LES JOURS VENUS de Romain Goupil .
Le réalisateur de Lettre pour L ( 1994 ) et de Les mains en l’air (201O ) ,nous propose avec son nouveau film un voyage dans son passé de militant et une réflexion sur ses idéaux , confrontés à l’évolution de la société moderne . Un voyage malin, au fil du temps, et en questionnements sur les idéaux ,l’Utopie , la transmission et le cinéma,…

Romain Goupil connu pour son passé de leader Lycéen en 1968 et de militant Trotskyste membre de la Ligue Communiste ( de laquelle il se détachera ensuite) , dont son cinéma a souvent relayé les réflexion et les luttes , comme l’évoque son premier film Mourir à Trente ans (1982) où il parle ( avec documents d’époque) de cette période des luttes lycéenes et étudiantes et du suicide de son copain Michel Recanati en 1978 . Dans Les Jours Venus , le cinéaste, aujourd’hui soixantenaire, explore son passé et ses idéaux en les « confrontant avec le temps et la réalité de notre société moderne » , mêlant scènes de fiction et documents d’archives. Habilement , il convoque ses souvenirs en nous entraînant dans ses aventures et combats militants , en même temps le soixantenaire d’aujourd’hui perçu comme un » ancien combattant » par ses enfants, et modelé par la vie , s’interroge sur comment les utopies d’hier se sont liquéfiées dans une certain conformisme , et, au fil du temps, elles ont été détournées de leur but , sans doute par une absence de transmission. Ce manque qui finit par l’interpeller sur la manière dont , aujourd’hui, avec les méthodes de communications modernes, il est nécessaire de repenser le cinéma militant et politique « c’est l’histoire d ‘un type …le noeud de mon histoire c’est quand il se demande comment utiliser son pouvoir . Pour changer les choses . Ou pour changer le monde ».

Les jours venus , le film qu’il a décidé de faire pour « explorer » ces thèmes de réflexion , il le conçoit comme un portrait dont le trame est construite sur les souvenirs personnels d’évènements qui ont compté dans sa vie , scandés par des mots- clé et des chapitres suscitant la réflexion avec un petit air espiègle bienvenu , qui permet de contourner le pensum idéologique, pour mieux , le faire sourdre subtilement au détour des séquences . Ainsi la réflexion sur la manière dont le cinéma doit rendre compte de la réalité vient s’inscrire dans une discussion avec une amie productrice ( Noémie Lvovski ) à laquelle le cinéaste présente son projet de réaliser son film , comme une auto-biographie où documentaire et fiction seraient mêlés , qui , à la manière de Jean- Luc Godard interpellerait sur comment au cinéma , faire « une image juste ». Le débat entre les deux concernés s’installe alors sur la « reconstruction » des événements par la mise en scène , ou la « captation » in situ de ceux-ci par les moyens modernes ( téléphones portables , caméras …) retransmis quasi instantanément sur internet . Entre documentaire d’hier et fiction d’aujourd’hui , la perspective de rendre compte de la réalité et de l’actualité , est totalement modifiée. Le débat fait écho à cette interrogation , sur la morale » un travelling est une affaire de morale » , disait encore Jean -Luc Godard . Alors, le cinéaste qui s’y dévoile au travers des « instantanés » de sa vie , dont, l’aboutissement en scénario et en film, ne pourra pas se concrétiser ..annonçant d’une certaine manière la « mort » de sa créativité dans un final totalement décalé et loufoque , où la mise en scène du tournage de son propre enterrement devient une empoignade avec les figurant dirigés par celui-ci , de manière « dictatoriale » ! .

Ce dernier évoque donc en plusieurs chapitres ces « jours venus » où le passé refait surface au coeur de la cité des artistes à Montmarte où ont vécu ses ancêtres et où il est né . Ou encore , ce séjour à Sarajevo en pleine guerre en 1994 où il va faire une rencontre déterminante , celle de Sandra dont la liaison se concrétisera par la naissance de son fils, Jules. Ce fils et ses enfants d’aujourd’hui qui seront au cœur de la réflexion sur la transmission à la fois , dans la scène où il se retrouve interrogé par son fils et ses copains de classe pour un sujet sur les événements de 1968 « vous lanciez des cocktails molotov ? , t’as déjà vu un flic en feu ? », . Mais également dans l’étonnante scène des « vélibs » vus comme une « utopie communiste » ( le vélo pour tout le monde ) qui est mise à mal par la « vandalisation » dont son propre fils s’en rendra coupable . Le jour venu aussi d’affronter une réalité , celle de l’âge et du temps qui passe et que les institutions vous rappellent, à l’image de ce courrier de administratif qui vous ramène à la réalité et vous oblige à affronter les démarches pour la retraite , ou , d’avoir une mise au point sur l’état de vos comptes bancaires « vous vous rendez compte de la situation ? », avec une représentante ( Valéria Bruni -Tedeschi ) qui se montre malgré tout compréhensive.

Le jour venu où il faudra s’occuper de l’association de propriétaires et y régler les luttes intestines qui rappellent celles des réunions Politiques . Le jour venu de cette confrontation sur la transmission avec ses enfants qui ne voient en vous qu’un « vieux » combattant dépassé…. qui en refuse le rôle , mais qui s’interroge sur ce qu’il a bien pu leur léguer de ses idéaux . D’autant que le jour est venu ou le temps se décompte « tu vas bientôt être grand-mère » , dit-il à sa femme, c’est celui aussi où l’on parle plus du passé que de l’avenir « avant on ne parlait pas d’argent …On ne discutait que de politique . Puis , vers 40/ 50 ans , tous les diners tournaient autour du prix du mètre carré et , et maintenant on ne parle que de la prostate ! » .
Comédie aux accents parfois surréalistes , et réflexion désenchantée ( ou réaliste?) ) sur le militantisme et sur le cinéma militant vis à vis duquel le Cinéaste semble avoir une idée assez contrastée , pensant qu’un film doit avant tout créer la réflexion , interpeller ou susciter l’indignation , et non pas asséner des idées qui puissent sembler péremptoires .
(Etienne Ballérini)
LES JOURS VENUS de Romain Goupil -2015-
Avec : Romain Goupil, Véléria Buni-Tedeschi, Marina Hands , Noémie Lvovsky …