3 COEURS de Benoit Jacquot.
Après Les Adieux à la Reine ( 2012 ) et la révolution française, le cinéaste revient au présent de notre société avec un mélodrame Bourgeois et ses codes qu’il investi de plein pied pour mieux les subvertir afin de faire sourdre les failles révélatrices des liens affectifs , mais aussi, de la cellule familiale et du milieu social et ses idéaux, dans lesquels chacun cherche à se préserver, quitte à flirter avec l’inconnu…

Marc ( Benoit Poelvoorde ) inspecteur des impôts Parisiens mène une vie assez stressante dont la santé chancelante ( il fait un AVC ) témoigne. Lors d’une déplacement en province dans une petite ville et un train de retour raté, errant dans la nuit à la recherche d’un hôtel, il rencontre une jeune femme, Sylvie ( Charlotte Gainsbourg) avec laquelle le fluide passe et à laquelle il donnera rendez-vous. Une passion est née…mais le rendez-vous sera manqué. Et la belle déçue quitte le pays, le temps passe … et nouvelle rencontre pour Mar , lors d’une banal redressement fiscal, qui se concrétise celle là, avec Sophie (Chiara Mastroianni ) avec un mariage à la clé. Le hic, c’est que cette union va révéler une surprise inattendue, pour notre inspecteur des impôts qui a épousé, sans le savoir, la sœur de sa première passion envolée!. Mais, celle-ci, va revenir pour la célébration du mariage de sa sœur. Et la passion renaît. Voilà qu’on se retrouve dans le mélodrame d’un « trio » sentimental dont les pulsions de la passion contenue par les codes du milieu, vont finir avec une sorte de frénésie impulsive dévastatrice par mettre en péril les destinées de chacun , et celles, de la cellule familiale, désormais devenue plus que vulnérable.

Le cinéaste joue à la fois sur les registres de la passion, du mélodrame et du romanesque, refusant de verser dans le drame. Celui qui pourrait sceller les destinées de comportements mettant en danger cette cellule familiale en question, au sein d’une classe sociale soucieuse des apparences. Celles-là justement que chacun malgré les pulsions passionnelles cherchera à tout prix à préserver comme l’implore à Marc, Sophie dans une très belle scène où elle explique que leur liaison doit rester secrète et ne doit pas mettre en péril la relation fusionnelle avec sa sœur « je n’y survivrais pas! », lui dit-elle. Ces sentiments et pulsions passionnelles qui divisent l’équilibre des 3 coeurs, sont au centre du film avec, en toile de fond, le milieu de la Bourgeoisie provinciale et ses valeurs, comme ses privilèges qu’il lui faut conserver et protéger. Et le dilemme de son récit Benoit Jacquot le distille par une mise en scène subtile qui sait ménager les effets, constamment irriguée par des changements de caps et de situations, soulignés par une voix-off ( pas n’importe laquelle, celle du cinéaste, qui, à la manière de François Truffaut, scande les chapitres, et occupe l’espace dramatique de sa mise en scène ) qui vient éclairer le spectateur sur les événements intervenus, et fait le lien entre les périodes et le temps qui a modifié les données. De la même manière qu’elle pointe par ses mouvements dans le cadre ou par le montage, les réactions révélatrices des personnages. A cet égard la belle partition sonore de Bruno Coulais y apporte les nuances (et le lyrisme) en adéquation , mettant en relief la tension émotionnelle des personnages , ou des situations, au bord de la rupture. Tandis que la partition des Comédiens, est elle , en adéquation par les tonalités et les subtilités de l’ interprétation d’un « quatuor » de haut vol.

Le « trio » est donné à voir, ici, comme une sorte de miroir révélateur des sentiments, et surtout de cette sorte de doute qui s’inscrit au cœur de l’affectif et la fragilité de l’intime, lorsqu’il est confronté aux passions et aux pulsions irrépressibles qui viennent en bouleverser l’équilibre. Ainsi en est-il de la relation fusionnelle, entre les deux sœurs, remise en cause, tout comme risque de l’être le lien avec une mère ( Catherine Deneuve) aimante et protectrice. Ainsi, en est-il aussi, de l’équilibre déjà très exposé au stress de Marc qui va devoir « louvoyer » et jouer au feu avec une double passion qui ne fait que le précipiter dans l’insoutenable, que les excès de tabac ou d’alcool ne peuvent plus suffire à maîtriser. Les échappées ( de Marc et Sylvie dans les paysages du Vercors ) ou les échappatoires , en forme de fuites ( de Sylvie en Amérique ), puis les retours, face à une réalité que l’on a peur d’affronter.

Et, dans ce cadre , c’est le « lien » qui se fait imperceptiblement ,entre le vécu d’une passion et ce qu’elle traduit comme conflits intérieurs et affectifs, qui finissent par se répercuter de la cellule intime ( familiale) à celle collective (sociale), que Benoît Jacquot traduit également avec une belle acuité. Celles de ses personnages, dont la profession (d’inspecteur des impôts de Marc) et celle des femmes (antiquaires ) qui deviendront sa belle-famille. Des métiers qui les inscrivent dans un milieu social ( Bourgeois ) dont les valeurs traditionnelles ( honorabilité,respectabilité, argent) sont ancrées dans les esprits et les gênes ( la mère qui comprend tout et veille, Marc porté par son intégrité professionnelle ). Mais ce « charme discret de la Bourgeoise », visité jadis par Luis Bunuel et exploré – ici – dans son hypocrisie « light » ne risque -t-il, porté par l’aveuglement de la passion, de franchir la « ligne rouge »?. Marc en est conscient mettant à l’épreuve son intégrité face à un Maire ( André Marcon ) qui s’estime au dessus de lois. Mais, Marc aussi, son intimité perturbée saura-t-il résister à cette passion, chevillée au corps et à l’esprit ,qui le hante jusqu’à la folie et jusqu’à ne plus pouvoir s’en délivrer ?. Suspense des sentiments insoutenable…

A cet égard la scène finale, loin de la pirouette, apporte un éclairage subtilement, éloquent. De la même manière que cette autre belle idée de récit et de cinéma symbolisée par le rôle du miroir acheté par Sylvie lors d’une vente aux enchère et qui, Sylvie partie, récupéré, va se retrouver dans la maison du couple Marc / Sophie : « Ce miroir joue un rôle important- c’est presque une idée de Cinéma Fantastique.Sylvie est tombée amoureuse de cet objet, l’a acheté et déposé dans sa boutique. D’une certaine façon, le miroir garde son image; il la retient. Avec cet objet chez lui, Marc vit avec le fantôme de Sylvie », explique Benoît Jacquot dans le dossier de Presse du film.
On vous laisse au plaisir de la découverte de ce flamboyant mélodrame des sentiments …
(Etienne Ballérini )
3 COEURS de Benoit Jacquot -2014-
Avec : Charlotte Gainsbourg, Chiara Mastroianni, Benoit Poelvoorde , Catherine Deneuve , André Marcon…