Ce n’est pas dimanche, ni un jour de mariage, de communion ou d’enterrement et pourtant les cloches résonnent ce jour là à Valdeblore, petit village haut perché de l’arrière pays niçois. Les sons ne proviennent pas du clocher de l’église…mais sur la grande place il y a Zéphirin dit Phirin.
On pourrait dire, connu comme le loup blanc ce Zéphirin Castellon, natif de Belvédère il a arpenté les vallées de la Vésubie et de la Tinée, il a chanté, joué du fifre, de l’harmonica depuis plus d’un demi siècle avec ses copains musiciens dans toutes les fêtes patronales de la région et dans les bars qui l’accueillaient comme un troubadour des temps anciens. Au fil du temps il a assouvi une autre passion, sonner les cloches et depuis des décennies il ne compte plus les marches qui mènent au sommet des clochers de toutes les églises du département .Mais depuis les années 1990, l’artiste a rajouté une corde à son arc et même plusieurs avec celles qui actionnent le battant des cloches qu’ils transportent dans une superbe remorque tirée par une camionnette conduite par des amis.
Un convoi, qui depuis le début de l’été sillonne toutes les routes du département, elle a belle allure cette remorque surmontée d’une imposante charpente en bois où se balancent quatre cloches en bronze ciselé, toutes différentes, elles sont reliées à des cordes de chanvre où sont accrochés leurs battants, des cordes qui attendent d’être prises en main par le chef d’orchestre…Le concert peut commencer…il est là, large béret noir pointé vers le bas, petit foulard rouge autour du cou, pantalon de velours gris ceinturé par un taoïlle noir (large tissu qui entoure la taille) , il est devant ses instruments assis sur son tabouret le fameux Zéphirin Castellon
« c’est toujours une grande émotion quand je m’installe, c’est à chaque fois des souvenirs de jeunesse qui reviennent, ceux de ma vie passée à Belvédère, vous savez, pendant longtemps le son qui parvenait du clocher du village avait une importance capitale, il rythmait la vie quotidienne des gens…quand j’étais gamin avec mon cousin, on grimpait au clocher en entourant les battants des cloches avec des gros chiffons et on s’exerçait, on en profitait pour admirer les maisons du village…Rosa à sa fenêtre, Henriette sur son balcon…de cette hauteur, on se croyait au paradis (1) et, vous savez quand j’ai eu le droit de sonner les cloches, ça a été une nouvelle aventure, je devenais le patron du clocher et, surtout, je pouvais à mon tour, enjoliver l’air que je sonnais qui ne ressemble en rien aux carillons électrifiés que l’on entend désormais de plus en plus ». Phirin reste très fier d’avoir proposé un carillon ambulant lors d’un colloque avec l’ADEM 06 (Délégation de la Musique et de la Danse) et d’être devenu président des sonneurs de cloches
« …je me souviens en 1993 c’est une fonderie de l’Hérault, Hérépian qui est venue à Roquebillière pour couler notre première cloche que nous avons baptisée Meounetto ». Suivront Julie, Galofre et Marie, le convoi a pu alors sillonner toutes les routes de l’arrière pays et le succès aidant, la notoriété dépasse les frontières du département, les cloches iront à Paris pour le Salon du Livre avec un passage sous la Tour Eiffel sans compter les émissions de télévision mais Zéphirin n’oublie pas ses premières amours : le chant et ses compositions, des chansons qui ont mûri quand il travaillait à Marseille puis à Nice comme surveillant de prisons. La Famillo, Toujours perché la haut, Oh Belvédère, quelques titres de jeunesse rappelle Zéphirin
Zéphirin avec le groupe Falabrac
« c’est vrai qu’une grande partie dans mes compositions se rattache à mes origines et la vie difficile de mes parents dans les champs et mon enfance dans cette campagne loin de la ville où je prenais le temps d’observer la nature, de parler avec les anciens, d’écouter les amours des uns, les malheurs des autres, de participer aux coutumes et au traditions qui réglaient la vie de tous les jours…tiens, j’ai eu l’impression d’être un chanteur le jour du mariage de ma sœur Titine avec Victor…j’avais écrit depuis longtemps des paroles et debout sur une chaise, j’ai chanté l’un de mes premiers titres…Les Noces de Titine et de Victor…pendant que je vous parle de çà et pour ne pas l’oublier…au sujet des cloches certains sonneurs arrivaient grâce à leur adresse à faire entendre à la population que, par exemple, lors d’un décès, s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme ou d’un personnage important ou d’un simple paysan ou d’un ouvrier…allez monsieur, je vous laisse un instant, je dois revenir sur ma remorque , je pourrais dire ma scène car ils sont des dizaines à me demander de jouer le «trinhou de Belvédère … ». Zéphirin s’est remis en place sur son tabouret, attelé des mains aux pieds par ces cordes qu il tire avec délicatesse ,sur ce classique de son répertoire il peut improviser des heures, puis Il a laissé sa place a une sonneuse de cloches du village d’Utelle qui va jouer l’Ave Maria, celle qui le suit depuis des années et qui a désormais la même passion que lui, Marie Chantal Castel
« je suis tombée dans le chaudron, pourrais je dire, j’aime être à côté de ce musicien et compositeur, il perpétue à mes yeux cette musique et ces chants traditionnels, ces instants qui dictaient des temps liturgiques quand les cloches sonnaient pour avertir des moments importants…lors de mes déplacements, j’essaie de collecter des documents surtout qui se rattachent à cet Art Campanaire…nous faisons un travail formidable avec tous les musiciens et chanteurs qui partagent notre passion pour conserver cet immense patrimoine culturel qui ne s’est transmis le plus souvent qu’oralement…et quand Phirin ne voudra plus venir sur son carillon ambulant, j’aurai toujours son image avec moi car l’une des cloches a été fondue en 1995 en son honneur avec son nom gravé sur le bronze». Parmi ses amis, deux musiciens ont enregistré avec Zéphirin à l’harmonica, Thierry Cornillon au fifre et Patrick Vaillant à la mandoline, sur ce document donné au M.M.S.H (2) de l’Université Aix Marseille, on retrouve les chansons de Zéphirin, ses histoires de jeunesse et des sons en tous genres de la vie à Belvédère dans sa jeunesse.
Romain Otto-Bruc sonneur à Lantosque
Désormais ce retraité de 88 ans, le plus célèbre des sonneurs de cloches actuel, continue de répondre aux sollicitations lors de fêtes communales mais le reste du temps, il a repris la vitesse d’un homme près de la nature dans le hameau des Adrets et quand il est fatigué il va se reposer a la maison de retraite entre deux balades dans la montagne. Toujours heureux de vivre, il a laissé ses dernières volontés à son notaire « …écoute, j’ai déjà fait un trou contre la Cascade du Raï et j’ai acheté 20 bouteilles de champagne, je les ai placées au fond du trou, tête en bas pour qu’elles gardent le frais , j’ai recouvert de graviers…le jour où je meurs, je veux me saouler au champagne et je veux que l’on chante et que tous ceux qui m’ont aimé fassent la fête… » Zéphirin Castellon, je transmets ton message !
Jean Pierre Lamouroux
- Viven toudjourn en mountagno – un petit bout de chemin– Edité en 2013 sous les presses de SERRE éditeur à Nice
- Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme, elle recueille le patrimoine sonore qui a une valeur d’information ethnologique, musicologue et littéraire.