Cinéma / L’ INSTITUTRICE de Nadav Lapid

L’ INSTITUTRICE de Nadav Lapid

Après La petite amie d’Emile (2007) , moyen métrage et Le Policier (2011) son premier long, le second du cinéaste Israélien s’inscrit dans la continuité d’une réflexion à la fois artistique et politique , qu’il a initiée et interpelle sur une société et dont il dénonce les multiples dérives. Au cœur du film, ici, un enfant -poète de 5 ans que son institutrice idéaliste va chercher à protéger «  envers et contre tous ». Une fable en forme de parabole sur la place et le rôle de la poésie, et de l’art en général , dans la société.

l'Affiche  du  Film.
l’Affiche du Film.

L’ouverture du film est très belle après une générique presque banal qui se prolonge par le télescopage de séquences révélatrices mettant en lumière une certaine déliquescence de la société que personnifie cette émission de télévision en forme de « talk-show » où l’on fustige les politiques et  les « people » l’on se gausse de bons mots et plaisante sur des anecdotes  sans avoir le recul, s’agissant par exemple de celle sur « Hitler qui aurait été photographié en short » , sans avoir en chute l’humour caustique de l’animateur qui la cite, comme l’aurait eu un Woody Allen, qui, sur ce sujet le fait si bien dans ses films !.
Si le grand public des familles en est fan, le petit garçon de cinq ans,  héros du film , Yoav ( Avi Shnaidman ) n’est pas à l’image des enfants de son âge passionnés de jeux vidéos, Non !…Yoav , est un enfant rêveur et intelligent qui se met parfois à marcher ou tourner en rond avec frénésie, afin de faire surgir de sa bouche les mots d’un poème longtemps cogité dans sa tête , que sa « nounou » est chargée de prendre en note sur un cahier. Comme le fera également son institutrice, Nira ( Sarit Larry ), lorsqu’elle découvre , elle aussi, le «  don » de ce petit gamin dont elle va s’enticher. Elle, l’idéaliste , qui voit en lui et dans les mots de sa poésie , le pur modèle d’un rempart contre l’obscurantisme et les dérives d’une société moderne en déliquescence , qui menace d’étouffer le don de celui qu’elle qualifie de «poésie Mozart de la  poésie ».

Yoav (  Avi  Shnaidmann )  dictant   ses  poèmes
Yoav ( Avi Shnaidman ) dictant ses poèmes

Dès lors elle s’investit d’une mission qu’elle va conduire, avec un jusqu’au-boutisme obstiné, afin de permettre d’extirper Yoav , d’ un environnement hostile. Un père ( Yehezkel Lazarov) riche restaurateur, regard fixé sur la réussite sociale, refusant de voir son enfant s’engager dans une voie qui ferait de lui un futur « loser » , comme l’est, cet oncle ( Dan Toren ) – désormais écarté de l’enfant – pour lui avoir ouvert les arcanes de la poésie, lorsqu’il lui avait été confié quand le couple parental s’ était retrouvé en situation difficile. Prévenue, l’institutrice y voit le réflexe -symbole d’une société Israélienne qui , à la poésie des mots, préfère celle du rejet et de la violence qui s’insinue comme un cancer dans la cité , et précipite sa décadence . Dès lors Yoav, devient pour elle une sorte de nouveau Messie dont la poésie serait le rempart nécessaire pour conduire… à une nouvelle terre promise !.
Ce n’est pas par hasard si les séquences ( Les chansons sur la Nation chantées en classe par les élèves, et la représentation sur l’épopée de Judas Maccabée ….) font écho à une réalité toute autre qui renvoie l’art et la poésie ( la soirée de Lecture ou Yoav est confronté au public… ), à la marge et à l’oubli. Et pour laquelle le combat d’une nouvelle traversée du désert ( référence à celle du Sinaï), semble nécessaire …afin d’ ouvrir d’autres espaces pour faire face à un certain obscurantisme rampant, qui , selon le cinéaste est une «  défaite de l’esprit » .

02- Avi  Schnaidman  et  Sarit  Larry
Yoav ( Avi Shnaidman) et Nira ( Sarit Larry ) son institutrice

Et il illustre cette relation entre l’institutrice et le petit bonhomme par de superbes séquences d’ écriture cinématographique où le rythme du découpage , des plans-séquences, et la profondeur de champ, l’accompagnement musical ou les tonalités de lumière, comme celle des gros plans et des regards             ( superbe direction d’acteurs ) , donne à voir par les détails qui s’y inscrivent , la perception des éléments   ( le soleil, la pluie, ..) ou celle des choses de la vie ( les sentiments, les émotions, les rapports de violence) dont les mots se font l’ écho, par leur force poétique à une forme de résistance nécessaire par leur beauté, et par ce qu’ils interpellent dans les consciences. «  je voulais que le spectateur ait le sentiment de tenter de pénétrer dans l’intériorité de l’acteur . Comme l’institutrice  d’entrer dans la tête de l’enfant pour tenter de comprendre d’où viennent les mots », dit-il .
Ces mots qui interpellent pour éclairer les esprits et qui peuvent permettre de changer le regard sur l’autre, dans une société qui a tendance à se radicaliser. La question est de savoir , si , dans une telle société un enfant poète à une chance de grandir et de se réaliser . Dans le Policier il y avait déjà le questionnement sur la possible dérive qui pouvait s’inscrire en réaction aux interdits et à un certain ordre , qu’il s’agit de ne pas perturber. On le retrouve au cœur du débat, ici, lorsque le père de Yoav fait pression (  plainte  et dénonciation à la  police ) pour que l’enfant soit retiré à l’institutrice. On vous laisse découvrir les événements et les conséquences qui en découlent. L’habileté du cinéaste , en la circonstance, à savoir renverser la donne, pour nous interpeller et semer le doute, est la preuve d’une maîtrise de récit , et de mise en scène qui joue sur le cordeau … pour nous laisser bouché bée, sur ce vide auquel la poésie salvatrice, se retrouve confrontée. Avec la magnifique image finale de Yoav, regardant le spectateur en interpellant doublement sur son  avenir , et  aussi , notre avenir  collectif.

Yoav  en compagnie de ses  camarades de  classe
Yoav, en compagnie de ses camarades de classe

Et cette impression est encore renforcée par l’évidente tonalité biographique qui imprègne le film, puisque Nadav Lapid s’est inspiré de sa propre jeunesse d’enfant-poète qu’il fut , comme il l’explique en y ajoutant quelques clés sur ses choix, notamment sur la dimension politique dans le dossier de presse du film:        «  entre quatre ans et demi et Sept ans j’ai dû écrire une centaine de poèmes, ou plus précisément je les ai récités à ma nounou . L’institutrice ( le film) a une dimension autobiographique évidente . De la même manière que je suis l’enfant, je suis également l’institutrice. Cette angoisse et ce sentiment d’urgence qu’éprouve l’institutrice devant la marginalisation d’un certain art, d’une certaine sensibilité ce sont ceux que j’éprouve moi-même parfois ( …) éffectivement le film parle de la société Israélienne, de l’armée par exemple, qui gomme les dernières traces de sensibilité chez ses jeunes recrues, comme le fils de l’institutrice, en les envoyant accomplir leur devoir « de soldats et d’hommes ». Ou de la division de la société en entre Ashkénazes et Séfarades conflit interne avec lequel l’institutrice s’identifie ( bien que chaque société ait ses Ashkénazes et ses Séfarades ). Il me semble aussi que le film reflète la transformation radicale de la société Israélienne en une société hyper matérialiste et vulgaire . En Israël, pays jeune, sans tradition, cette transformation est très rapide, plus brutale et peut-être plus visible qu’ailleurs. Tout est plus transparent, exposé, à nu. En revanche ce qui est universel, c’est la relation entre la poésie et le monde d’aujourd’hui ...» , dit-il .
Alors, laissez-vous guider dans tous ces questionnements et cette troublante leçon de séduction entre l’enfant – poète et son institutrice idéaliste confrontés à une société laissant en points d’interrogations,  leur avenir ( le nôtre?) et celui de la culture.

(Etienne Ballérini )

L’INSTITUTRICE de Nadav Lapid – 2014-
Avec : Sarit Larry , Avi Shnaidman , Esther Rada, Lior Raz , Hamuchtar , Yehezkel Lazarov , Dan Toren …

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