Après Head On et De l’autre Côté, le nouveau film du cinéaste d’origine Turque clôt une Trilogie sur « l’Amour, la mort et le Diable » en abordant le sujet du Génocide Arménien , sous la forme populaire d’une Odyssée épique de plusieurs années , autour du personnage principal , un forgeron rescapé du drame dans sa quête éperdue jusqu’au bout de l’espoir, pour retrouver ses filles survivantes …

Le cinéaste d’origine Turque qui est né en Allemagne a construit depuis ses débuts ( l’Engrenage / 1998 ) une œuvre remarquable ( reconnue dans les Festivals et par les critiques du monde entier) au long de laquelle il s’est penché sur les problèmes d’immigration , de racisme et de tolérance . Et il frappa un grand coup avec Head-On ( 2004- Ours d’or au Festival de Berlin) avec lequel il va aborder sur la thématique de la vie , ses espérances, ses souffrances et ses dangers , les thèmes qui lui tiennent à cœur ( l’amour , la mort et le diable) de sa trilogie qui s’y rattachent , et dont les individus qui y sont confrontés vont traverser les épreuves et les dangers . Avec The Cut ( Sélectionné au dernier Festival de Venise et à celui du Caire ) , c’est Le « diable » qui s’invite au cœur de ce dernier volet , comme une réflexion doublement emblématique sur le mal , ce « démon qui sommeille en nous » , qu’il a voulu mettre au cœur d’un sujet – le génocide Arménien – qui le concerne au plus au point en tant qu’artiste d’origine Turque , en interpellant sur l’aspect essentiel de « la peur de faire face à notre histoire », explique -t-il dans le dossier de presse du film. Une démarche destinée à interpeller les politiques de son pays d’origine qui n’ ont , à ce jour, toujours pas voulu reconnaître, mais aussi les citoyens.

Un choix qu’il explique naturellement « Je n’ai pas choisi ce thème, c’est lui qui m’a choisi !. Mes parents sont Turcs et donc ce sujet m’interpelle en particulier parce qu’il est tabou. Les interdits m’intriguent toujours , ils me donnent envie d’en savoir plus (…), c’est le livre du célèbre journaliste Turc Hasan Cemal « 1915 , le génocide Arménien » , qui m’a donné le courage de faire The Cut », dit-il . Mais y a contribué fortement aussi , l’assassinat du journaliste Turc et écrivain Hrant Dink d’origine Arménienne, ( à qui le film est d’ailleurs dédié …) qui fut assassiné en 2007 devant les locaux de son journal Bilingue Agos, à Istambul par un jeune Nationaliste Turc de 17 ans. Un « crime » qui a bouleversé le Cinéaste , et dont il fustige et dénonce les responsabilités sans détours « quand la population entière d’un pays est abreuvée de mensonges par les autorités , quand génération après génération on lui répète : « c’est un mensonge, ce n’est pas ce qui s’est réellement passé », elle finit par l’assimiler. C’est le cas de la plupart des gens en Turquie. Leurs parents , leurs livres d’école et leurs journaux ne leur ont jamais fourni une version différente des événements . Je n’ai aucun reproche à leur faire, mais je ne suis pas pas d’accord avec les Politiques qui disent qu’il faut laisser l’histoire aux Historiens. L’Histoire nous appartient . Elle appartient au peuple, à tout le monde » , dit-il.

Et, porté par cette conviction, il s’est donc mis au travail, s’est énormément documenté sur le sujet, s’est entouré de spécialistes …s’est même rendu en Arménie , à Cuba et En Amérique pour recueillir des témoignages dont le film s’est enrichi pour décrire le parcours de son héros . Il s’est entouré de l’historienne Kathrin Pollow pour l’exactitude des faits historiques sur lesquels il voulait baser le récit et le vécu du parcours de son héros . Il s’est également entouré d’une équipe de production et technique qui lui a apporté les éléments nécessaires pour définir et orienter ses choix de récits et artistiques sur un mode de narration classique voulu de la fresque . Avec pour l’écriture , l’aide précieuse de Mardik Martin d’origine Arménienne et ancien scénariste de Martin Scorsese ( sur Raging Bull par exemple ) ; complété par le travail sur la lumière de la photographie de de Rainer Klausman ), et celui du chef décorateur Allan Starski ( à qui l’on doit ceux de La Liste de Schindler de Spielberg et du Pianiste de Polanski ). Un superbe travail qui permet d’offrir aux séquences ( extérieurs et intérieurs ) des différents pays, à la fois ,le classique de la fresque et la nécessaire authenticité à la restitution de cette quête et des événements dans lesquels le héros, Nazaret Manoogian ( Tahar Rahim) est amené, pendants dix ans, à surmonter tous les obstacles – et ils seront nombreux – pour tenter de retrouver ses deux filles rescapées du massacre dont il apprendra , chemin faisant , les terribles épreuves qu’elles ont eu à subir, elles aussi . La description de ce parcours de recherche parallèle dont le récit est fait par les témoignages ( la scène de l’orphelinat …) multiples , de ceux qui les ont croisées , est une des belles idées du film.

En entretenant l’espoir de la quête du père , elle suscite l’intérêt du spectateur qui, à chaque étape voit, son attention sollicitée par la nouvelle que va devoir affronter Nazaret, le forgeron. Et les étapes de son périple – autre belle idée du récit- sont construites en forme d’écho au génocide Arménien dont il traduit les conséquences des événements traumatisants vécus par Nazaret au long de son parcours. A commencer par l’arrestation de la famille , la tragédie de la séparation subie avec sa femme et ses filles , puis la déportation dans un camp , la mort à laquelle il échappe … puis , cette séquence de « la marche de la mort », dans le désert de Mésopotamie . Du génocide, dont il fait la toile de fond , qui interpelle , en même temps qu’elle installe la réflexion sur des thématiques ( les guerres et leurs conséquences migratoires forcées ), renvoyant à d’autres tragédies de l’actualité moderne . Mais , au cœur de la tragédie Fatih Akin installe , aussi, l’espoir et cette humanité qui s’y manifeste . Comme la magnifique séquence de l’exécution à laquelle Nazaret échappe grâce à celui qui devait être son bourreau qui la maquillera , puis , lui portera secours . Des bons Samaritains il n’en manquera pas sur le parcours de Nazaret ( le beau personnage de Krikor / Simon Abkarian ) pour arriver jusqu’au bout de son chemin… en Amérique. La solidarité et l’entr’aide y feront souvent échec à l’intolérance et à la bêtise. Et Nazaret saura , à la manière de Charlot ( la belle séquence de la projection du Kid de Chaplin en plein air dans un camp de transit), trouver aussi , les réponses pour botter les fesses aux malotrus ( à Cuba ) et aux racistes ( du Ku Klux Klan , aux Usa ), de tous poils.

Fatih Akin inscrit par de beaux moments ces tonalités de la comédie qui désamorcent le drame, avec l’écho des références cinématographiques auxquelles il fait appel, qui ont inscrit le drame universel des guerres et des génocides dans les mémoires collectives pour en dénoncer les tragédies humaines et les cicatrices individuelles qui s’y inscrivent, dont l’odyssée de Nazaret est emblématique. La scène où l’on voit Nazaret dans le bateau rempli de migrants découvrant les buildings de New-York et la statue de la Liberté renvoie à une double et célèbre , référence cinématographique : au film Le Pèlerin de Charlie Chaplin , et à celui d’Elia Kazan América , América . Si Fatih Akin n’hésite pas à s’y référer ( comme au cinéma de John Ford et de Scorsese qu’il admire ) c’est qu’il s’inscrit dans une démarche artistique et cinématographique revendiquée des « maitres », inspiration au sein de laquelle il décline sa propre liberté créative de ses thèmes avec son regard scrutateur sur l’âme humaine dont il scrute ce fameux « diable » qui, parfois , s’y cache et qui lui fait peur, et , auquel comme son héros il répond een y faisant face avec l’arme de son cinéma , rempli d’une touchante humanité dont il célèbre avec pudeur et retenue, la beauté, avec le récit du parcours douloureux d’un homme brisé par les destin , mais jamais résigné , dans sa quête éperdue…
(Etienne Ballérini)
THE CUT ( la Bléssure ) de Fatih Akin -2014-
Avec : Tahar Rahim, Simon Abkarian, Makram J. Koury, Hindi Zahra, Kevork Malykian…