BODYBUILDER de Roschdy Zem
Après Mauvaise Foi ( 2006 ) et Omar m’a Tuer (2011), le trosième long métrage derrière la caméra, nous offre une double approche. Celle d’un lien père-fils qui ne s’est jamais construit, et celle du milieu des Bodybuilders qui a permis au père de se construire une autre Vie. Celle là même dont le fils, en cavale pour dettes, qui trouve refuge auprès de lui, va devoir apprendre à affronter …

Les films de Roschdy Zem ont quelque chose qui lui ressemble , une sensibilité à fleur de peu et une curiosité à chercher à comprendre la complexité de l’autre dans un monde qui a tendance à enfermer les individus dans leurs univers, pour mieux les rejeter, comme c’est le cas du racisme qui fait d’Omar ( Omar m’a tuer ) un coupable idéal. Pas facile non plus, de se trouver les repères pour se rapprocher lorsque les tensions communautaires s’immiscent dans le couple en difficultés, comme c’était le cas de celui de Mauvaise foi. Ici, le contexte est différent, le couple en question est celui formé par un père et un fils dont les retrouvailles forcées par les circonstances, vont remettre à jour les ressentiments que la distance a encore renforcés. Antoine ( Vincent Rottiers ) dont le père a quitté le domicile familial lorsqu’il avait trois ans et a vécu celui-ci, comme un abandon dont le ressentiment s’est encore renforcé avec les années. Et Lorsque les circonstances ( en dettes avec une bande qui le menace…) l’obligent a trouver refuge chez son géniteur devenu Bodybuilder, la cohabitation s’avère plutôt difficile …

La force du film tient à la manière dont Roschdy Zem va, comme c’était le cas dans ses précédentes réalisations , s’emparer des territoires et repères balisés de ses héros, pour en faire sourdre au cœur de la réalité brute qui les caractérise, les éléments d’une forme de refuge dans lequel chacun s’est enfermé pour tenter de se ( re )construire un avenir. La révolte de l’abandon dont il a souffert, Antoine, l’a canalisée sur le terrain dangereux des petits trafics et autres magouilles qui lui permettent de récolter de l’argent facile …jusqu’à ce que ça tourne mal ! .La carrière de Bodybuilder du père, Vincent ( Yolin François Gauvin remarquable, la révélation du film ) est devenu le substitut idéal pour se refaire une vie ( et un corps ) dans laquelle il s’investit totalement, avec l’aide de son coach ( Roschdy Zem, aussi derrière la caméra ). Ce qui , comme il l’avouera à Antoine, il n’ a jamais su faire dans le rôle de père « le couple n’allait pas, on a assumé quelque temps avec ta mère , quand ton frère et toi êtes nés …mais ça n’a pas pu durer, alors je suis parti ». Les voilà donc aujourd’hui tous deux revenus à zéro …pour tenter de reconstruire entr’eux , un lien brisé.

C’est cette reconstruction d’un lien dont la souffrance enfouie qui resurgit, selon la sensibilité de chacun à la faveur des retrouvailles obligées , que Roschdy Zem traduit magnifiquement . Par la transcription subtile de la vulnérabilité à laquelle l’un et l’autre se retrouvent confrontés. Le père vieillissant dont les efforts et la discipline à laquelle il se contraint devient un combat aussi difficile que celui du père, que jadis, il n’a pu assumer. Antoine dont la cavale pour échapper à ses poursuivants et le refuge chez ce père avec lequel il n’a rien de commun, va l’obliger à se confronter à lui- même dans un univers qui lui est totalement étranger. C’est ce défi de récit et de la mise en scène que relève Roschdy Zem, que de nous emmener tout en subtilités ( belles séquences ) au cœur de la confrontation quotidienne de ces deux univers dont les barrières qui les séparent finissent par tomber. Le colosse aux muscles saillants et à la volonté de fer tout concentré sur son prochain concours, dont la devise « tu es premier ou tu n’es rien » résume son investissement et son caractère, va pourtant se révéler un colosse au pied d’argile, confronté à cet autre défi d’une paternité jadis rejetée, à devoir assumer pour sortir son fils d’une mauvaise Passe .De la même manière la rage, la révolte et la haine qui ont redu Antoine cynique et récalcitrant à toute compassion, va finir par fondre, face à un père qu’il découvre et un passé rejeté dans l’oubli, que les « liens » du sang finissent par remodeler, comme les muscles du corps de son père .

La force du film, est là, dans cette « approche » sensible de deux êtres et de deux univers qui font mesurer la distance qui les sépare, et dont Roschdy Zem force les barrières des différences pour en faire la matrice d’une réconciliation. C’est ce qui fait le prix de son film et le rend attachant. On mesure souvent, en spectateur, et vous l’aurez sans doute vous aussi ressenti, la force d’un film par la capacité de son auteur à nous faire pénétrer dans dans milieux qui nous sont souvent extérieurs et étrangers . Et la manière est belle , dont Roschdy Zem nous fait pénétrer l’univers des Bodybuilders avec une précision quasi-documentaire dans ce qu’il représente comme enjeux ( y compris financiers ) et comme sacrifices, pour ceux qui s’y dédient corps et âme. Et puis, il y a aussi chez le comédien-cinéaste ce regard sur les individus et les personnages y compris secondaires, qui sont investis de cette humanité profonde qui les caractérise .
A l’image de la compagne, Léa ( Marinai Foïs ) de Vincent, aimante et dévouée ; ou de Fred ( Nicolas Duvauchelle ) le frère, tout comme la mère ( Dominque Reymond ) d’Antoine , qui, chacun avec leurs armes et leur amour, tentent i de le canaliser et de le protéger. Tous sont remarquables et superbement dirigés, avec, mention spéciale on l’a dit au débutant, Bodybuilder et ex- champion du monde Yolin François Gauvin , dont la composition offre le contrepoint touchant et d ‘une belle humanité , à celle de Vincent Rottiers un Antoine tout aussi sensible et à fleur de peau…
(Etienne Ballérini)
BODYBUILDER de Roschdy Zem – 2014-
Avec : Yolin François Gauvin, Vincent Rottiers, Marina Foïs, Nicolas Duvauchelle, Dominique Reymond, Roscdy Zem, Adel Bencherif …