MAESTRO de Léa Fazer.
Les coulisses du tournage du film Les Amours d’Astrée et Céladon, le dernier film d’Eric Rohmer vécues par le comédien Jocelyn Quivrin qui en avait écrit un scénario, adapté ici par la cinéaste , en un vibrant et enjoué hommage aux deux disparus . l’apprivoisement de deux tempéremments opposés , art et poésie , culture élitiste et populaire dans une réjouissant face à face sur la transmission, teinté de cet humour que savait manier avec élégance le cinéaste…

Adulé par la critique et par les cinéphiles, le « maestro » du film d’auteur Français, Eric Rohmer ( Ma nuit chez Maud, le Genou de Claire …) dont le thème de la rencontre amoureuse et de la séduction est au cœur de son œuvre, se consacre à l’été 2006 à la réalisation de ce qui sera son dernier film ( il décède en 2010 à l’âge de 89 ans) , l’adaptation d’un roman pastoral du XII éme siècle, Les Amours d’Astrée et Céladon d’Honoré d’Urfé , sorte de roman-fleuve ( publié entre 1607 et 1627) sur plusieurs épisodes et 40 récits , qui connut à l’époque un succès Européen retentissant. Le cinéaste amateur de poésie et de littérature ancienne qui adorait « filmer la parole » , et s’y consacrer en paralléle de ses films contemporains comme en témoigne dès 1954 son court métrage Bérénice , puis plus tard ses longs , La marquise d’O , Perceval Le Gallois, l’Anglaise et le Duc … et donc jusqu’à son dernier, en forme de testament qui lui permet de renouveler son amour pour la poésie et les mots , la beauté du langage dont le qualificatif de précieux représente pour lui quelque chose, qui l’est vraiment.

Jocelyn Quivrin jeune comédien qui avait débuté très jeune Chez Planchon ( Louis Enfant-Roi ,et Lautrec ), et escaladé les échelons avec des seconds rôles prometteurs jusqu’au succès commercial de L’empire des loups de Chris Nahon. Ce jeune comédien qui s’est tourné vers le théâtre et le cinéma , ce passionné par le sport automobile était un tempéremment à l’opposé du cinéaste dont il va croiser la route et qui va bouleverser son regard sur le metier de comédien et le mileu du cinéma dont il avait dans un court métrage ( Acteur / 2006) évoqué , comme la souligne la cinéaste « comment un jeune acteur pouvait se sentir exclu d’un certain cinéma d’auteur, d’un certain monde . Avec Rohmer, il a eu accès à ce monde… » , dit-elle dans le dossier de Presse. Le scénario qu’il avait écrit de son expérience sur le tournage de l’Astrée , pour en faire un film et l’interpréter n’aura pu aboutir, rêve brisé par l’accident de voiture dans lequel il a perdu la vie en Novembre 2009 alors qu’il venait d’être reconnu par la proféssion ( révélation et meilleur espoir masculin ) . Il sera repris par Léa Fazer qui avec laquelle il tourna ses deux derniers films , Notre univers impitoyable ( 2008 ) et Ensemble, c’est trop ( 2009) .

De la complicité d’une collaboration et des confidences du comédien qui l’avait sollicitée pour l’aider à le mener à bien son scénario, cette dernière évoque aussi, le partage de la même expérience vécue de jeunesse et d’un parcours « chaotique » au cœur du débat : culture élitiste / culture pour tous, renvoyant souvent chacun à son milieu, à ses repères .« .. j’ai rêvé de cet accès à la poésie , et le film est devenu un récit d’apprentissage qui reflète mon propore apprentissage », dit-elle. La réussite du film tient dans la manière dont elle arrive, à se détacher des personnages réels pour mieux les récréer en personnages de fiction. Faisant de la complicité avec l’un ( Jocelyn Quivrin ) et de la connaissance de l’oeuvre ( le maestro , Eric Fohmer ) de l’autre , un atout qui par la magie de la distanciation de la fiction lui permet de s’ en approcher au plus près pour faire partager l’évidence de ce trait commun de leurs caractères – cette liberté et cette capacité à vivre et ressentir les choses – qui finit par les rapprocher et briser les barrières. Dans les nombreuses scènes du film qui les mettent en présence, on perçoit au long des jours de tournage , l’évolution d’un relation où ce respect mutuel s’installe , laissant place à une sorte de jeu que les dialogues renvoient en écho. Un jeu, à la Rohmer, où les bons mots se renvoient la balle…comme dans la scène où le maestro interpelle so cmédien « au fait , ça veut dire quoi , je la kiffe grave ? » qui s’amuse à le défier en employant sur le plateau , le langage moderne pour se moquer des leçons de lecture et de prononciation des textes de l’Astrée ! .

La tonalité de la comédie enjouée – qui rejoint celle des films du Cinéaste, et notamment celle de ses Comédies et Proverbes – est la belle idée du film qui en restitue l’univers et s’inscrit aussi dans la thématique du Marivaudage amoureux chère au cinéaste , et dans lequel, ici, Henri ( Pio Marmaï irrésistible de charme et de fantaisie dans le rôle de Jocelyn Quivrin) , y joue des effets de sa séduction sur Gloria ( Déborha François, très Rohmérienne ) au grand dam de sa copine, Pauline ( Alice Belaïdi ) qu’il s’évertue à rendre folle de jalousie!.
Tandis que les avatars et accrocs du tournage fait dans des conditions de financement « minima », qui reflètent à la fois la réalité, en même temps qu’elles permettent de développer « de l’intérieur » l’aventure d’une équipe obligée de faire bloc pour faire face aux impératifs et condtitons. Et les réflexes, de la part de la troupe des habitués et de ceux qui la découvrent, sont croqués avec un bonheur jubilatoire qui se fait l’écho de ce vécu et de ce ressenti dont la cinéaste souligne que pour Jocelyn Quivrin , « écrire le scénario était un moyen de comprendre ce qui lui était arrivé ! », de se retrouver dans une telle aventure et face à ce « passeur » magnifique , cédric Rovère ( Michaël Lonsdale en Eric Rohmer qu’il campe avec une subtilité de jeu parfaite , comme toujours ). Suvi par le reste d’une distribution en osmose avec mention spéciales, à Scali Delpeyrat irrésistible ,dans le rôle du druide , à Nicolas Bridet ( l’ami d’Henri ) et à Dominique Reymond dans le rôle de l’assistante Cédric.
Et comme le souligne Françoise Etchegaray , la collaboratrice d’Eric Rohmer durant vingt ans , qui a vu le film : « L’esprit est là , l’esprit de cette aveture vécue par des jeunes auprès d’un maître . Eric aimait l’idée de transmission , il aurait aimé savoir qu’il pouvait changer quelqu’un par l’esprit . Après la métamorphose d’henri , le film prend une tonalité solaire il tend vers la grâce, et c’est bien là l’essense de l’oeuvre de Rohmer qui , elle même allait vers la lumière » Et.on y souscrit entièrement …
(Etienne Ballérini)
MAESTRO de Léa Fazer – 2014-
Avec : Pio Marmaï , Michaël Lonsdale , Déborah François, Alice Belaïdi, Nicolas Bridet ,
Dominique Reymond, Scali Delpeyrat, Micha Lescot ….