SHIRLEY, VISIONS OF REALITY de Gustav Deutsch
L’artiste -cinéaste Autrichien nous plonge au cœur d’une série de tableaux du peintre Edward Hopper ( 1882-1967) et d’un récit évoquant à la fois l’histoire d’un couple et celle de la société au long de trois décennies de l’histoire Américaine.. Un film insolite en forme d’expérimentation où peinture et cinéma , en synergie, nous ouvrent au monde et à l’exploration de la réalité et de la représentation.

Les tableaux du peintre considéré comme un des grands représentants du naturalisme Américain peintre de la vie quotidienne de la « Midle class » et de la société Américaine dont il témoigne des mutations sociales et dont il explore, à la fois, le double impact au travers du conflit entre nature et monde et ce qu’il implique : luttes sociales et politiques , mais aussi aliénation des individus et solitudes. Le cinéaste a choisi Treize tableaux au cœur desquels il va nous faire pénétrer au travers d ‘une représentation cinématographique dont il explique, que, le parti-pris de sa mise en scène est celui-là même de Hopper pour ses tableaux « Il ne représente pas la réalité, il la met en scène . La mise en scène , et le montage de la réalité sont aussi la nature même de mon film » dit -il dans le dossier de presse. Des tableaux et une oeuvre picturale qui ont d’ailleurs inspiré de nombreux cinéastes ( 1 ).

Peinture et cinéma qui sont deux arts dont le travail sur les cadres, la lumière , les tonalités des couleurs et la recherche d’une transmission d’émotions , ont donc, des choses en commun dans la manière dont ils se font les « passeurs » d’une réalité par la représentation de l’image qu’ils en offrent au regard du spectateur . Pas étonnant donc que l’un des tableaux d’Hopper « cinéma à New-york » , portrait dune ouvreuse, se retrouve ici, au cœur d’une séquence -tableau du film, qui suit le destin d’une femme, Shirley ( Stéphanie Cummings ) dans son cheminement et ses choix de vie .
On la voit d’ailleurs dans la première séquence du film entrer dans le tableau « Chair car » de Hopper, assise dans un wagon en train de lire un livre d’Emily Dickinson sur la couverture duquel figure un autre tableau du peintre , qui semble aspirer littéralement le mouvement (zoom) de la caméra , entraînant avec lui le spectateur dans la fiction proposée par le cinéaste qui en revendique sa représentation en adéquation, comme il l’a dit, avec, celle d’Hopper.

C’est donc Emily , une comédienne de théâtre, qui sera dès lors au cœur d’un récit en treize tableaux dont le cinéaste a choisi de traduire la destinée et le parcours individuel s’inscrivant au cœur de trois décennies qui sont aussi celles d’un pays et de son histoire mouvementée « je voulais absorber trente ans de l’histoire Américaine , en faisant coïncider les peintures et la date de leur exécution », explique-t-il . Séquences-tableaux donc dans lesquelles on nous invite à entrer avec une sorte de rituel immuable de représentation où la vie s’inscrit au travers d’événements distillés à la fois par la bande sonore ( bruits , voix-off , musique, poèmes…) et de plans- séquences avec des mouvements des personnages au cœur du tableau , un découpage « minima » de l ‘image et des plans. Inscrivant à la fois la destinée individuelle , et le mouvement extérieur de la société faisant écho aux événements ( la dépression des années Trente , conflits sociaux, Mac-Carthysme et luttes pour les droits civiques … ) qui ont marqué les trois décennies.

L’imbrication de ces éléments se fait par le biais de Shirley et de son compagnon Stephen ( Christoph Bach ) Photo-Journaliste de métier. La position sociale de l’un et de l’autre les rendant sensibles au événements extérieurs qui se répercutent sur leurs destinées . On y voit par exemple Shirley engagée dans son métier , et aussi politiquement , devoir faire des choix de carrière . Choisir la vie de troupe ( le groupe Théâtre inspiré des méthodes de Stanislavski ) , puis se retrouvant au chômage et devenir secrétaire au journal de son compagnon , faire ensuite des choix radicaux de carrière ( refus de se compromettre avec Hollywood), afin de rester intègre ( la belle séquence où est fait référence au positionnement d’Elia Kazan, lors de la triste période de la « chasse aux sorcières « qui ébranla Hollywood ) .Mais, c’est aussi la vie de couple qui est évoquée dans son quotidien avec ses hauts et ses bas, tout comme l’intériorité ( l’intimité ) de chacun qui fait place à cette « peinture de la mélancolie » dont le peintre s’est fait un des plus subtils témoins de son temps.

Le film est passionnant dans son entreprise et, s’il demande une certaine volonté du spectateur à s’y laisser entraîner, celui-ci ne le regrettera pas , au final . L’espace du cinéma et de la peinture avec son jeu des possibles, et cette tentation pour le cinéaste de nous inviter à une expérience cherchant à « repousser les imites du cinéma » prolongeant, ici, ses recherches multi-médias inter-actives effectuées pour des expositions .
(Etienne Ballérini )
(1) de nombreux Cinéastes ( et pas des moindres ) se sont inspirés et ont étés influencé par les tableaux d’Edward Hopper ( Liste non exhaustive ) : Alfred Hitchcock pour Pas de Printemps pour Marnie (1964), Fenêtre sur cour (1954) et Psychose (1960 ,s’inspirant du tableau : La maison près de la voie ferrée ) , Tim Burton ( Sleepy Hollow/ 1999 ), Terrence Malick pour presque tous ses films, Wim Wenders ( Paris-Texas, entr’autres ), Les frères Coen ( Barton Fink / 1991) , Warren Beatty pour son Dick Tracy ( 1990 ) ou encore David Lynch dont l’oeuvre fait souvent références aux influences picturales de Francis bacon, Edward Hopper ou Jérôme Bosch.
SHIRLEY , VISIONS OF REALITY de Gustav Deutsch – 2014-
Avec Stéphanie Cummings , Christoph Bach Florentino Groll, Effriede Urral…