La rue de Lépante
Si vous demandez à Nice où se situe la rue de Lépante, il y a de grandes chances qu’on vous réponde : « Ah ! La rue Lépante ? » Pourquoi cette bizarre apocope du « de » ? Car la rue de Lépante ne s’appelle ainsi pas en référence à un noble, mais à une bataille…
La bataille de Lépante est l’une des plus grandes batailles navales de l’histoire. Elle s’est déroulée le 7 octobre 1571 dans le golfe de Patras en Grèce, à proximité de Naupacte— appelée alors Lépante. La puissante marine ottomane y affrontait une flotte chrétienne comprenant des escadres vénitiennes et espagnoles renforcées de galères génoises, pontificales, maltaises et savoyardes, le tout réuni sous le nom de Sainte Ligue à l’initiative du pape Pie V. La bataille se conclut par un désastre pour les Turcs qui y perdirent la plus grande partie de leurs vaisseaux et près de 30 000 hommes. L’événement eut un retentissement considérable en Europe car, il sonnait comme un coup d’arrêt porté à l’expansionnisme ottoman. L’un des participants les plus connus est l’écrivain espagnol Miguel de Cervantès qui y perdit l’usage de sa main gauche, gagnant le surnom de « manchot de Lépante ».
Revenons à notre rue où se trouvent plusieurs institutions. J’entends par « institution » des lieux qui non seulement ne date pas d’hier mais qui ont valeur de symbole dans la culture d’une ville. D’abord, le Collège d’enseignement privé Sasserno qui bien évidement se situe sur la place éponyme, et où débute la rue de Lépante.

Agathe Sophie Sasserno, est une poétesse bien oubliée aujourd’hui, mais on peut souhaiter que dans l’institution qui porte son nom on apprenne aux élèves quelques-uns de ses poèmes, d’un romantisme fébrile, bien dans le ton de l’époque des Hugo et Lamartine avec lesquels la jeune Sophie entretint une correspondance. Agathe Sophie est née place Victor (Garibaldi aujourd’hui). On peut y voir un signe du destin, elle qui termina sa vie dans l’admiration de cet homme, symbole d’aventure et de courage. Le bruit du canon et de la mitraille, la jeune Sophie en fut bercée par les récits de son père le lieutenant-colonel Louis Sasserno, aide de camp de Masséna.
Le collège s’appelait en 1891 le Collège Saint Louis. École spéciale, comme on disait, c’est-à-dire Secondaire avec demi-pension et externat. Elle commença avec 238 élèves et en 1900, elle atteignait 300 élèves. L’École s’organise après le départ des Frères des écoles chrétiennes, qui dirigeaient le collège St Louis, en 1904. L’épreuve de la guerre 14-18 frappera aussi les anciens élèves de Sasserno morts pour la défense de la Patrie. Notons que des enfants juifs seront cachés, pendant la seconde guerre mondiale, à la demande de l’Évêque Mgr Rémond. Depuis 1991, les directeurs sont des laïcs, M. Robert Bianco de 1991 à 2007.

Les autres institutions ne remontent pas aussi loin. Elles ont un point commun, la musique. Et d’abord la maison « Guglielmi Pianos », au 8 rue de Lépante. Au service de la musique depuis 1906, la maison Gugliemi perpétue son savoir faire au cours des générations. Aujourd’hui ils en sont à la cinquième génération de facteurs-réparateurs de pianos.
Une autre institution, sise au 29, la librairie musicale Madrel. Depuis 30 ans, ce magasin propose des partitions de musiques rares et anciennes pour violons, guitare et piano, des livres et essais sur les plus grands musiciens et compositeurs. La librairie, qui dispose d’un très grand stock, s’adresse à tous ceux qui cherchent à acheter des partitions de musiques anciennes ou récentes.
Et au depuis 1980, « Hit Import »: blues, electro, gothic, hard, jazz rock, progressive, punk, rock, soul … et bien sûr spécialiste import. Je vais vous faire un aveu : j’ai acheté un CD chez eux récemment, il était moins cher que chez un magasin à 4 lettres. De plus, je crois bien que c’est le seul dernier disquaire indépendant à Nice. Attention, je dis bien disquaire, pas supermarché du disque.
Et tant que nous en sommes aux institutions, au 24, la maison qui est à la charcuterie ce que Guglielmi est aux pianos, la Charcuterie Pons. Sa première boutique à Nice a ouvert il y a 50 ans, elle est réputée pour sa charcuterie d’origine Pied-noir Espagnol. Les charcuteries de chez Pons, elles sont comme le cimetière de Bône, envie d’mourir elles donnent. La soubressade de chez Pons… aïe aïe aïe… et goutée je l’ai.

Quant à l’architecture, la plus impressionnante est celle du Palais Pauline au n° 2 rappelant (toutes proportions gardées) le Flatiron Building, anciennement Fuller Building à New York. L’inscription Palais Pauline sur le balcon du 2e étage donnant sur la place Sasserno. Une plaque indique aussi : Propriété Cauvin. Il est construit par Charles Bellon entre 1906 et 1911. Il existe aussi un bâtiment plus bas situé au 4 rue de Lépante qui fait peut-être partie aussi du Palais Pauline. Le passage Meynell et la rue de Lépante forment un angle aigu à leur jonction ; cet angle est occupé par la rotonde (surmontée d’un dôme) du Palais Pauline qui fait face à la place Sasserno.
Cette architecture, dite « Belle Epoque » est le nom donné à un style architectural entre 1850 et 1925. Pour certains la période cette période va de 1870 à 1914, mais pour Nice il est plus commode de l’étendre (comme le fait l’historien Michel Steeve) de 1860 à 1914. Ainsi définie, c’est une période où l’on construit de nombreux bâtiments remarquables souvent qualifiés de « palais». Ces palais vont utiliser les techniques de décoration de l’architecture nouvelle : parmi elles, le traitement des façades et des toitures.

Mais, au fait, pourquoi ces immeubles, certes splendides, portent le nom de « palais » ? Ce terme de palais correspond à l’usage commun de la langue niçoise où l’on dit palais et de la langue italienne, où l’on dit palazzo, termes qui désignent tout immeuble d’habitation, qu’il soit noble ou de simple facture (et qui dès avant le rattachement de Nice à la France en 1860 auront tout simplement été repris en français).
Il est vrai que, question architecture, il n’y a pas, rue de Lépante, la richesse que nous avons dans le boulevard Victor Hugo, ou dans le boulevard Dubouchage. Mais, sans être le nez en l’air constamment, il suffit de contempler le porche de l’hôtel de Lépante, 6, rue de Lépante, avec les finitions de sa sculpture et de ses personnages. Ne loupez pas non plus la façade et l’enseigne, au 17, de l’atelier central d’horlogerie.
Par contre, quelque chose me chiffonne. En voirie, la rue se distingue des autres voies urbaines comme les allées, les cours ou les boulevards et avenues par sa relative faible largeur. La rue de Lépante est quasiment aussi longue que l’avenue Jean Médecin, qui jauge 2,3km quant à la largeur, elle ne déparerait pas pour un boulevard.

Et la rue Lépante se jette doucement dans le boulevard Raimbaldi, aussi large que Lépante (peut-être un peu moins) mais certainement moins longue. Par contre, cette voie est l’une des rares peuplée d’orangers.
La rue de Lépante n’a certes pas la typicité du Vieux Nice, mais elle est une artère agréable, peu loin du centre ville mais assez pour éviter un flot de voiture. Elle a ses curiosités comme le superbe et étonnant Palais Pauline, des visites qui s’impose comme Guglielmi, Madrel et Pons.
Jacques Barbarin
Illustrations :
La bataille de Lépante par Véronèse
Sasserno en 1928
Façade de la rue Lépante
Horlogerie de la rue Lépante
Maison Madrel
Palais Pauline
Merci, je lis vous notices sur l’histoire de Nice avec beaucoup de plaisir… Bonne continuation.
Tout près du palais Pauline, étaient les deux villas qui furent détruites pour bâtir le lycée Calmette. L’histoire de ce lycée mérite un article, tant il faut lié à l’Histoire de la ville et du pays.