociale et morale, à laquelle John dans son dernier combat , à la recherche des proches de Billy Stoke , va être confronté. Et c’est dans cette « sortie » hors de ses horizons habituels que le film trouve son second souffle, où le réalisme se décline sous toutes les formes et exemples , pour offrir le portrait d’une société où l’indifférence générale est de mise . Il y croise les laissés pour compte de la vie et sans abri, les condamnés à la solitude ( la belle scène évoquant cette vieille femme qui écrivait à son chat…) , autant de portraits témoins, d’un état d’absence de perspectives et de chute vertigineuse dans la déchéance morale et physique qui accompagne l’abandon sociétal .

Pourtant John, ne renoncera pas pour arriver à ses fins , il finira par trouver cet ex-soldat Irlandais ami de combat à qui Bill a sauvé la vie , il retrouvera les compagnons de la déchéance dans l’alcool de Bill , et il retrouvera aussi ses proches, femme et fille, que ce dernier avait abandonnées et avec lesquelles , John , va chercher a prolonger le contact . Dans cette station balnéaire où la vie continue pour ceux qui furent les proches de Bill et qui vont finalement se confier. Mary la femme devenue propriétaire d’un « fish and ships » dont il apprécie la cuisine, et Kelly ( Joanne Foggart ) sa jolie fille blonde. Toutes deux il aimerait les voir se rendre à l’enterrement de Billy accompagnées d’autres amis. Ce serait une première et son baroud d’honneur final n’aurait pas été vain . Et puis , peut-être que cette vie morne dans laquelle il s’était laissé glisser pourrait désormais prendre une autre envol , qui sait ? . En effet l s rencontres entre Kelly et John qui cherche à la convaincre de se rendre aux obsèques de son père , finissent par prendre une tournure inattendue …quelque chose semble frémir ( amitié , amour?) entre l’effacé qui parle comme personne de son boulot et cache un rebelle introverti ( il pisse en cachette sur la voiture de son patron) , et la jolie et timide Kelly qui transpose sa tendresse enfouie, dans l’amour de la race Canine.
On vous laissera découvrir la suite des événements , on ajoutera seulement que la tendresse du regard du cinéaste sur ses personnages et son constat sur la société porté par une mise en scène qui semble toute en retrait , laisse poindre dans ses cadrages , ses plans et gros plans des objets et des individus, comme dans les plans d’ensembles sur les espaces extérieurs ( la petite cité balnéaire, les rues de Londres et les espaces verts , le cimetière…), le double désir d’immortaliser et d’accompagner les souvenirs des morts, en les réunissant dans une livre ( film ) de souvenirs au cœur d’une démarche artistique à laquelle la beauté formelle, offre sa belle dimension.
( Etienne Ballérini)
UNE BELLE FIN de Uberto Pasolini -2014-
Avec :Eddie Marsan, Joanne Foggart, Karen Drury, Andrew Bucham, Paul Anderson…