14/18, on censure les Poilus

 

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En cette année commémorative de la guerre 1914/1918, les publications, les émissions de radio et de télévision nous rappellent ce que furent ces années là, des années qui changèrent la face du monde après avoir fait mourir des millions d’hommes et laisser infirmes des milliers d’autres. Certains poilus, conscients qu’ils n’étaient que de la chair à canons, écrivirent des lettres mais la censure était là, Dominique Czapski, directeur et metteur en scène de théâtre, s’est intéressé à ce courrier et en a fait le week-end dernier une lecture dans son théâtre Antibea.

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C’est en visitant la bibliothèque François Mitterrand et l’exposition consacrée à cette guerre que Dominique Czapski est tombé sur un livre (1) « Lettres du Front » qui évoque à partir de 1915 la création du contrôle postal, un contrôle qui sera intensifié en 1917 afin de vérifier le moral des troupes suite aux différentes rumeurs qu’entendait la hiérarchie militaire au sujet des poilus convaincus que cette guerre n’était pas la leur et il le faisait savoir en écrivant à leurs proches, des lettres qui n’arriveront jamais à leurs destinataires.

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Dans certains documents photographiques, on voit l’importance du nombre des préposés au courrier pour effectuer ces contrôles, des historiens précisent que, près de 200 000 lettres sont ouvertes par semaines par des officiers qui censurent principalement ce qui touche à la vie des Poilus, la position des régiments et surtout les lettres qui transmettent des idées pacifistes, Dominique Czapski précise « …Jean Nicot par sa fonction a pu avoir accès aux archives classées au Château de Vincennes à Paris, il a découvert près de 70 cartons de ce courrier et il est tombé sur des trésors où l’on sent la grogne des poilus

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 les éléments de pacification, les éléments politiques, ils ne parlent pas de leurs souffrances d’autres livres sont fait pour çà. Là, ce sont vraiment les lettres saisies ou censurées, c’était le viol de l’intimité des soldats puisque ces lettres, pour la plupart ne sont jamais arrivées. On parle de la lassitude, de la grogne, de la lutte des classes, de la révolte de ce qu’on a appelé la chair à canon qui était surtout formée par des paysans, des ruraux et des jeunes de la classe ouvrière

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 la classe ouvrière en 14, elle est partie la fleur au fusil parce que le 31 juillet, on tue Jaurès et, que ce soit la droite ou la gauche, quand il y a eu la mobilisation, tous sont partis, gare du Nord, gare de l’Est en se disant, on va casser la gueule aux boches et ça va durer 3 semaines, tous étaient motivés, que ce soit les progressistes ou les conservateurs. La France est devenue très patriote, maintenant en 1917 la guerre dure, çà fait 3 ans, là on est dans la lassitude, on est dans la révolte, on a des comptes à régler avec le gouvernement français quand on est dans les tranchées c’est vrai qu’il y a des phénomènes dans les lettres saisies, on censure celles où les poilus qui disent la paix à tout prix, que ce soit la défaite ou la victoire, il faut la paix, alors forcément le contrôle postal est institué pour voir comment on va manier, manipuler parce que le maintien de la troupe devient plus délicat…

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il est évident que dans ces lettres, ce sont des poilus qui savent écrire, il y avait quand même pas mal d’illettrisme au front mais en même temps ceux qui savent écrire sont quand même dans la classe ouvrière, on a aussi des employés  qui étaient d’une façon générale des progressistes, des socialistes, donc il y a eu beaucoup d’exemples où l’on parle de la lutte des classes parce qu’il ne faut pas oublier une chose très importante et d’ailleurs, dans le prix Goncourt de l’année dernière « Au revoir là haut » de Lemaître, ce n’est pas une fiction, au début il y a eu un commerce des cercueils, il y a eu des gens qui ont gagné beaucoup d’argent, des gens qui ont profité de l’économie de guerre il y a des gens qui se sont appauvris mais il y en a qui ce sont enrichis et çà dans les lettres de poilus, il y a une forme de vengeance…

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Quand on sera libéré de cette guerre, on réglera nos comptes, c’est quelque chose qu’on évoque très peu parce qu’en général quand on parle des Poilus, on parle simplement de misère, ils étaient affamés, il y a des textes où les gars disent, on va devenir fous parce qu’on piccole trop…tiens, on nous a donné une ration supplémentaire de pinard, pourquoi on donne une ration supplémentaire…c’est pour que les gars puissent aller au charbon…pourquoi ils sont tous drogués au tabac, ils fument énormément à en devenir fous donc ils vivent dans des situations précaires mais ils ont un sens de la révolte…il y a la misère, il y a de la critique et de la colère vis-à-vis du commandement et puis il y a l’armée qui pense qu’il pourrait y avoir des éventuels complots au sein du front… »

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Il faut croire que la censure fût extrêmement efficace, en effet les historien ont dénombré plus de 24 000 poilus condamnés à mort pour avoir écrit sur l’absurdité de cette guerre et évoqué leur refus de combattre et pour avoir critiqué une classe politique qui promettait que ce serait la Der des Ders.

 

Jean Pierre Lamouroux

 

  • Les Poilus ont la parole – Lettres du Front de jean Nicot ex Conservateur en

Chef du Patrimoine au Service Historique de l’armée de terre.

Editeur André Versaille

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2 commentaires

  1. « Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit
    Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places
    Déjà le souvenir de vos amours s’efface
    Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri »
    (Aragon derniers vers du poème « La guerre et ce qui s’ensuivit » in Le Roman Inachevé)

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