LES HERITIERS de Marie-Castille Mention-Schaar.
Le troisième long métrage de la réalisatrice de Ma première fois (2012) a été inspiré d’une histoire vraie et interprété et co-scénarisé par Ahmed Dramé, l’un des jeunes élèves du lycée Léon Blum de Créteil qui fut marqué par l’aventure vécue par la classe de seconde que leur professeur décida d’inscrire au Concours National de la Résistance et de la Déportation. Un regard juste et sensible, un témoignage émouvant et nécessaire sur le devoir de mémoire…

Le Concours National de la résistance et de la Déportation, on ne le sait pas toujours , a été crée en 1961 par le ministère de l’Education Nationale d’alors, avec , pour objectif de « servir de mémoire et transmettre des valeurs qui se rattachent aux droits de l’homme et aux principes de la Démocratie , aux lycéens et collégiens » . Chaque année un thème précis est à travailler par les classes des établissements qui y participent . Lors de l’année 2013-2014, plus de 40 000 élèves , l’on fait. Lorsqu’en 2009 Ahmed Dramé qui était en classe de seconde au Lycée Léon Blum de Créteil « la pire des secondes , on était les brebis galeuses du Lycée » explique ce dernier, qui a vécu l’expérience qui l’a marqué au point d’en écrire un livre et de forcer les portes pour la porter à l’écran lui, qui rêvait déjà alors, de cinéma. Une seconde aventure qui va se concrétiser grâce à l’expérience collective acquise et qu’à su insuffler à la classe Madame Anglès ( devenue Anne Gueguen / Ariane Ascaride, dans le film ), lors de la préparation à ce concours, réussissant non seulement à fédérer toute la classe autour de cet objectif , mais surtout, à leur donner confiance en eux-mêmes , et à bousculer tous les a-prioris « Je suis fier d’avoir rendu cet hommage à mes camarades , au lycée, et à Madame Anglès », souligne dans le dossier de presse Ahmed Dramé qui – à son tour – a voulu léguer en héritage son vécu , aux jeunes d’aujourd’hui, comme une belle leçon de vie et d’optimisme, de respect et de tolérance …

l’impact ( réussi ) du film est d’avoir su traduire le vécu d’un regard individuel qui se confond avec la prise de conscience collective d’une classe pour en faire le miroir d’un témoignage sur la France d’aujourd’hui . En bousculant les clichés et les a-proris et en remettant à sa vraie sa place un certain didactisme d’enseignement efficace qui sait se mettre à portée d’élèves et à servir de guide, tout en marquant son autorité, comme l’illustre la scène où la prof n’hésite pas à la faire en disant « j’ai raison, vous avez tort » à une élève indisciplinée , en même temps qu’elle donne le , La, sur l’enseignement du respect mutuel « le secret de mon personnage c’est qu’elle leur montre à chaque instant qu’elle les respecte. Elle leur dit d’ailleurs : elle a plus confiance en eux , qu’eux , en eux mêmes !». Et forcément ça fait mouche !. Et la réussite du film tient à ces séquences où les mots nécessaires sont là pour faire tomber les tensions et briser les préjugés raciaux et ( ou ) religieux , et sortir l’argument juste qui permet de mettre fin aux antagonismes et aux sectarismes . Comme l’illustre la séquence où le débat et les oppositions s’installent à propos du sujet pour le concours en question « les enfants et les adolescents dans le système concentrationnaire Nazi » . Dans cette classe où les origines multi-confessionnelles sont nombreuses, et se font clivantes en forme de réflexes communautaires, la réponse de la prof fuse , sans appel « avez-vous vraiment compris le sujet ? , il ne s’agit , ici, ni de religion ou de race , mais d’enfants du même age que vous, ou plus jeunes encore, pris dans un système …cherchez a comprendre ce que vous ressentiriez à leur place », dit-elle .

La réussite du film est là , dans cette description de la réalité et la vie d’une classe « difficile » et dans l’approche d’une forme de « dialogue » avec les mots justes pour apaiser les tensions et fédérer les énergies « cette histoire est vraie et elle prouve qu’il est possible de passionner les plus rétifs , à condition de les mettre au cœur du processus pédagogique » explique , la cinéaste . Suivie par Ariane Ascaride ( remarquable , habitée par son personnage comme par le sujet ) , qui ajoute « la cohésion est venue grâce au scénario, il n’était pas caricatural, il ne transformait pas les élèves « difficiles » en victimes (…) le travail pour préparer ce concours leur a permis de découvrir cette barbarie par eux- mêmes. Et qui serait restée à l’état d’horreur abstraite , mais qui prend sa pleine signification lorsque ce sont eux qui font leurs propres investigations », dit-elle .
Comme cette jeune fille qui découvre Le journal d’Anne Frank, ou ce garçon qui lit la bande dessinée sur les Camps et la Shoah , et cet autre qui la découvre par le film de Steven Spielberg , La Liste de Schindler. Et puis ces documents qui attestent que « la Gestapo avait donné l’ordre de rafler les enfants Juifs . Mais que c’est Laval et l’état Français qui ont fait du zèle en demandant aux Policiers Français de leur fournir les enfants mineurs quand ils étaient d’origine étrangère » !, dit un élève . Ou encore, toutes ces photographies consultées sur internet ou autres documents qui font état de témoignages laissés en mémoire permettant à chacun de faire revivre un nom , un visage et s’identifier ( belle scène des prénoms que chacun s’approprie ), que vient compléter celle de la visite au Musée National…

Dès lors , les éléments sont réunis qui permettent à chacun de prendre conscience et donner à chaque terme ( Shoah , génocide , idée de race supérieure …) sa vraie signification. Et , surtout, par ce travail de recherche collectif , rendre compte d’ une expérience qui les aura transformés à jamais et permis de comprendre ce qu’avait pu être l’enfer des enfants et des adolescents de leur âge plongés dans la tourmente concentrationnaire. Et il prend toute sa signification , lorsque le visage de l’un d’entr’eux , Léon Zyguel ( séquence bouleversante ) ancien déporté à Auschwitz et Buchenvald et rescapé des camps , qui fut hier, un adolescent comme eux plongé dans cet enfer, se retrouve face à eux pour en témoigner. ( séquence – clé du film, et bouleversante )

.
Tout à coup les mots qui font mouche et les larmes qui embuent les yeux , qui seront effacées par le message faisant appel à leur responsabilité , qu’il leur lègue : « je vous remercie de l’énergie que vous m’avez donnée , et je ne vous demande qu’une seule chose. Ne dites jamais : « sâle juif, sâle nègre, sâle arabe », car tout ce que j’aurais vécu n’aurai servi à rien ! » . Que dire de plus ? … le film voulu par Ahmed Dramé , et réalisé par Marie-Castille Mention-Schaar , dévient dès lors, un véritable et nécessaire héritage pris en compte par une jeunesse qui a eu envie de le perpétuer, dans un présent qui en a bien besoin…
(Etienne Ballérini)
LES HERITIERS de Marie -Camille Mention Schaar – 2014-
Avec : Ariane Ascaride, Ahmed Dramé, Noémie Merlant , Geneviève Mnich, Stéphane Bak,
Wendy Nieto, Léon Zyguel….