Lauren BACALL, le regard ( the look ) .
La grande comédienne s’est éteinte à l’âge de 89 ans .Elle a fait des débuts fracassants à 19 ans dans Le Port de l’Angoisse d’ Howard Hawks aux côtés d’Humphrey Bogart avec lequel elle partagera sa vie , formant l’un des couples Mythiques du cinéma . On lui a donné le surnom de « the look » ( le regard ) , celui de ses yeux enjôleurs de femme fatale dont la voix rauque augmentait encore le charme. Une carrière exemplaire et magnifique, elle était déjà entrée dans la légende , elle rejoint aujourd’hui le firmament des étoiles au royaume des artistes. Laissant nos yeux embués de larmes, mais aussi de merveilleux souvenirs de cinéphiles…

C’est à New-York où elle est née ( le 16 Septembre 1924 ), qu’elle a donc fermé ses yeux en ce 12 Août 2014 pour rejoindre l’amour de sa vie, Humphrey Bogart , et nous laisser en héritage leurs films en commun , et ceux de leur carrières respectives . Quelle belle histoire en tout cas pour cette fille d ‘immigrés juifs des pays de l’ Est Européen, et, née au pays de l’Eldorado rêvé de tous ceux qui ont voulu y changer leur vie. Et la sienne fera le chemin de la gloire poussée par une mère aimante qui l’a élevée seule dès l’âge de Six ans. Petite et fille douée pour la danse , sa mère la poussera à prendre des cours , la jeune fille s’inscrira plus tard ( en 1939) à la prestigieuse Académie des arts Dramatiques dont elle devra abandonner les cours, faute d’argent. Elle fera des petit boulots ( ouvreuse ), puis décide de forcer le destin en s’engageant dans le mannequinat où elle se fait remarquer et fera la couverture de certains magazines…attirant les regards des chasseurs de futures stars d’Hollywood .

Pour elle ce sera le « banco » puisque c’est le regard d’ Howard Hawks le grand cinéaste d’alors qui venait de réaliser Sergent York (1941) et Le Banni (1943) qui sera attiré par le charme et la personnalité dégagée par les photos de la jeune fille (19 ans ), lui qui est, justement à la recherche d’une « personnalité » féminine pour son nouveau film Le Port de l’Angoisse adapté d’un roman d’Ernest Hémingway. Double banco pour le cinéaste et l’apprentie Comédienne . Howard Hawks qui en fera un grand film devenu un classique , et qui surtout , rencontrera le succès auprès d’un public subjugué par le duo Bacall/ Bogart , qui fonctionne à merveille. Et pour l’apprentie -comédienne qui elle apprendra à « apprivoiser » , la caméra comme les plus grandes ( Garbo , Dietrich ) et dont même les hésitations face à l’appareil qui la paralysait se transforment en une sorte de jeu d’hésitation- séduction qui va se répercuter sur les rapports des personnages dans le film … et même sur le plateau de tournage où les rapports entre les deux comédiens va se transformer en un idylle à la ville . L’inter-action entre le couple à l’écran et à la ville , va se répercuter sur le film dont à l’évidence les rapports des personnage qui y sont décrits, acquiert dès lors une toute autre dimension .

Un couple mythique à l’écran et à la ville ( ils se marieront en 1945) vient donc de naître …et il sera à l’origine d’autres magnifiques bébés-films : Le Grand sommeil ( 1946) adapté par Hawks d’un roman de Raymond Chandler , Les Passagers de la Nuit ( 1947), de Delmer Daves , Key Largo ( 1948) de John Huston . Des films qui leur permettront par le biais des rôles qui le demandent et le regard des cinéastes , de « peaufiner » l’image du couple à l’écran et l’enrichir de variantes qui permettent de l’approfondir et l’inscrire encore un peu plus, dans la mémoire de spectateurs. Le couple du Port de l’Angoisse à Fort de France uni au cœur des affaires politiques et de la résistance, se muera en rival au cœur d’une enquête où le détective retrouve sur son chemin la belle compromise avec le milieu des truands dans le Grand sommeil où le « look » de la femme fatale , se retrouve mis à mal. Celle-ci se fera protectrice d’un évadé – qu’elle considère innocent – condamné à perpétuité et fuyant la police dans Les Passagers de la Nuit . Et dans Key Largo ,il se muera en couple pris au piège d’un gang dans un hôtel au cours d’un huis clos saisissant où les faux – semblants d’une transaction se répercutent en parabole sur la liberté et la violence, au cœur de laquelle ils vont devoir trouver leur salut. En quatre films du couple la légende est né…et n’est pas prêt de s’effacer des mémoires des spectateurs. Une légende qui se conjuguera avec un engagement concernant leur métier, qui se répercutera par un engagement dans la vie publique et politique qui les fit s’élever dans les années 1950, contre la terrible « chasse aux sorcières » menée par le sénateur Mac Carthy contre les « suspects rouges » , y compris dans le milieu du cinéma . Et la comédienne resta toujours engagée dans les causes humanitaires, et auprès de la gauche Américaine…

Et la légende, Lauren Bacall qui n’aimait pas être considérée comme telle, aura pourtant l’opportunité de l’entretenir fut-ce malgré elle, en Soixante ans d’une carrière qu’elle a poursuivie après la mort d’ Humphrey Bogart en 1956 . Les grands cinéastes vont continuer à la solliciter et lui permettront de varier son registre et faire muer la femme fatale à la frimousse blonde, pour la plonger au cœur de la gravité , des mélodrames ou de la légèreté de la comédie dans laquelle elle se révèlera également très à l’aise, et l’associer aux grands comédiens. Comme ce fut le cas avec celui qui était un de ses favoris, Gary Cooper auquel l’auteur de Casablanca , Michaël Curtiz, va l’associer dans le Western Le roi du Tabac ( 1950) où elle est une femme blessée par la vie qui va lui offrir son soutien moral , alors que son couple vacille. Elle précipitera par contre la descente aux enfers de Kirk Douglas dans La femme aux chimères ( 1950 ) du même Curtiz .
C’est Jean Negulesco, qui , en 1953 lui permettra de changer de registre et d’aborder la comédie romantique avec Comment épouser un millionnaire qui marque la rencontre avec Marillyn Monroe, et puis Les femmes mènent le monde (1954) aux côtés de June Allyson . Une autre rencontre avec deux cinéastes majeurs Vincente Minnelli ( La toile d’araignée /1955 et La femme Modèle / 1957 ) et Douglas Sirk ( Ecrit sur du vent ), va lui permettre dans le registre du mélodrame et de la critique sociale d’une certaine Bourgeoisie Américaine et des rivalités de classes , de composer des personnages de femmes modernes , insolentes et impertinentes , qu’elle aimera défendre également par la suite.

La Disparition d’ Humphrey Bogart (1956 ) marquera un certain coup d’arrêt dans sa carrière avec seulement Cinq films tournés entre 1957 et 1974 dont on retiendra la comédie , une Vierge sur Canapé de Richard Quine ( 1964 ) aux côtés de Nathalie Wood, Tony Curtis et Henry Fonda, et le joli polar de Jack Smight Détective Privé aux côtés de Paul Newman . Elle se montrera souvent dans des apparitions publiques et à la Télévision, et puis , le monde du cinéma ne l’oubliera pas , à l’image de Sidney Lumet qui lui propose le haut de l’affiche du Crime de L’orient express (1974 ) entourée d’une prestigieuse distribution. Et Don Siegel également lui demande d’être aux côtés du Dernier des géants (1976) john Wayne. Robert Altman la sollicitera à deux reprises Health (1980 ) et Prêt à Porter (1994 ), et Danny Huston lui confie un magnifique rôle dans le film- hommage à son père John Huston , Mr North ( 1988 ) , elle sera aussi dans le très beau ( et injustement méconnu ) Leçons de séduction de Barbara Streisand( 1996 ) . Elle tournera également, avec Bernard -Henry Levy, Le Jour et la Nuit ( 1997) et sera au générique de deux films de Lars Von Trier, Dogville ( 2003 ) et Manderlay ( 2005)

Tandis que les espaces qui marquent les années sans films , elle les remplira dans la seconde partie de sa carrière dès les années 1979 en se tournant aussi , vers l’écriture de ses deux biographies , et se consacrera plus assidûment au théâtre son autre passion qui lui permet de mettre en avant l’implication dans travail et la générosité d’investissement dans le métier dont elle regrette que l’évolution du cinéma Hollywoodien ne le fasse plus , et vis à vis duquel elle se fait très critique , lui reprochant de la délaisser de plus en plus, au détriment de la qualité. Les Blockbusters n’étant pas sa tasse de thé !. Elle préfère dès lors se mettre au service de nombreux films documentaires consacrés à la profession et y porter le témoignage de ses rencontres de travail avec ses partenaires( Grégory Peck, John huston , ou l’opérateur et cinéaste jack Cardif ), par exemple. De la même manière qu’elle se fera plus présente dans les manifestations cinématographiques dont certaines lui rendront hommage ; ou se rendant sur les plateaux de Télévision, comme ce fut le cas , sur celui d’Apostrophes dans les années 1980.
Si on dit sur terre que les légendes meurent aussi , jamais en tout cas elle ne sont oubliées… Au paradis des artistes où les âmes dit-on s’envolent, elle va retrouver ses amis d’hier et re-jouer, la comédie avec eux . The show must go on…
(Etienne Ballérini)