Avec un CD (1) Giu La Testa signé en commun, le guitariste Sylvain Luc et le saxophoniste Stefano di Batista vont faire le bonheur de tous ceux qui les écouteront lors de leur tournée. Ce CD est principalement un hommage rendu aux musiques de films les plus connues et, bien calé dans son fauteuil, en les écoutant, on revoit avec émotion des images que l’on n’oublie pas.

Il est difficile de parler de leur association sans évoquer en quelques lignes les grands moments qui ont jalonné les carrières de chacun. Pour Sylvain Luc, il y a d’abord eu ses débuts d’accompagnateur des vedettes de variétés comme Catherine Lara et Michel Jonasz mais, très vite, des grands noms du jazz vont lui demander de jouer avec eux et déjà une formation en duo le branche, elle verra le jour avec un autre guitariste Louis Winsberg, ce sera ensuite avec le trompettiste Stéphane Belmondo, on connaît le succès qu’ils ont remporté avec l’enregistrement Ameskari. Une nouvelle fois, un autre duo se fera entendre avec le guitariste Birelli Lagrène dans un excellent CD Duet. Bien sûr comme d’autres grands artistes, les récompenses sont au rendez vous…un Django d’Or avec Didier Lockwood et une Victoire de la Musique pour le fameux Trio Sud avec le bassiste Jean Marc Jafet et le batteur André Ceccarelli, quant à Stefano Di Battista, il est aussi italien de naissance que français d’adoption. Très vite, il sera reconnu surtout quand il intègre l’ONJ (Orchestre National de Jazz) dirigé à l’époque par Laurent Cugny, puis le sextet du pianiste Michel Petrucciani sans oublier son aura internationale quand, Elvin Jones lui demande de l’accompagner en tournée. Il y aura aussi un énorme succès avec un CD assez original Round about Roma, avec son quartet il enregistre avec un orchestre symphonique de plus de 40 musiciens.
S’il a souvent rencontré Sylvain Luc, il n’avait jamais joué ensemble, il faut dire que tous les deux restent toujours assez modestes, Sylvain Luc aime répéter « …je ne parle jamais aussi bien de moi que quand je joue » et quand ses fans lui demandent de jouer seul plus longtemps, il répond « Les longs solos de 20 minutes en concert m’emmerdent ». Pour Stefano di Battista, il y a aussi cette même modestie « c’est moi qui joue bien sûr mais je mets mon auditeur sur un chemin sonore et là, par exemple avec ce duo, je suis heureux de revisiter un patrimoine laissé par des compositeurs hors pair qui permettent encore et toujours de siffler ou de chanter des mélodies et de revoir en nous écoutant quelques images gravées dans nos mémoires ». C’est lors de leur duo au concert de jazz de Monte Carlo que ces deux artistes déploient tous leurs talents pour faire ressurgir ces tubes sans âge comme I’ve got a woman de Ray Charles que l’on entend dans le film Ray de Taylor Hackford.
Le film est sorti en salles juste après la mort du « génius » le 10 Juin 2004, mais , Ray Charles a été associé et a participé de près à l’écriture de sa propre « biopic », il s’est fait procurer l’écriture en Braille du scénario et a donné également des indications au cinéaste Taylor Hackford passionné de musique, qui avait réalisé en 1980 le Temps du Rock ‘N’ Roll, et un documentaire sur Chuck Berry. Taylor Hackford , dès 1987 avait acquis les droits d’adaptation de la vie de Ray Charles qu’il a rencontré et interviewé à plusieurs reprises, et s’en est servi pour l’écriture du scénario. Ray Charles a pu voir le premier montage du film avant son décès, et n’a pas tari d’éloges sur le travail de Taylor Hackford « il s’est bien documenté et a bien raconté ma vie ». Les séquences les plus passionnantes du film sont celles du début, qui racontent sa jeunesse et ses traumatismes pour surmonter son handicap, et les douleurs qui l’ont hanté toute sa vie et qui ensuite durant les épreuves lui reviennent en mémoire en flash-back . Taylor Hackford en a fait le fil rouge de son film qui lui permet d’expliquer ce dont l’oeuvre musicale s’est nourrie, de la complexité de l’homme.Jamie Foxx qui interprète magnifiquement le rôle de Ray Charles dans le film a dû apprendre à s’immerger dans le monde de la cécité, il a appris le braille, s’est imposé de garder les yeux fermés pendant des heures pour « apprendre à bouger et à saisir les sons » qui échappent au commun des mortels ». Ray Charles a été stupéfait de la performance du comédien (qui par ailleurs joue du piano) et qu’il a invité à jouer avec lui un morceau de Thélonius Monk !
Avec ce titre, Stefano Di Batista a eu l’idée de saturer un peu les sons pour rappeler certainement la voix éraillée du « Genius ». belle reprise aussi de Otto e mezzo que l’on entend dans le film de Fédérico Fellini, 8 ½, et l’on sent que depuis le début de la tournée, les deux musiciens ont peaufiné les arrangements, ils déforment, tordent la ligne constructive du thème, mais juste quelques notes rappellent le film du réalisateur italien qui, bien sûr, avait demandé à son acteur fétiche Marcello Mastroianni d’en être la vedette, c’était déjà 1963 …
Un Cinéaste ( Marcello Mastroianni )dépressif est à cours de créativité fuit les mondanités et l’univers du cinéma pour se réfugier dans les fantasmes et les souvenirs . Les images de l’enfance et de l’éducation religieuse servent de fil rouge aux souvenirs. Et ceux des fantasmes qui y font écho se concrétisent par la séquence devenue une des plus célèbres, parmi tant d’autres, des films de Fellini ; celle du personnage de la « Saragina » femme pulpeuse et court vêtue dansant sur la plage pour les écoliers . Les images également de la station thermale ( le bain de Mastroianni , entouré de femmes dévêtues) où le cinéaste s’est réfugié en compagnie de sa femme et de sa maîtresse . Mais aussi ses amis , collaborateurs et producteurs qui attendent que l’inspiration revienne au « maître », et que le film puisse se terminer.
Autant de séquences accompagnées par les mélodies et la musique de Nino Rota ( à laquelle s’ajoutent celles des auteurs classiques : Wagner Rossini et Léhar ), fidèle accompagnateur des images des films du cinéaste , qui ici offrent aux différentes séquences les tonalités enjouées qui font contrepoint à la dépression du cinéaste et que l’on retrouve dans la scène de la danse de la Saragina, et celles, aux tonalités plus discrètes et nostalgiques qui accompagnent les instants dépressifs du cinéaste ou ses souvenirs plus tristes.
Autre grand moment avec la musique d’Ennio Morricone, on pourrait presque dire les musiques du compositeur italien, tellement nous sommes nombreux à siffloter de temps en temps ces succès entendus dans les films de Sergio Leone comme celui de 1971 « il était une fois la révolution « où le héros est l’excellent James Coburn.
Au cœur du Mexique, en 1913 , un pilleur de diligences , un Irlandais ex de l’IRA spécialiste en explosifs, vont s’associer pour tenter de récupérer des lingots d’or des banques, mais aussi ceux détenus par l’armée . Plongés en plein cœur de la révolution Mexicaine ils découvrent un champ d’horreur et d’exécutions sommaires de prisonniers politiques ( séquences filmées avec maestria par Sergio Leone ) , vont faire pencher le cœur des malfrats qui vont se joindre aux rebelles et devenir les héros d’un combat qui n’était pas le leur ….Sergio Leone a fait appel pour la bande sonore musicale à celui qui a été depuis les débuts son fidèle , Ennio Morricone (1) , avec lequel ils ont posé les jalons d’un accompagnement sonore original. Le très gros plans du cinéaste ou ses longues séquences d’actions ponctuées par d’amples mouvements de caméra , comme les scènes de violence ( ici les exécutions sommaires de prisonniers politiques ) accompagnées par les compositions d’Ennio Morricone forment une sorte « d’osmose », ponctuées par les airs d’harmonica ( dans Il était un fois dans l’Ouest ) , ou ici , quand ils prennent les intonations nostalgiques des « sean , sean, sean » ( prénom du héros du film / James Coburn) interprétés par la Soprano Edda Dell’orso . Des mélodies qui comme les films sont devenues des succès mondiaux.

Bien entendu, comment ne pas oublier un autre grand moment de musique de films avec Michel Legrand, les deux musiciens ont choisi Dingo composé et joué par Michel Legrand et Miles Davis pour le film éponyme de l’australien Rolf de Herr en 1992 qui ne manque pas d’originalité…quand on voit que le scénario se noue à partir de l’avarie d’un moteur d’avion en plein désert et que l’orchestre d’un célèbre trompettiste ne va pas se laisser aller au désespoir et qu’il va improviser un concert au milieu du sable, Sylvain Luc et Stefano di Battista ont voulu rendre hommage à l’immense compositeur qu’est Michel Legrand, là aussi de nombreux cinéphiles fredonnent souvent les grands succès comme les Demoiselles de Rochefort ou les Parapluies de Cherbourg du réalisateur Jacques Demy. Pour cette dernière œuvre, on peut revoir une nouvelle version dans une mise en scène de Vincent Vittoz enregistrée au Châtelet à Paris à l’automne. Ce spectacle a été diffusé sur France 3 le 20 décembre et, bien entendu, la direction a été confiée à Michel Legrand avec l’Orchestre National d’Ile de France.Pour revenir au concert dans la salle de l’Opéra Garnier à Monte Carlo il faut souligner l’extrême finesse de la rythmique avec notamment un chorus au violoncelle de Daniel Sorrentino. Pour conclure on peut dire que parmi tous les duos qui se sont créés ces derniers temps celui-ci revêt un caractère plus original parce qu’il nous rappelle bien sûr les grands moments des chefs d’œuvre du cinéma mais surtout rarement de tels arrangements ont donné l’impression que ces célèbres thèmes revivaient une vie encore plus belle.
Jean Pierre Lamouroux
Etienne Ballérini
Giu La Testa : Harmonia Mundi
(1)Sylvain Luc – guitare
Stefano di Battista – Sax Alto
Daniele Sorrentino – contrebasse et violoncelle
Jean François Dufour – batterie
Ennio Morricone en concert avec choeurs et orchestre
Jeudi 12 mars 2015 – Nice – Palais Nikaia