INTERSTELLAR de Christopher Nolan.
Après The Dark Knight Rises (2012) dernier volet de sa sombre trilogie consacrée au célèbre héros de bande dessinée Batman, le cinéaste poursuit réflexion sur le thème du chaos , dont l’exploration mentale humaine fait écho à celle du monde , et prend , ici , la forme d’une odyssée spatiale et d’une quête de nouveaux territoires de survie pour l’humanité en danger d’extinction …

La dégradation mentale des cerveaux au centre de ses films et notamment dans Memento (2000) et insomnia (2002), dont les échos se retrouvaient dans la « manipulation » à laquelle le héros d‘Inception ( 2010) se muait en sombre « magicien » au service de l’espionnage industriel et des rapports de forces économiques des Multinationales de la Mondialisation . On en voit -ici- les effets et les conséquences, dès les premières séquences qui nous montrent une planète terre devenue exsangue par les effets de la surproduction qui ont conduit au dérèglement climatique irréversible dont témoignent les nuages de poussière ( séquence magnifique de la tempête de sable ) qui rendent l’atmosphère irrespirable et envahissent l’écran dans la campagne du Texas . Cooper ( Matthew McConaughey , impeccable ) ancien ingénieur et ex-pilote d’essai devenu fermier, voit désormais comme ses voisins impuissants, son exploitation de champ de Maïs subir les effets de la sècheresse . Il faut se faire à l’évidence , la terre devenue aride et inexploitable est condamnée à mourir …il faut d’urgence trouver d’autres planètes et univers habitables afin que l’espèce humaine survive.

Le cadre de la science-fiction , et , précisément celui de l’Odyssée spatiale dans laquelle on se retrouve plongés d’entrée dans cette quête de survie nécessaire qui se fait l’écho des rêves que les humains ont détruit par leur soif de pouvoir et d’argent, et va se « muer » en une sorte de quête de rédemption , dont la mission sera de se préserver à tout prix de « la mort de la lumière », celle de l’espèce. Mission ( secrète) à laquelle un « noyau » de savants d e la NASA et de civils résistants, va se consacrer. Parmi eux, Cooper qui va reprendre du service et dont les qualités de Pilote, notamment, vont se révéler précieuses pour la réussite de la « mission » spatiale qui va être mise en place afin explorer d’autres univers capables d’accueillir dans un avenir proche, les nouveaux colons venus de la terre …ou bien, faute de possibilité de colonisation massive salvatrice, d’accueillir quelques élus et les embryons destinés à préserver l’espèce. Christopher Nolan né en 1970 , a déclaré vouloir se rapprocher des films de science-fiction qui ont bercé son enfance et son adolescence. On pense évidemment à la mission de l’aéronef internationale de L’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick, mais aussi à celle du célèbre « entreprise » de Star Treck ( 1979 ) de Robert Wise , ou, au récent Gravity d’Alfonso Cuaron qui s’inscrit aussi dans cette lignée . D’autant qu’on y retrouve ( genre oblige ) les éléments scientifiques ( Technologie, robots, nouvelles dimension spatio-temporelles ,trous noirs …) et les questionnements scientifiques et métaphysiques qui accompagnent cette aventure dans l’inconnu.

Mais Christopher Nolan , tout en les soulevant , s’en démarque, habilement , en y injectant son point de vue et une mise en scène qui interpelle par le refus de jouer la surenchère d ‘effets et s’inscrit dans une double réflexion, psychologique et scientifique, sous forme de thriller . Un suspense qui tente d’arpenter les questionnements liés au double enjeu ( les deux plans de survie prévus ) qui sont au centre du récit , et qui se prolongent au cœur de la mission d’expédition par le biais des différences d’interprétation et de choix qui s’y font jour, au fil du temps et de la mission qui s’éternise. Les robots devenus obéissants, laissent dès lors la place aux conflits de points de vue humains sur les « priorités » qui sont soulevées pour la réussite de la mission . En parallèle, le cinéaste aborde ,subtilement , le thème de l’isolement de la mission et de la double peur qui s’empare de l’équipage allant à la découverte de l’inconnu en même temps qu’il s’éloigne de sa planète originelle et de ses proches qu’il ne verra peut-être jamais plus . A cet égard la dimension spatio-temporelle vécue et les sentiments d’arrachement qu’elle provoque est analysée avec un certain bonheur au travers de la relation entre Cooper et sa fille Murphy ( Makenzie Foy / jeune, et Jessica Chastaing / adulte) ,avec la tentative de la maintenir vivante . Subtilement le « lien » est fait qui interpelle sur la question de la dimension temporelle ( existe-il une cinquième dimension ? ) , dont la science n’a pas encore trouvé le mystère, d’une possible « connexion » qui permettrait à une relation ( familiale ou amoureuse ) de trouver son accomplissement dans une futur ( ou passé) ?. La porte du temps …vers quoi peut-elle s’ouvrir…

Christopher Nolan explore toutes ces pistes au cœur d’un Space-Opéra ( les belles séquences d’extérieur sur l’espace glacé, celle au cours de laquelle l’astronef se retrouve menacé par une vague géante , ou encore, les scènes qui font écho aux interrogations de l’équipage sur les trous noirs et le mystère des distorsions du temps ). C’est au cœur de l’odyssée , le sacrifice et la perte qui sont au centre. La perte ( la fin ) de la planète terre qu’ implique le sacrifice de la mission à accomplir , et la perte des êtres chers mais aussi de sa propre identité. Thème qui est au cœur de tous ses films qui privilégient la dimension humaine dont les variantes des comportements se retrouve ici , qui font se craqueler les postures à l’image de l’opposition entre Cooper et son compagnon de vaisseau le défenseur ( Matt Damon) de l’autre solution, ainsi que celle de l’éminent professeur Brand ( Michaël Caine) chef scientifique ( ou apprenti sorcier ? ) de la mission de survie de l’espèce .
Montage subtil, choix de tournage à la « manière documentaire », Choix de construction de séquences qui s’inscrivent dans une dynamique précise de ruptures ( la vie à l’intérieur du vaisseau spatial, le silence et l’inconnu à l’extérieur…), offrant l’inquiétante perception d’une « communication des mondes » impossible. Donner une autre vie aux rêves est-ce encore possible ? …en tout cas, y renoncer serait plonger dans la nuit.
L’espoir qui subsiste consiste à s’accrocher aux rêves, avec l’appui de la science à laquelle le récit du film fait appel par le biais des recherches dont il s’inspire, du Physicien Kip Thorne ( qui a d’ailleurs participé au scénario ), célèbre pour ses travaux sur la théorie de la relativité d’Einstein . Kip Thorne , dont le film évoque dans une scène-clé du récit sa théorie selon laquelle il serait possible de voyager dans le temps , grâce aux fameux « trous de vers ».

On doit reconnaître à Christopher Nolan de savoir – à contre-courant des Blockbusters faisant trop souvent étalage d’une insignifiance flagrante de propos et de réflexion et ne miser que sur le spectaculaire – nous offrir le véritable visage d’une cinéma populaire intelligent qui inscrit à contre-courant des modes ( le casting à contre-emploi) , et offre la dimension de la réflexion , le regard sur la complexité humaine et sa quête de survie et de bonheur, dans son récit.
(Etienne Ballérini)
INTESETLLAR de Christopher Nolan -2014-
Avec : Matthew McConaughey, Anne Hathaway , Jessica Chastain , Michaël Caine , Matt Damon, Casey Affleck, Makenzie Foy ….
Belle critique! Ce film, au delà de certains aspects scientifiquement critiquable
, mais c’est une fiction, est une belle réussite. C’est un film esthétique, complexe, mais facile d’accès. On peut y trouver plusieurs niveau de lecture, y trouver matière à réflexion ou passer simplement un bon moment, et profiter de la relativité de la perception du temps. Les presques trois heures du film m’ont semblé courte….
Brillante analyse de votre part 🙂
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