Cinéma / PHOENIX de Christian Petzold

PHOENIX de Christian Petzold.

Après le superbe Barbara ( 2012 ) le cinéaste Allemand continue à revisiter le passé de son pays avec le récit de cette rescapée d’Auschwitz à la recherche dans les ruines d’un Berlin de l’après-guerre d’un possible (?) futur à (se ) reconstruire. Les retrouvailles d’amis , et d’un mari soupçonné de trahison , suffiront-elles pour lui permettre, comme le « phoenix »,  de renaître… à la vie ?.

l'Affiche  du  Film.
l’Affiche du Film.

Une voiture qui roule phare allumés dans l’ombre et la froidure d’une nuit d’hiver. Un poste frontière et les gardes qui demandent et vérifient les documents des deux passagères dont l’une d’entr’elle , Nelly ( Nina Hoos) a le visage caché sous des bandes blanches de pansement . Sommée par l’un des policiers de les enlever et de montrer son visage, c’est un visage gravement défiguré que ce dernier découvrira…et finira par se confondre en excuses La séquence d’ouverture du film installe , aussitôt, la dimension de la tragédie que la jeune femme vient de vivre et dont on apprendra quelle est l’unique rescapée d’Auschwitz d’une famille juive déportée dans le camp. Accompagnée par son amie , Lena ( Nina Kuzendorf ) chez un médecin , elle devra se faire à l’idée que la seule manière de retrouver les traits d’un « visage » acceptable , est d’avoir recours à une métamorphose esthétique. Un choix difficile de perte d’identité physique à laquelle cette ex-chanteuse jadis en vue, a du mal à devoir se résoudre . Mais nécessité faisant loi,  elle s’y résigne,  entamant après l’opération, une longue période de soins. Hantée par son passé et surtout par le désir de retrouver celui, son mari Johnny ( Ronald Zehrfeld ), dont le souvenir lui a permis de survivre à l’enfer, sa priorité au sortir des soins sera de le retrouver a tout prix !. Est-il encore en vie ?, Son amie Lena , lui explique qu’elle a rompu les contacts avec,  celui,  qu’elle considère comme un traitre  qu’elle soupçonne d’être à l’origine de l’ arrestation de Nelly !.. Nelly refuse d’y croire , et va errer à sa recherche dans un Berlin en ruine,occupé par l’armée Américaine …

Nelly ( Nina  Hoos)  erre  , à la recherche de  Johnny ,dans les  ruines de  Berlin
Nelly ( Nina Hoos) erre , à la recherche de Johnny ,dans les ruines de Berlin

Nelly hante longtemps, jour et nuit , les décombres Berlinoises et ses dangers ( on s’y frotte aux vols et au violences , il y est conseillé de sortir armé …) , dans l’espoir de retrouver Johnny . Un soir, attirée par les lumières rouges d’une boîte de nuit , le Phoenix, où alcool , rencontres possibles, et musique réunissent dans la recherche de plaisirs , les soldats Américains. Elle  y entre  et  reconnaît  en la personne d’un des serveurs  son Johnny …qui, lui , forcément ne la reconnaîtra pas !. Lui, d’ailleurs la croit morte… c’est ce qu’il  confiera à cette « étrangère » qui rode autour de lui, l’appelant de son prénom et dont il est fasciné à la fois par son obstination à s’imposer et sa personnalité. L’idée vient alors  à Johnny d’exploiter cette inconnue et lui faire jouer le rôle de sa femme disparue, afin de récupérer la grosse fortune Familiale dont elle est légataire !.  Au lieu d’être sidérée  par la proposition de  Johnny   de devenir sa propre « copie » , la voilà qui se laisse emporter par le double désir de se voir reconnue par celui qu’elle n’a  pas cessé d’aimer. Pour  elle, jouer le jeu jusqu’au bout est la seule façon …de  redevenir  la vraie  Nelly  et  non pas  être  sa  copie .  Au delà d’affronter la nouvelle épreuve de l’amour   ( ou  de  confondre Johnny ) , s’ajoute  celle de dépasser les stigmates de sa nouvelle apparence  causée  par  les  épreuves du camp et de la souffrance , et retrouver une dignité.  C’est la très belle idée du film, celle d’un épreuve vécue comme une nouveau sacrifice nécessaire dont le choix du secret gardé par Nelly, va être au cœur du huis -clos de la relation ambigüe qui va s’installer, entre elle et Johnny. Chacun , aveuglé par sa propre détermination dévisageant l’autre et le poussant un peu plus loin dans ses retranchements …

Léna (  Nina  Kuzendorf ) , l'amie  de  Nelly
Léna ( Nina Kuzendorf ) , l’amie de Nelly

Adapté librement du roman de l’écrivain Hubert Montheilet, Le Retour des cendres , le film inscrit au cœur d’une mise en scène qui fait appel au grand cinéma et à ses références ( Jacques Tourneur, Georges Franju, Max Ophüls, ou ,  Alfred Hitchcock…) , comme miroir enrichissant d’un récit au cœur duquel le mélodrame s’installe, pour faire sourdre les séquelles à soigner du double traumatisme , d’un amour et d’un pays exsangue, contraints d’affronter le passé pour se  ( re )construire un avenir. Ces cendres encore brûlantes qu’il est nécessaire d’attiser, et dont le cinéaste explore depuis plusieurs films les fantômes qui hantent ses personnages, comme les questionnements et remises à plat nécessaires à  faire  pour lever définitivement cette « chape de plomb » sous laquelle ils ont étés ensevelis . A l’image de ses héroïnes  ( Nelly ici, ou la Barbara d’ hier victime de la STASI ), il interroge le passé d’un pays et les cicatrices profondes  qui restent à combler dont celles du visage de Nelly sont emblématiques.  Son amie Lena, les pointe d’ailleurs en évoquant la possible trahison de Johnny , mais aussi et surtout, ces silences sur un passé    ( les arrestations, les camps et l’indifférence de l’oubli dans les décombres de l’après- guerre …) dont on préfère le déni à la repentance,  et dont surtout , les crimes restent impunis. Lena ,  ne le supportera pas…

 scène de  tournage . au premier  plan à  gauche ( Christian Petzold )  dirige  la scène du huis  clos  où  Johnny ( Ronald  Zerhfeld )   cherche  à convaincre  Nelly (  Nina  Hoos) de   jouer  le rôle de  sa  femme revenante ...
scène de tournage – au premier plan à gauche ( Christian  Petzold, le  réalisateur ) dirige la scène du huis clos où Johnny ( Ronald Zerhfeld ) cherche à convaincre Nelly          ( Nina Hoos) de jouer le rôle de sa femme …

Nelly , elle, va accepter le compromis de Johnny, comme passage obligé pour survivre à sa tragédie . Elle qui semble avoir été vidée de sa substance vitale «  je n’existe plus », va trouver dans le prix à payer de la soumission à son Pygmalion manipulateur ( les belles scènes où il l’oblige …à redevenir la Nelly d’autrefois ) , les premiers indices d’une réappropriation de sa vraie personnalité. Les habits , le maquillage , la teinte des cheveux , et les gestes …qui permettent de la restaurer à la manière d’un tableau , lui offrent  l’opportunité  de trouver le chemin d’une forme d’émancipation. Les mensonges qu’il faudra dire pour jouer le jeu deviennent les armes de sa révolte ( la scène du « maquillage » du numéro de déportée sur le bras que Johnny veut lui imposer),  qui renvoie au magnifique final des retrouvailles avec les amis d’hier où dans le salon elle chante ,accompagnée  au  Piano  comme jadis  par Johnny,  le « Speak Low» de Kurt Weil . Subtilement Christian Petzold inscrit au cœur de la mélodie amoureuse, les images et les plans ( les regards croisés de Nelly et Johnny ) d’une confession libératrice du mensonge. Nelly peut désormais s’ouvrir à l’espoir, libérée de ses fantômes.

Après Barbara, Christian Petzold nous offre une autre superbe plongée au cœur des démons d’une Allemagne qui a du mal à se remettre d’un passé traumatisant dont les survivants qui tentent comme Nelly d’y échapper, semblent encore peser comme des fantômes sur le présent. Avec  au rendez-vous  pour le servir son fidèle co-scénariste, Harun Farocki ( disparu l’an dernier ) et les deux comédiens remarquables déjà réunis dans Barbara , qui  donnent  une belle dimension et approche psychologique à la relation troublante qui s’installe entre Johnny et Nelly.Leur interprétation habitée de sidération , révolte , souffrance et violence , offre au mélodrame la dimension d’un certain réalisme fantastique du plus bel effet …

(Etienne Ballérini)

PHOENIX de Christian Petzold -2015-
Avec : Nina Hoos, Ronald Zehrfeld, Nina Kuzendorf, Trystan Putter ,Michaël Martins…

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