Après les huis clos ( Ceci n’est pas un film / 2011, et Rideau Fermé/ 2013 ) auxquels, le cinéaste Iranien interdit d’exercer son métier était contraint, celui-ci, brise l’interdiction …et sort ,dans la rue au volant d’un Taxi où s’embarque le monde extérieur. Au fil du trajet et des rencontres s’invitent les questions de société, le pamphlet et la réflexion politique, mais aussi, celles, sur la création et la liberté d’expression, dont il distille, le plus beau des exemples…Récompensé par l’Ours d’Or au Festival de Berlin 2015. A voir absolument …

Taxi Téhéran a été conçu par le cinéaste comme une forme de libération mûrement réfléchie et nécessaire, après deux films tournés en confinement qui le privaient du contact avec la vie extérieure. Il lui fallait donc inventer le moyen pour « sortir », et trouver le cadre qui lui permette de ne pas mettre en danger le film et ceux qui y participeraient. Il envisagea même de se consacrer à la photographie « interdit de faire des films, mais pas de faire des photos , je m’y suis mis » dit-il. Mais, ese refus des laboratoires de les développer, il ne baisse pas les bras, et à l’occasion d’une sortie en taxi et la rencontre de passagers discutant à bâtons rompus, fait, explique-t-il : « jaillir l’étincelle ..pas de films et pas de photos, peut-être il ne me restait plus qu’à devenir chauffeur de Taxi et écouter les histoires des passagers(…) mes premiers films se passaient tous dans la ville, et si je faisait rentrer la ville dans mon taxi ? », dit-il dans le dossier de presse du film.
Poursuivant ses « sorties » en taxi, il recueille témoignages et histoires du quotidien qu’il scénarise sous la forme « docu-fiction » . Il ne lui reste plus qu’à trouver les moyens techniques pour faire de son Taxi un studio de tournage. L’équipant de trois mini -caméras ( Black Magic ) facilement dissimulables qui « permettent de ne pas attirer l’attention », et de « gérer tout seul, aussi mon propre jeu et la conduite du véhicule », explique-t-il. Quinze jours de tournage et un montage « j’ai fait plusieurs Back Ups de mon premier montage que j’ai cachés dans plusieurs villes différentes (…) sans courir de danger qu’on puisse mettre la main dessus. Le film a coûté 32 000 Euros, toute l’équipe a accepté un salaire réduit, et beaucoup de mes comédiens ont refusé d’être payés », dit-il.

Voilà comment est né le film d’un grand cinéaste qui refuse le « dictat » de la censure . Chapeau bas… d’autant que les conditions citées ci-dessus- et vous le constaterez à la vision du film- ne limitent en rien ses qualités artistiques mais bien au contraire, lui apportent ce supplément d’âme nécessaire qui en fait le prix. La beauté et la poésie du Conte alliée à celle du pamphlet, avec, en miroir l’autoportrait d’un artiste pour qui « le cinéma est ma manière de m’exprimer, c’est ce qui donne un sens à ma vie ».
Et dès la première séquence le ton est donné avec ce dialogue qui s’installe entre les deux premiers passagers du Taxi, auxquels le cinéaste laisse libre-court. La discussion d’abord toute en retenue , puis qui finit par s’envenimer entre l’institutrice et l’autre passager , qui va se poser en donneur de leçons hypocrite . Au détour d’un exemple , en forme de constat sur le vol à la tire et sur les peines encourues, c’est le débat sur la peine de mort qui se retrouve au cœur de la discussion où les arguments de l’un (« il faut faire l’exemple » ), et ceux de l’autre (« ça n’a jamais rien résolu ! ), vont s’enflammer pour une « chute » finale, toute en ironie. C’est d’ailleurs le choix du cinéaste, qui, à son volant intervient parfois dans les discussions de ses passagers , toutes en reflet-miroir de la société Iranienne dont les « maux », sont passés au crible, comme dans cette première séquence. Les libertés y sont bien sûr au cœur, mais y sont aussi, celles plus légères reflet d’un vécu quotidien et révélatrices des mentalités. A l’image de ce couple victime d’une accident de moto dont le mari blessé veut absolument « dicter » lors de son trajet vers l’hôpital ( au cas où…) son testament, avec comme témoin notre chauffeur de Taxi . Séquence révélatrice de « tensions » familiales au cœur desquelles l’héritière en question, est au cœur des litiges. De la même manière que la légèreté et la poésie, viennent s’inscrire dans la scène où des vielles femmes avec leur bocal de poissons rouges, où les traditions et la superstition restent très présentes.

Et cette déambulation dans les rues de la ville dans lesquelles, parfois il ne trouve pas son chemin, renvoie l’écho d’une autre direction dans laquelle son film , lui, ne s’égare pas. Celui d’une censure politique, dont les dégâts collatéraux sur la culture sont décrits dans deux séquences révélatrices et magnifiques auxquelles la tonalité de la comédie qui les désamorce, offre à la satire qui en est faite , son plus bel effet. Belle idée que celle de la petite Nièce qui interpelle le cinéaste sur les codes ( de la censure ) que sa maîtresse d’école demande aux élèves de respecter pour la réalisation d’un film scolaire. Le débat entre cette dernière qui a du mal à comprendre qu’on leur demande de « respecter les lois coraniques et de montrer la vraie vie … mais de ne pas montrer les choses sombres de celle-ci », est passionnant. Et il se trouve même amplifié par la confrontation avec un autre passager du Taxi , ce vendeur clandestin de DVD et autres objets culturels , qui dit « faire un devoir de diffusion culturelle nécessaire » et interpelle le cinéaste à une « complicité » souhaitée , en les sortant de la valise où ils sont réunis. Belle opportunité pour faire défiler la longue liste des films et des cinéastes ( de Woody Allen à Nuri Bilge Ceylan ..) interdits . Tandis que l’un des destinataires de ces films sous le manteau qui veut devenir réalisateur vient demander conseil à Panahi qui lui répond, en substance : « tous ces films que vous le citez et tous ces romans que vous voudriez adapter ont déjà étés faits , c’est à vous de créer votre propre univers et votre œuvre ».

Pour ce qui concerne la charge politique , son efficacité est elle aussi liée au point de vue du cinéaste qui la pose à la fois comme un devoir et une interrogation sur son métier qu’il a chevillé au corps Une nécessite vitale indispensable pour laquelle le recours à la dérision est aussi une arme qu’il s’impose à lui-même, afin de ne pas se complaire en martyr, mais lutter par tous les moyens contre, les abus de pouvoir, l’intolérable et l’insupportable. A cet égard, en miroir à la scène d’ouverture du film évoquant la peine de mort il y a celle où le personnage de l’avocate des droits de l’homme interdite de travail elle aussi, vient apporter son témoignage sur un métier et un combat difficile à mener pour le défendre. Et qui fait écho , au delà des pressions constantes auxquelles elle est soumise , de ce qu’elle a pu constater de celles que subissent ceux qui ont à faire à la justice lorsqu’il leur faut prouver leur innocence, et ( ou ) leur bonne foi , ou encore faire valoir leur droits lorsqu’ils n’ont pas les moyens financiers ou ne sont pas appuyés par des personnalités. Ainsi que les dangers encourus par ceux qui osent se lever contre les interdictions. A cet égard Jafar Panahi a mis au cœur de la scène centrale de son film et du débat sur les libertés avec cette avocate, l’exemple d’actualité qui fut médiatisé de cette jeune fille diplômée en droit, Ghonchech Ghavani, arrêtée et emprisonnée pour avoir voulu assister avec d’autres jeunes filles à un match de Volley Ball dont la présence dans les tribunes du stade est exclusivement réservée aux hommes. Evoquant les pressions subies par sa famille et par cette dernière condamnée pour « propagande contre le régime à un an de prison , à qui il fut demandé de déclarer publiquement qu’elle n’avait jamais fait de grève de la faim ( ce qui fut le cas ) pour espérer, la clémence d’une libération. Elle fit deux grèves de la faim penda,t sa détention qui suscitèrent un élan de solidarité mondial et les réactions des instances sportives, dont la Fédération internationale de Volley Ball qui retirera l’organisation du Mondial 2015 de Volley Ball, à l’ Iran. Une pression internationale qui eut son effet , cette dernière, obtint sa mise en liberté conditionnelle et retrouver sa famille.

On a beaucoup aimé cette ( sa ) déambulation dans les rues de la ville, portée par le sens de la dérision , de la comédie et de la poésie qui fait écho à la gravité du constat dont Jafar Panahi se sert pour faire œuvre créatrice, citoyenne et insoumise. Son film est revitalisant, passionnant …et surtout une belle leçon de cinéma en liberté . Que demander de plus…
A noter : cette inscription, concernant la non inscription de la liste technique et Artistique au générique final , « Le Ministère de l’Orientation Islamique valide les génériques des films « diffusables ». A mon grand regret ce film n’a pas de générique. J’exprime ma gratitude à tous ceux qui m’ont soutenu. Sans leur précieuse collaboration, ce film n’aurait pas vu le jour ».
( Etienne Ballerini )