Amis lecteurs, nous allons continuer aujourd’hui nos flâneries studieuses dans notre cher Vieux Nice tout plein de choses intéressantes pour qui veut voir et écouter.
En ce qui concerne «écouter», il n’y a malheureusement plus grand chose à découvrir, le parler niçois se perd et c’est bien dommage. On entend toutes les langues dans la vieille ville et le lundi, jour de la grande brocante du Cours Saleya on se croirait à Vintimille ou à San Remo.Seuls quelques irréductibles s’obstinent a parler nissart, idiome que les «français» (c.à.d. natifs d’au delà du fleuve Var), assimilent à un patois italien sans savoir que c’est une langue à part entière très riche, truculente, imagée qui a même su créer des néologismes pour s’adapter à l’époque moderne. Savez-vous par exemple comment dit-on en niçois le mot téléphone? Cette prothèse de l’homme contemporain n’existait pas autrefois et, pour s’adapter à la modernité Francis Gag a trouvé le mot «parlaluen» («qui permet de parler au loin»)! Il y en a d’autres. Attention! Il y a aussi des rues au nom évocateur, très nissart, assez hermétique pour le néophyte comme la rue Mascoïnat(«Mau couïna» = mauvaise cuisine) qui devait abriter des gargottes proposant de la restauration (très) bas de gamme; la rue Pairolière où rue de chaudronniers (Lou Pairou=le chaudron), la rue Barillerie (rue des tonneliers) où la célèbre famille Bréa possédait une maison familiale.
Notre promenade nous amène à côtoyer un grand nombre d’édifices religieux, églises et chapelles de pénitents. Tout cela date de la grande ferveur religieuse qui s’empara des populations à partir de l’an Mille. A partir de cette époque on assiste à une prise en mains par les fidèles eux-même de leur salut éternel qui n’est plus considéré comme étant uniquement l’apanage des religieux. Chacun veut s’impliquer lui-même dans son désir d’accéder à l’Eternité Joyeuse c’est-à-dire au Paradis. Le moine chroniqueur Raoul Glaber (985-vers 1047) note qu’après le chaos du IXè siècle marqué par la chute de l’Empire Romain, les invasions des Barbares et des Sarrazins, c’est comme si le monde se libérait, revivait, rejetant le poids du passé et «se couvrant d’un blanc manteau d’églises». Nice, ne va pas être à l’écart de ce phénomène. Au Moyen Age, les grand soucis pour les populations ont été les épidémies de peste et de choléra, pour lesquelles, faute de mieux on se protégeait en élevant des chapelles votives à St Sébastien, à St Roch, à Ste Rosalie que l’on honorait par des prières et des processions. Les guerres récurrentes, autre fléau, on les subissaient. La vieille ville se couvrit ainsi d’édifices religieux, de couvents de diverses congrégations. Savez-vous, qu’à la place du Palais de Justice actuel existait depuis 1243 un grand couvent de Dominicains (Frères prêcheurs)? Ces religieux chassée par la Révolution en 1793, ont réapparu timidement à Nice vers 1939, occupant alors l’ancien couvent des Minimes de St François-de-Paule jouxtant l’église éponyme. Ces mêmes Minimes disparus eux aussi à l’arrivée des Français occupaient jusqu’en 1741 un couvent accolé à l’actuelle chapelle des Pénitents Blancs (angle rue de la Croix et rue St Joseph). L’ancien couvent des Dominicains sera démoli en 1890 pour faire place au Palais de Justice actuel.
A ce propos, voici un «scoop», mais n’en parlez surtout pas! On a découvert assez récemment qu’une salle du palais des rois sardes, servant d’atelier de maintenance technique serait en fait le choeur de l’ancienne église des Dominicains, réchappé de la destruction du couvent en 1890. A cet endroit, il y avait des tombeaux dont celui du cardinal Simone da Borsano, réfugié à Nice chez les Dominicains en 1380 suite aux errements du pape Urbain VI ayant conduit au grand schisme d’Occident. Tout le monde croyait ce caveau perdu à jamais, pourtant on peut maintenant espérer qu’il existe toujours et qu’il sera remis à jour lors de prochaines fouilles dans ce secteur, patience donc!
La vénérable Cathédrale Sainte-Marie-du-Château fut abandonnée à la fin du XVIè siècle et se délocalisa dans la chapelle primitive Sainte-Réparate dans la ville basse. L’humble sanctuaire devint cathédrale suite à de gros travaux de rénovation entrepris non sans difficultés au XVIIè siècle juste après la construction par les jésuites de l’église de Saint-Jacques-Le-Majeur, dite du JESUS, succédant, elle, à un édifice primitif dit «La Chiesetta» datant de 1612.

On trouve aussi des chapelles de Pénitents. Chacune des quatre grandes confréries apparues à partir du XIVè siècle, Pénitents Blancs (1306), Pénitents Noirs(1329), Pénitents Bleus(1461), Pénitents Rouges(1826) possède la sienne.Ces associations sont toujours actives mais n’ont toutefois plus le grand rayonnement qu’elles pouvaient avoir il ya quelques siècles. Elles constituaient jadis la protection sociale du peuple à une époque où les dirigeants s’occupaient plutôt de géopolitique et de guerre que du bien-être de leurs administrés. Elles géraient des hôpitaux, des monts de piété, des monts granatiques, se chargeaient de l’enterrement des morts principalement en période d’épidémies de peste ou de choléra, géraient aussi des orphelinats. Les membres bénévoles de ces associations, les «confrères»(chrétiens), malgré leur tenue (capa et cagoule), n’étaient pourtant pas des religieux «professionnels» mais des citoyens comme les autres ayant leurs métiers, leurs familles, le but recherché étant de mériter leur paradis en se consacrant ici-bas aux plus déshérités de la société. De nos jours seule la capa est restée, la cagoule a disparu depuis les années 1930 pour éviter un douteux amalgame avec le sinistre Ku Klux Klan américain. Il existait aussi une confrérie exclusivement féminine dite des Humiliées de Sainte Elisabeth de Hongrie qui s’agrégea en 1787 avec celle des Blancs du Gonfalon. Leur messe du 17 novembre, dite «Messe des Dames» est toujours célébrée de nos jours. A cette occasion, exceptionnellement, les pénitentes se tiennent sur les stalles, dans le choeur de la chapelle tandis que les hommes sont dans la nef des fidèles. Une fois par an, c’est çà la parité et c’est bien suffisant disent les confrères!
D’autres belles églises sont à visiter comme Saint-Martin-Saint-Augustin tout près de la place Garibaldi. Ce sanctuaire à enregistré le baptême de Giuseppe Garibaldi et, dit-on, le moine augustin Martin Luther y aurait célébré une messe au cours d’un passage à Nice, mais ceci est sujet à caution. Cette église est de style baroque, sa façade fut remaniée au XIXè siécle et son entrée, latérale jusque là, déplacée en façade, telle que nous la voyons aujourd’hui. Elle comportait autrefois deux clochers identiques, mais, en février 1887, le grand tremblement de terre qui affecta toute la côte ligure et la région niçoise fit effondrer l’un d’entre eux qui fut arasé par mesure de précaution mais non reconstruit.
L’ancien couvent des moines augustins déserté à la Révolution est devenu aujourd’hui la caserne de l’Armée de l’Air sous le nom de caserne Filley du nom de l’intendant qui, accompagnant le duc de Berwick au siège de Nice en 1705 fut, au cours d’une inspection de tranchées, mortellement atteint par un boulet savoyard, épargnant miraculeusement le duc. Curieusement, celui-ci, mourra pourtant de la même façon en juillet 1734, au siège de Phillipsbourg (Lorraine) en inspectant aussi la tranchée!

En parcourant le Vieux-Nice, on côtoie de belles demeures ancienne, d’anciens palais, propriétés de famille nobles niçoises. Ces demeures ont encore de beaux restes, en particulier des cages d’escalier remarquables que l’on peut admirer en profitant d’une ouverture à l’occasion de travaux intérieurs.Vous ne serez pas déçus! Le premier palais des Caïs de Gilette, place Vieille, par exemple vaut le détour.
Dans la rue du Collet, au N°7, on trouve l’ancienne demeure de l’abbé savant Pierre Gioffredo avec sa cage d’escalier d’époque et ses marches en ardoise . On peut déplorer qu’aucune plaque ne signale ce palais qui abrita ce religieux qui a tant fait pour la culture de notre région. Il a eu accès à des documents introuvables aujourd’hui, disparus dans les tourmentes des sièges meurtriers de 1543,1691 et de 1705. Il est vrai que son nom a été attribué à une rue centrale de la ville.

Venons en maintenant à un sujet que j’avais évoqué au début de la première partie et qui à toujours fait couler beaucoup d’encre, je veux parler des mystérieux souterrains de la vieille ville et des légendes qui leurs sont rattachées.
Qui, à Nice n’a jamais entendu parler de ces galeries par un quidam qui tenait le renseignement d’un copain dont la grand-mère avait vu dans le temps une entrée quelque peu lugubre à tel endroit semblant se diriger vers…etc…etc…On a même parlé d’une galerie qui, passant sous le Paillon, rejoignait Cimiez par la rive droite du torrent! De tels travaux de terrassement n’auraient pas manqué de laisser des traces tangibles mais, on en trouve pas dans les archives.
Des galeries souterraines dans la forteresse, il y en a certainement eu mais les sièges successifs de 1543, de 1691 et de 1706, suivi du démantèlement des murailles fortifiées niçoises ont fait disparaître beaucoup de choses, sans parler des rénovations modernes(remise à niveau du réseau d’égoûts en particulier) qui ont beaucoup bouleversé le sous-sol. Nice s’est beaucoup transformée à partir de 1576, le Château devient Citadelle et tous les civils rejoignent la ville basse et réaménagent celle-ci. Les maisons sont surélevées pour se loger et des caves voûtées sont creusées sous les immeubles pour y entreposer denrées et matériels divers. Il fallait bien vivre et travailler!
A la création du ghetto juif dans la rue de la Judaïra (aujourd’hui Benoit Bunico), les israélites doivent demeurer chez eux de 18h le soir à 6h du matin le lendemain, de lourdes portes fermant les deux extrémité de la rue dans cette période.
Les caves, par percement d’ouvertures pouvaient permettre toutefois de communiquer de maison en maison et de se rendre visite les uns les autres. D’anciennes caves voûtées, sur lesquelles ont été bâtis des édifices au cours des âges sont encore visibles et sont assez impressionnantes.Un commerçant de la rue de la Préfecture, expose ses meubles sur trois niveaux dont deux souterrains présentant de magnifiques voûtes en briques d’époque médiévale.Nous avons là affaire à d’anciennes caves qui ont été aménagées pour les besoins du magasin. Au dessus de celui tout voisin, une effigie de St Pierre rappelle au passant que nous sommes là dans l’îlot du même nom, l’ancien quartier des pêcheurs dont St Pierre est le patron. Remarquer aussi au passage, en levant les yeux, la belle fenêtre géminée caractéristique du moyen-âge à l’angle d’une sombre impasse privée. Les dessous de l’église de l’Annonciation-Ste Rita recèlent également des caves souterraines, voûtées de briques, servant d’entrepôts.
L’une d’entre elles abrite même un puits toujours actif, s’alimentant dans la nappe phréatique du Paillon,distribuant une eau limpide et fraîche à l’aide d’une pompe très moderne, elle ! Signalons au passage que la chapelle Sainte-Croix possède, elle aussi, un puits intérieur. Autrefois, il existait des puits publics aux croisements des rues principales pour pallier au manque d’équipement de certains immeubles.

Par contre, oui, il existe encore une galerie assez impressionnante, celle qui traverse de part en part la colline du Château pour rejoindre le Monument aux Morts, place Guynemer. Elle n’est toutefois pas ancienne et date de la Seconde Guerre Mondiale. Dès leur arrivée à Nice en septembre 1943, les Allemands entreprennent de fortifier le littoral méditérranéen et les chantiers s’activent aussitôt. Le grand projet d’une fortification retranchée (festung), sous la colline du Château prends corps sous forme d’une galerie principale qui, partant de l’entrée de l’ascenseur aboutit via une chicane, à gauche du Monument aux Morts.Une autre galerie s’ouvre aussi au voisinage de la première et, via un escalier ouvragé en colimaçon (une récupération du Palais de la Jetée-Promenade!), descend sur plusieurs mètres. rejoint une galerie taillée à même le rocher débouchant au niveau de la mer, à l’à-pic de Rauba-Capeu, desservant une casemate dont l’artillerie avait pour mission de balayer de ses tirs la plage des Ponchettes pour empêcher tout débarquement allié ici.Une salle annexe, creusée sous roche, servait de PC et de soute à munitions. Nous sommes là aux Bains de la Police actuels, bien connus de tous les anciens niçois. Heureusement, cette redoutable forteresse ne sera jamais achevée vu l’avance foudroyante des Alliés à partir du 15 août 1944. Après la guerre, la municipalité J.Médecin profitera de ces travaux pour construire l’ascenseur actuel, mis en service en 1953. Il utilise comme cage l’ancien puits (h=72m) de Bergante (Puits du Diable), creusé en 1517 par cet ingénieur sarde aidé de son fils afin de capter une source alimentant en eau la colline fortifiée , un travail qualifié de grandiose à l’époque. Signalons que la grande galerie est accessible pendant les journées du Patrimoine sous forme de visites guidées et commentées.

Le Vieux-Nice va encore évoluer à partir de 1815, au moment où le duc de Savoie récupère son Comté. Dès le milieu du XIXè siècle, la ville s’étend à l’ouest et ce d’autant plus facilement que Nice n’est plus une place forte. Les murailles n’existent plus depuis 1706 et la population ne voulant pas rester à l’étroit, occupe l’ancien Pré aux Oies sur la rive gauche du Paillon qui se bâtit peu à peu. Un paléotourisme qui avait timidement fait son apparition vers 1750 avec des visiteurs anglais ou suisses (Smollett, Sulzer) reprend vie après la parenthèse révolutionnaire et les riches étrangers affluent de plus en plus dans notre cité attirés par la douceur exceptionnelle de son climat hivernal.
Il y a maintenant non seulement des anglais mais aussi des russes. Tous ces gens, aisés financièrement, préfèrent s’établir sur la rive droite du Paillon, à l’ouest, où un nouveau quartier se crée, le «Newborough» dont l’accès est facilité par la construction en 1826 du pont St Charles bien plus pratique que l’antique Pont Vieux cher au barde niçois Menica Rondelly. Les familles nobles et bourgeoises niçoises délaissent peu à peu la vieille ville où elles possédaient une vingtaine de palais. Une nouvelle population laborieuse formée d’ouvriers, d’artisans, de travailleurs immigrés piémontais les remplacent.Beaucoup de transalpins viennent ici trouver du travail, dans le bâtiment principalement.Nice commence à prendre son visage moderne sous le Second Empire et, bientôt son expansion va s’étendre jusqu’au fleuve Var frontière jusqu’en 1860 entre la France et le royaume de Piémont Sardaigne. Un pont majestueux rail-route va permettre de franchir le fleuve, remplaçant ainsi le vieil ouvrage en bois du général d’Anselme construit en 1792 pour lui permettre de conquérir le Comté de Nice…au grand dam des Niçois!
Amis lecteurs, si cette découverte du Vieux-Nice vous a plu, j’en suis ravi et vous donne rendez-vous prochainement pour d’autres promenades…sivous le voulez bien!
Yann Duvivier (décembre 2014)