Cinéma / Rencontres CINELATINO à Toulouse ( 2 ème Partie )

Du 19 au 29 mars, Toulouse a accueilli les 27e Rencontres Cinélatino. Deuxième partie de ce voyage de quelques jours au cœur des cinémas d’Amérique latine.

L’une des raisons de choisir la compétition des longs métrages de fiction comme fil conducteur de ce court voyage, a été la présence de l’équipe des films, et très souvent du réalisateur, pour participer à une discussion avec le public à l’issue de la projection.
Cette section a proposé douze films très récents (2014 et 2015), encore inédits en France, venus en majorité d’Argentine, du Brésil, du Mexique et du Chili. Mais elle a aussi offert la possibilité de découvrir deux films de pays qui, jusqu’à présent, n’avait guère de tradition cinématographique, à l’image du Guatemala (Ixcanul), ou dont la production est mal connue en France, comme le Pérou (NN). Deux premiers longs métrages étaient également au programme (Ixcanul, Beira Mar). Autre constatation, la participation d’une seule réalisatrice. Une remarque qu’il convient de nuancer, car elles étaient quand même trois sur les sept films présentés . Néanmoins, la femme (voire les femmes), jeune ou âgée, épouse délaissée ou en mal d’enfant, mère célibataire ou veuve, était très souvent le personnage central de la plupart des scénarios des œuvres en compétition (Aurora, Ixcanul, NN, La mujer de barro, La tirisia, Si je suis perdu, c’est pas grave).
S’il y a des films que l’on aime plus que d’autres, soit en raison de l’histoire (NN), soit par l’originalité de la réalisation (Ixcanul, La Tirisia), il faut cependant souligner la très bonne qualité d’ensemble de cette édition 2015.

Dans le catalogue de cette 27e édition de Cinélatino, Erick González, membre de l’équipe de sélection des longs métrages de fiction, déclarait : « Notre pari est avant tout de présenter des films qui proposent une réflexion, tant au niveau esthétique que des sujets traités, ainsi qu’une découverte de la diversité de ce continent.
En effet, bien que de nombreux clichés véhiculent une image d’une Amérique latine uniforme, à la culture homogène, la réalité est pourtant bien différente. L’Amérique latine est d’une variété époustouflante, un vaste continent métissé aux réalités surprenantes. En conséquence, la sélection de films reflète cette diversité. »
Au regard des huit longs-métrages de la compétition qui ont été vus, mais aussi des autres films qu’il a été possible de visionner dans les autres sélections de ces Rencontres toulousaines, l’objectif est atteint.

Retour sur six films des différentes sélections:

La Tirisia de Jorge Pérez Solano (Compétition – Long métrage de fiction – Mexique – 2014 – 1h50)

LA  TIRISIA  de Jorge  Pérez Solano
LA TIRISIA de Jorge Pérez Solano

Dans un village isolé de la région mixtèque du Mexique, Angela et Cheba sont toutes les deux enceintes du même homme, Silvestre, qui est aussi le beau père d’Angela. Serafina, la mère d’Angela, ne semble pas s’émouvoir de la situation endurée par sa fille. De son côté, Cheba le vit moins bien car son mari, qui s’est absenté de longs mois pour aller travailler à l’étranger, annonce son retour. Elle aura beaucoup de mal à lui faire croire que l’enfant est de lui.
Pour Jorge Pérez Solano, dont c’est le second long métrage de fiction, la « tirisia » du titre signifie tristesse, mais il approfondit le sens en la définissant comme quelque chose qui arrive quand on subit un choc émotionnel, une maladie de l’âme qui provoque la tristesse et ôte l’envie de vivre. Cette tirisia/tristesse imprègne autant le paysage aride que les habitants de la Mixteca, région au sud de Mexique. Le réalisateur dépeint avec justesse et sans misérabilisme le quotidien de deux femmes confrontées aux traditions et à un univers machiste. Il pointe également du doigt les carcans qui pèsent sur le Mexique : la religion, la politique et l’armée. On apprécie particulièrement sa réalisation minimaliste qui ne s’embarrasse pas de plans inutiles, sans bande son musicale et qui privilégie l’image par rapport aux dialogues.
Si je suis perdu c’est pas grave (Si estoy perdido, no es grave) de Santiago Loza (Compétition – Long métrage de fiction – Argentine / France – 2014 – 1h35)

SI JE SUIS PERDU  C'EST PAS GRAVE de  Santiago Loza
SI JE SUIS PERDU C’EST PAS GRAVE de Santiago Loza

Des personnes se croisent, échangent quelques mots, puis poursuivent leur chemin au cœur d’une ville européenne imaginaire qui ressemble étrangement à Toulouse. Certaines se retrouvent et d’autres non. Toutes passent un audition.
Le titre, pour le moins cocasse, peut être pris comme un message destiné à rassurer le spectateur, lequel pourrait être perdu dès les premières minutes du film. Celui-ci ne doit pas s’attendre à voir un film « ordinaire » avec une histoire et une fin. De fin, il n’y en a pas, et l’histoire est constituée de petites histoires qui n’ont pas forcément de liens entre elles. Réalisateur, dramaturge et metteur en scène de théâtre, Santiago Loza est parti d’un atelier avec des comédiens français et argentins sur la thématique de l’intime. L’idée de faire un film est venue au fil de ce travail. Une fois les images enregistrées à Toulouse, le scénario s’est écrit, en grande partie, lors du montage en Argentine. Si vous êtes perdu… est à voir, non pas comme du « cinéma expérimental », mais comme une expérience cinématographique originale.

Ixcanul de Jayro Bustamante (Compétition – Long métrage de fiction – Guatemala / France – 2015 – 1h30)

IXCANUL de  Jayro  Bustamante
IXCANUL de Jayro Bustamante

Maria est une jeune fille de 17 ans. Elle vit avec ses parents dans une petite maison au pied d’un volcan en activité du Guatemala. Elle travaille avec eux dans une plantation de café. Elle a en tête l’idée de partir aux Etats-Unis avec son ami Pepe. Mais ses parents ont d »autres projets pour elle. Ils veulent qu’elle épouse le propriétaire de la plantation. Maria tombe enceinte de Pepe qui part sans elle aux Etats-Unis.
Ixcanul est le premier long métrage du réalisateur guatémaltèque Jayro Bustamente. Il a reçu l’Ours d’argent Alfred Bauer dans la sélection « Nouvelles perspectives » de la Berlinale 2015. Il est l’une des révélations de cette 27e édition de Cinélatino. Un premier film, inspiré d’une histoire vraie, qui surprend agréablement par sa réalisation parfaitement maîtrisée, des choix audacieux, comme l’utilisation du plan séquence, et le naturel des comédiens amateurs qui n’avaient aucune expérience cinématographique. Un film à la fois réaliste, poétique et politique qui montre le quotidien de la communauté et des femmes mayas et aborde la question du vol des enfants au Guatémala.
NN (Sans identité) de Héctor Gálvez (Compétition – Long métrage de fiction – Pérou / Allemagne, Colombie / France – 2014 – 1h34)

NN de Hector  Galvez
NN de Hector Galvez

Dans la campagne montagneuse péruvienne, un groupe d’anthropologues exhume d’une fosse commune les corps de personnes disparues pendant le conflit armé qui a ensanglanté le pays dans les années 1980. Huit personnes sont identifiées. Les familles des disparus vont enfin pouvoir faire leur deuil. Une neuvième reste « NN », sans identité. Pourtant, une femme pense qu’il s’agit de son mari. Malgré de fortes probabilités, les preuves manquent. Fidel ne demandent qu’à la croire, mais il se heurte à des difficultés qu’il ne soupçonnait pas.
NN est le second long métrage de fiction du réalisateur péruvien Héctor Gálvez. Le premier, Paraiso, a été sélectionné au Festival de Venise 2009. Le rythme du film est lent, à l’image du minutieux et laborieux travail auquel se livre Fidel et son équipe pour tenter de reconstituer puis d’identifier les restes exhumés des victimes exécutées. Avec l’histoire qui fait se rencontrer Fidel (Paul Vega), l’anthropologue, et Graciela (Antonieta Pari), la femme de ménage, les fantômes du passé refont surface et planent sur un présent trouble dans lequel il n’y a pas de réelle volonté politique de revenir sur les années sombres. Comment ne pas y voir une métaphore de la situation au Pérou, mais aussi dans d’autres pays d’Amérique latine ? Une réflexion très intéressante sur la mémoire et l’oubli.

Campo de Jogo (Terrain de jeu) de Eryk Rocha (Compétition – Documentaire – Brésil – 2014 – 1h11)

CAMPO DE JOGO de  Eryk Rocha
CAMPO DE JOGO de Eryk Rocha

Juin 2014. Le Brésil accueille le Mondial de football. Non loin du Stade Maracanã de Rio de Janeiro où se tiendra la finale, se déroule une autre finale, celle qui oppose deux équipes des favelas, Geracao contre Juventude. Les joueurs, les supporteurs et le public sont noirs en majorité car le prix des places pour assister à l’autre événement est trop élevé.
Eryk Rocha n’est autre que l’un des fils du grand cinéaste brésilien Glober Rocha (Antonio Das Mortes, Le Dieu noir et le Diable blond). Il a donc baigné dans le cinéma et l’image depuis l’enfance. Devenu réalisateur et vidéaste, il se passionne pour le football comme beaucoup de Brésiliens. Pourtant, Campo de jogo n’est pas un documentaire sportif de plus sur le ballon rond. D’abord parce qu’il ne s’intéresse pas aux stars et qu’il se focalise sur les footballeurs d’ « en bas », ceux des quartiers pauvres. Ensuite, Eryk Rocha a écarté une approche « sociologique » pour ne considérer le football que comme une danse, une chorégraphie, et non comme un simple sport. Les joueurs, les actions, les phases de jeu ou le public sont filmés au plus près et le déroulement de la rencontre devient presque secondaire. Au travail sur l’image, il faut associer celui effectué sur la bande sonore avec des choix musicaux audacieux qui intègrent Puccini, Wagner, Heitor Villa-Lobos ou les percussions d’un autre compositeur brésilien, Jorge Amorim.

Cronica de un Comité (Chronique d’un Comité) de José Luis Sepulveda et Carolina Adriazola (Panorama – Documentaire – Chili – 2014 – 1h40)

CRONICA DE U N COMITE  de José  Luis  Sepulveda
CRONICA DE UN COMITE de José Luis Sepulveda et Carolina Adriazola

En 2011, au Chili, les étudiants et les élèves du secondaire déclenchent un important mouvement de protestation contre le système éducatif aux mains du secteur privé. Ils réclament une éducation gratuite publique de qualité. Pendant plusieurs mois, de nombreuses manifestations ont lieu dans le pays. Lors de l’une d’entre elles, Manuel Gutiérrez, un jeune de 16 ans, meurt d’un tir policier. Le carabinier est arrêté, puis relâché. Le cas est médiatisé. Un comité pour la justice se crée autour de sa famille.
José Luis Sepulveda et Carolina Adriazola ont pris contact avec le comité lors de sa création, quelques mois après la mort de Manuel Gutiérrez. Ils ont commencé à filmer de l’intérieur dès les premiers jours. Ils rencontrent les proches du jeune étudiant, notamment sa mère et son frère aîné handicapé, et les membres du comité qui évoquent les faits et leur attente : que la justice soit rendue et que le policier responsable soit jugé et condamné comme il se doit. Ils poursuivent leur travail pendant plusieurs mois.
Les deux réalisateurs intègrent à leurs images celles filmées par d’autres protagonistes du comité. Une démarche volontaire qui, bien sûr, compte tenu de la durée de tournage, complique beaucoup la construction et le montage du film. Mais à l’arrivée, le documentaire ne propose pas au spectateur une vision démagogique. Il colle au plus près à la réalité et à la vérité des faits, illustrant à la fois les doutes des membres du comité, sa remise en cause et l’impasse qui semble être la sienne après avoir espéré faire bouger les choses au niveau des autorités et de la justice. Une approche juste, même si, ici, le constat est pessimiste.

Le Palmarès de Cinélatino

Longs-métrages :
Grand Prix Coup de Coeur :
Ce prix est attribué par un jury de trois professionnels du cinéma, composé cette année de : Lubomir Bakchev (directeur de la photographie, Bulgarie), Pedro González-Rubio (réalisateur, Mexique) et Juliana Rojas (réalisatrice, Brésil). Il consiste en une aide à la distribution en France du film primé d’une valeur de 6.000 € :
Ausência de Chico Teixeira (Brésil, Chili, France, 2014)

Prix du PublicLa Dépêche du Midi :
Ixcanul de Jayro Bustamente (Guatemala / France, 2015)

Le Prix Découverte de la Critique Francaise :
Le prix récompense le meilleur premier film. Il est décerné par un jury composé de trois journalistes membres du Syndicat Français de la Critique de Cinéma, Nicole Clodi (journaliste « La Dépêche du Midi »), France Hatron (critique « Les fiches du Cinéma ») et Dominique Martinez (critique « Positif »  ) :
Ixcanul de Jayro Bustamente (Guatemala / France, 2015)

Prix FIPRESCI -Prix de La Fédération Internationale de la Presse Cinématographique
Le prix récompense un premier film. Il est décerné par un jury composé de trois journalistes internationaux. Cette année, ses membres sont : José Otero Roko (critique de cinéma et poète, Espagne), Sarah Skoric (journaliste, Belgique), Maria Teresa Oleksiewicz (critique de cinéma, Pologne).
La Obra del Siglo de Carlos Machado Quintela (Cuba, Argentine, 2015)

Prix CCAS – Prix des Électriciens Gaziers :
Le film primé doit être adapté à un public familial afin de permettre la découverte d’un continent à travers ses cinématographies :
La Tirisia de Jorge Pérez Solano (Mexique – 2014)

Rail d’Oc – Prix des Cheminots :
La Tirisia de Jorge Pérez Solano (Mexique – 2014)

Documentaires :

Le Prix Documentaire Rencontres de Toulouse :
Tudo Vai Ficar Da Cor Que Você Quiser de Letícia Simões (Brésil – 2014)

Le Prix SIGNIS du documentaire :
El Tiempo Nublado de Arami Ullón (Paraguay/Suisse – 2014)

Le Prix lycéen du documentaire :
El Tiempo Nublado de Arami Ullón (Paraguay/Suisse – 2014)

Courts métrages :

Le Prix Courtoujours
Niño de Metal de Pedro García-Mejía (Mexique/Colombie – 2014)

Le Prix Signis du Court-Métrage
João Heleno Dos Britos de Neco Tabosa (Brésil – 2014)

Le Prix Révélation
Completo de Ivan D. Gaona (Colombie – 2014)

(Le site officiel de Cinélatino : http://www.cinelatino.com.fr)

Philippe Descottes

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