Après Le Temps de l’aventure, le cinéaste nous entraîne dans le sillage de trois personnages dont l’ irrépressible désir amoureux, les entraîne vers des sentiers inexpérimentés. Cinéaste des rencontres amoureuses dont il sublime les élans, c’est , avec la tonalité de la comédie et du marivaudage, qu’il nous entraîne dans leur vertige, servi par tois comédiens en osmose.

D’emblée on découvre ,dans les rues de Lille où elle travaille pour un cabinet d’avocats, Mélodie ( Anaïs Demoustier ), fébrile sur le chemin de la maison acquise récémment par Charlotte (Sophie Verbeeck) et Micha ( Félix Moati ) le jeune couple amoureux , dont elle est l’amie et dont elle vient prendre des nouvelles. On lit sur son visage une sorte d’inquiétude qui se confirme à la vue de Micha qui lui ouvre la porte et qui l’invite à passer la soirée avec eux . « je ne veux pas vous gêner , vous venez à peine de vous installer », dit-elle , faisant mine de s’en aller, mais finissant par céder à l’insistance de ses amis Retrouvailles chaleureuses qui , insensiblement, la soirée avançant laissent entrevoir par les mots et les attitudes de chacun cette gêne qui persite, chacun semblant éviter un térritoire sensible qui pourrait déstabiliser l’harmonie amicale de leur relation. Le cinéaste installe dans ces premières séquences la tonalité reconnaissable de ses films qui scrutent les sentiments des personnages, en les confrontant aux situations dans lesquelles ils sont contraints de les refreiner, provocant chez eux une sorte de vertige et d’angoisse, qui les conduit à des comportements inattendus. ..

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Dans J’attends quelqu’un (2007) , ce sont des écorchés de la vie dans une petite ville de province dont il captait le mal- être social et (ou) sentimental qui les empêche d’aller vers les autres traduisant leurs maladresses comportementales. De la même manière dans Le temps de l’aventure (2013) s’installait au cœur de l’aventure sentimentale d’une journée, ce frein qui empêchait de s’y laisser, enivrer sans retenue. Rapidement ,ici, on comprend qu’au cœur de ce trio d’amis, il y a cette attraction et ce désir que l’on tente de réprimer. Soit, parce qu’on a peur de s’y perdre , soit parce qu’on a peur de faire mal à l’autre, ou encore parce qu’on ne sait pas si on a la capacité de faire face à une double liaison, alors le reflexe du mensonge s’installe dans les rapports quotidiens
Il y a Charlotte et Micha qui cherchent à s’installer dans une relation durable. Mais le désir incontrôlable, a déjà poussé Charlotte à vouloir, plus, que l’amitié de la part de Mélodie . Et Micha qui ne soupçonne rien mais se sent quelque peu délaissé,se tourne vers Mélodie …qui n’est pas insensible à son charme !. Dès lors Mélodie se retrouve au cœur d’une relation dont elle devient complice du secret de chacun, amoureuse des deux,en même temps . La tonalité assumée de la Comédie et du Marivaudage, vont permettre à Jérôme Bonnell de développer les situations en porte-à-faux, qui traduisnent au travers les quiproquos du désordre sentimental à devoir assumer désormais, la quête de Liberté vers laquelle ils tendent et qui va les obliger, à prendre leurs responsabilités. Car, il y a la souffrance et la culpablité qui s’installent, découlant de la situation d’infidélité et de non-dits ou mensonges dans laquelle chacun s’enferme .

La gravité qui s’installe en même temps que l’utopie, est une des belles réussite du film qui se laisse aller aux battements du cœur, sans que le jugement moral vienne s’immiscer, concernant leurs comportements. Dans le dossier de presse, le cinéaste explique ses choix de récit et de mise en scène « Cette histoire serait comme un phantasme puisqu’on y éprouverait la liberté de dépasser tous les maux qui altèrent l’amour : mensonge, trahison, tristesse, jalousie … faire naître de la paix , là où d’ordinaire surgit le conflit . Une sorte de rêve d’amour humaniste. Mais je ne voulais pas reduire cette idée à sa simple psychologie , et l’envie de la traiter à travers des situations de comédie ,fut tout de suite naturelle. Filmer l’action seule . Ne suivre que les mouvements du cœur », dit-il. Et il joue subtilement de ces mensognes qui viennent « polluer » le quotidien du « trio » , dès que la double liaison s’est installée. S’amusant à les faire basculer du côté du Vaudeville classique pour mieux les rattraper, et les confronter au réalisme d’un quotidien dans lequel ils s’inscrivent . Evitant , comme on l’a dit, le jugement moral pour rester près des personnages,des sentiments et des désirs qui les font se mouvoir, et laisser entrevoir, au delà du rêve du ménage à trois vécu au grand jour, cette réalité qui s’instale au cœur des séquences et ,va finir par les rattraper . A cet égard la séquence finale où le trio s’élance libre et heureux vers la plage et la mer, est sans doute l’un des derniers moments de griserie d ‘une liberté que le temps et la vie, vont finir par rattraper

Cette vie et ce quotidien dont le cinéaste inscrit en parallèle , et en miroir du marivaudage, l’enjeu de la la liberté qui s’y inscrit . Ainsi les trois personnages principaux sont « ancrés » dans un réel dans lequel ils cherchent leur voie . A l’image de Micha qui soigne les chats malades et rêve de se spécialiser dans l’étude « de la sexualité des poissons d’eau douce » qui, selon certaines études scientifiques, serait en train de se » féminiser » sous l’effet des produits poluants !. .Tandis que Charlotte licenciée récemment de son travail semble détachée des contingences du présent et trouve refuge dans les sentiments, jusqu’à envisager le sacrifice. Mélodie , elle , avocate confrontée aux problémes de ses clients, en mesure au quotidien le poids, lorsqu’il lui faut défendre l’indéfendable ( cet agrésseur sexuel récidiviste… ) et elle finit par craquer sous le poids d’un travail qui se fait le miroir du théâtre de la vie « un tribunal ressemble toujours à un Théâtre (…) mais où la réalité rattrape tout. Et la justice, c’est aussi l’enjeu de la liberté, c’est la position d’être jugé. Elle est là , comme un miroir du trio. Car pour Mélodie, Charlotte et Micha, le monde extérieur semble peu exister, mais quand il est évoqué, c’est pour sa violence qui, par contraste, accentue leur innocence » , explique le cinéaste . Et les trois comédiens pour servir cette approche sont remarquables, solaires, ils éclairent le film , et ils offrent au vertige amoureux dans lequel ils sont emportés, toute la dimension psychologique et la force de cette jeunesse, encore capable de s’y laisser emporter, sans tabous. Et c’est réjouissant…
A TROIS ON Y VA de Jérôme Bonnell.
Avec : Anaïs Demoustier, Sophie Verbeek , Félix Moati…