Cinéma / INHERENT VICE de Paul Thomas Anderson.

INHERENT VICE de Paul Thomas Anderson.

Après There Will Be Blood (2007) et The Master (2012 ), le cinéaste adapte le roman de Thomas Pinchon, une immersion « déjantée » en forme de pastiche et d’hommage aux Polars classiques. Les thèmes, revisités et modernisés par cette aventure – pleine de rebondissements à en perdre le fil – située dans l’Amérique des années 1970, où les clichés sont invités pour mieux être détournés, est un véritable régal, en même temps qu’une leçon de cinéma.

l'Affiche  du Film.
l’Affiche du Film.

Vous, qui allez rentrer dans la salle de cinéma et vous installer face à l’écran qui va bientôt illuminer vos paupières des images de l’aventure qui va vous être contée, vous ne pouvez pas vous imaginer les surprises qui vous attendent. Pendant près de deux heures trente -qui passent comme une lettre à la poste- vous serez entraînés malgré vous par une subtile alchimie de mise en scène et de récit ,dans les arcanes d’une intrigue qui vous « largue » à tous moments, pour mieux vous rattraper par le décalage de son humour et les éclats de ses personnages soumis , comme vous, aux surprises qui vont les déstabiliser. Le tout, sous le regard plus qu’amusé du cinéaste qui se délecte ( et nous avec …) de les voir se cogner à ce « voyage » dans un univers et un monde qui semble de plus en plus se dérober à eux. Il faut dire que l’affaire déclenchée ici, par Shasta Fay (Katherine Waterston) la belle femme fatale, ancienne aventure sentimentale du détective Doc ( Joaquin Phoénix ) qui vient lui demander son aide pour la sortir du piège d’une sordide histoire dans laquelle elle se retrouve compromise avec son nouvel amant, un riche promoteur immobilier qui a  été  enlevé . Point de départ d’une enquête dont il sera de plus en plus complexe d’éclaircir les tenants et les aboutissants  dont les « connexions » dans lesquelles elle est imbriquée font apparaître tout un panel de réseaux liées aux groupes soumis aux influences sectaires et (ou) aux groupuscules extrêmes, ainsi qu’à ceux liés aux affaires financières et aux trafics mafieux.

Joaquin Phoenix
Joaquin Phoenix

Par amour ( qu’il espère reconquérir?) et par devoir Doc, le détective reflet- miroir du Philip Marlowe de Raymond Chandler qui aurait troqué sa dégaine vestimentaire symbolisée par Humphrey Bogart, puis, revisitée en plus négligé par Elliot Gould dans Le Privé ( 1973) de Robert Altman, se retrouve ici dynamitée par le double effet de l’influence de l’époque sur le personnage et par la composition magistrale d’un Joaquin Phoénix ,qui ne cesse d’être surprenant de rôle en rôle et de film en film, par sa manière d’investir les personnages et d’y apporter à chaque fois une dimension originale et étonnante. Ici, elle l’est d’autant plus qu’elle reste en totale adéquation avec le nouveau style de personnage de détective, auquel Raymond Chandler ( mais aussi Dashiell Hammet avec son Sam Spade ),  a donné ses  lettres de noblesse et modernité. En, en faisant un personnage à la fois bagarreur et cynique vis à vis de la corruption généralisée ( politiciens et policiers ) de la société, à laquelle il oppose son intégrité inflexible ( y compris aux femmes fatales ), quitte à sombrer parfois dans la déprime et dans l’alcool. Ici, notre Doc, tout aussi combattif, a tendance à vouloir échapper à la déprime par l’utilisation immodérée de produits « tripants » que vient surligner sa dégaine vestimentaire Hippie du plus bel effet, que Paul Thomas Anderson dans un séquence pointe avec un air amusé, en le montrant s’en aller par provocation, en «  hippie chic » à un rendez-vous important avec des « huiles de la haute » !. Et que dire de son « duel » de dialogues à double-sens ( et à mourir de rire) avec le policier (Josh Brolin ) responsable de l’enquête dont l’aversion réciproque ressentie l’un envers l’autre, constitue avec d’autres, le fil rouge du récit.

Joaquin Phoenix  et  Katherine Waterston
Joaquin Phoenix et Katherine Waterston

Avec Paul Thomas Anderson on nage constamment, en plein délire et en plein récit sous effets hallucinés, qui ne fait que rendre l’enquête déjà complexe, encore un peu plus difficile à suivre . Et c’est là, que le cinéaste fait preuve dans la conduite du récit et de sa mise en scène d’une maestria incroyable, jouant justement de tous ces décalages pour nous inviter à nous laisser emporter sans retenue dans une sorte de voyage en porte-à-faux, où les délires des uns et des autres constituent en quelque sorte la dynamique nécessaire pour nous donner à voir cette fameuse corruption sociétale en marche , dont quelques séquences d’images restitués par le petit écran font référence à l’Amérique de la période post Soixante-Huitarde.  Cette Amérique sombrant en pleine décadence politique réactionnaire laissant fleurir toutes les compromissions. On vous laissera en laissera découvrir les nombreuses dérives qui nous sont proposées dans le sillage du Doc  et de son enquête pour tenter de faire jour à la vérité, sur les chantages, disparitions et autres meurtres qui y sont liés. Personnages manipulés par les camps opposés et ne sachant plus à quel Saint se vouer à l’image de Coy l’ex- Saxophoniste ( Owen Wilson ) , ou encore de Shasta, prise au piège de ces groupes de l’ombre ( les « Bikers » Néo-nazis ou Cartels Asiatiques de la drogue ), auxquels Doc, va devoir se mesurer. Univers -symboles de la « trahison des idéaux Américains des années Soixante, par le libéralisme , le mercantilisme et les dérives qui ont accompagné la paranoïa des Années Nixon », fustigés par l’auteur du roman dont le héros Doc  dans  son combat, s’inscrit dans la tradition, on l’a dit, des romans et des films noirs des Années 1940.

Joaquin Phoenix  et Owen Wilson
Joaquin Phoenix et Owen Wilson

La force du film et le double impact qui fait mouche, c’est justement la manière dont Paul Thomas Anderson s’inscrit dans cette continuité en hommage, en même temps qu’il y développe sa propre écriture cinématographique. L’hommage y est revendiqué, à la fois aux romans noirs des Années 1940, mais aussi aux films qui en ont construit l’iconographie dans les mémoires des cinéphiles, via deux grands classiques : Le Grand Sommeil d’Howard Hawks      ( 1946) et Le Faucon Maltais (1941) de John Huston. On y retrouve l’incroyable mystère dans lequel l’intrigue baigne et rend celle-ci de plus en plus inquiétante. En s’inscrivant dans cette approche, Paul Thomas Anderson semble vouloir , sublimer encore un peu plus le mystère, en y inscrivant les décalages d’un humour, que ne renierait pas un certain Tex Avery  qui en avait fait le « sel » de ses dessins animés . Dès lors la dimension des envolées ( délirantes et poétiques, aux accents surréalistes ) qu’il lui offre, est à tomber… parce que toujours inscrite , dans une dynamique de récit qui ne cesse de déstabiliser les certitudes ( du spectateur et du jeu qui consiste à vouloir aussi démêler l’intrigue , et trouver le ou les coupables …). Ne vous y risquez pas , Paul Thomas Anderson , à ce jeu et jusqu’au final vous y perdra…et sa manière de le faire est subtile, inscrite dans le double -jeu et double sens , des dialogues ou de l’intrigue, qui tout à coup finit par dérailler.

Joaquin Phoenix  et  Josh Brolin
Joaquin Phoenix et Josh Brolin

On pourrait en multiplier les exemples, mais un seul nous semble suffisant, celui de la séquence où l’on voit notre Doc,  réagir par un cri aussi ahurissant que surprenant à une photographie qui lui est montrée. Et sa réaction dont on attend qu’on nous en donne la raison qui la justifie ( le plan insert sur la photo ) est volontairement éludé, laissant a l’imaginaire du spectateur s’en faire sa propre opinion. Et cette manière d’appeler l’attention et le regard du spectateur et d’y inscrire l’illusion, le doute et le mystère a quelque chose d’irrésistible et de fascinant. Ne manquez pas le rendez-vous de la surprise et d’une mise en scène qui vous entraîne dans sa spirale vertigineuse. Ce n’est sans doute pas un hasard d’ailleurs , si , l’espace d’un instant traverse l’écran  la silhouette d’une femme blonde aux cheveux coiffés  en chignon, comme l’étaient ceux de Kim Novak dans le célèvre Vertigo ( Sueurs froides / 1958) , d’Alfred Hitchcock. (Etienne Ballérini) INHERENT VICE de Paul Thomas Anderson -2015- Avec : Joaquin Phoenix, Josh Brolin , Owen Wilson , Katherine Waterston, Reese Whiterspoon, Benicio Del Toro , Martin Short , Eric Roberts ….

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s