BOYHOOD de Richard Linklater.
Après la Trilogie Before ( Sunrise , Sunset et Midnight ) retraçant l’évolution de la vie d’un couple sur près de vingt ans ( 1995- 2013 ), c’est à une nouvelle approche du thème central de son œuvre – l’exploration du passage du temps sur les individus – auquel le cinéaste se livre à nouveau, ici , par le biais d’un dispositif cinématographique de tournage étalé sur 12 années afin de suivre l’ itinéraire familial et l’ évolution d’un garçon de son enfance ( 6 ans) jusqu’à son adolescence ( 18 ans ) et son entrée à l’Université . Une œuvre où fiction et documentaire s’entrechoquent pour nous renvoyer cette expérience unique, comme miroir d’identification . Passionnant…

Le contrat du cinéaste avec les comédiens stipulait qu’ils devaient se libérer chaque année pendant deux semaines de tournage pour mener à terme l’expérience unique sous la forme d’un concept permettant de les immerger au cœur d’une fiction dont ils seraient par le biais du prisme du cinéma les acteurs-protagonistes, relatant l’itinéraire d’une vie familial captée – sans fards , ni trucages- dans sa progression temporelle accompagnant les métamorphoses des corps , en même temps que les modifications de la vie familiale et les mutations de la société. Projet ambitieux qui, on doit le dire d’emblée tient toutes ses promesses , et offre à la « saga » de cette famille d’Américains moyens du Texas une ampleur et une authenticité rarement atteintes jusque là, au Cinéma.

L’obstination de Richard Linklater dans son exploration temporelle, si elle a ce quelque chose de fascinant c’est parce qu’elle renvoie à cette obsséssion ( la nôtre ) qui s’inscrit dans le quotidien de nos vies et vient se refléter dans cette accumulation que nous faisons au fil des ans , de souvenirs , d’objets , de photos et d’images … comme « mémoire » d’instants vécus ( naissance , mariage , vacances …) qui finissent par inscrire dans la durée, ce sentiment du temps qui passe ( si vite?) et de ce que nous en avons fait !. Comme l’illustre magnifiquement l’une des plus belles scène du film où la mère ( « qui n’a pas vu le temps passer », comme le dit la chanson de Jean Ferrat ), du jeune Mason ( Ellar Coltrane , étonnant ) qui va la quitter en partance pour l’université, en mesure soudain l’ampleur, éclatant en pleurs songeant avec effroi…. à la prochaine étape : la mort !. Intense moment de solitude magnifié par tout un parcours jusque là, fait de luttes pour traverser les épreuves de la vie durant douze années qui n’auront pas été de tout repos. Mais , comme le souligne, aussi , la jolie citation de Jorge Luis Borgès « le temps est un fleuve qui m’emporte, mais en réalité c’est moi qui suis le fleuve » utilisée en exergue de son récit, par le cinéaste.

Et c’est donc, en suivant le parcours du petit Mason qui remplit l’écran dès les premières images de ses six ans marquant les premiers souvenirs d ‘ enfance , Mason que l’on verra grandir , avec sa sœur Samantha ( Lorelei Linklater , la fille du cinéaste ) en temps réel au cœur et au fil des événements familiaux qui vont se succéder au fil des années . A cet égard le choix du cinéaste est significatif refusant de se laisser entraîner dans les « clichés » du déjà vu sur le sujet . S’il n’évacue , pas notamment les problèmes relationnels des enfants avec les hommes ( les beaux- pères) qui vont entrer dans la vie de leur mère , après le départ du père ( Ethan Hawke ) avec lequel les relations ne seront jamais rompues, le cinéaste préfère s’attarder sur les petits événements quotidiens qui peuvent paraître , parfois, insignifiants mais qui vont s’ancrer comme des souvenirs d’enfance ayant laissé une trace indélébile dans la mémoire. Une remarque à l’école , un geste de ce proche de la famille, un cadeau … ou une promenade surprise , comme celle à laquelle Mason se retrouve entraîné par son père. Ces petits riens de la vie…

Et puis ces instants captés du temps qui passe marqué par une écriture en ellipses des sauts dans le temps , qui font percevoir par les rides inscrites sur les visages des adultes ou les coupes de cheveux et les vêtements qui ont changé avec la mode …et Mason qui « mue » et grandit devant nous. Le temps qui coule insensiblement, capté par la tonalité des images ( changements de saisons et des couleurs , mais aussi des mobiliers, de l’environnement , comme des mentalités …) dont l’unité et la cohérence de ton malgré les changements d ‘opérateurs ( Lee Daniel , Stanley Kelly) est incroyablement maintenue dans la continuité et la fluidité nécessaire au récit au long des douze années d’un tournage, pour en faire un tout cohérent, et non pas une « compil » de douze courts métrages. En ce sens , à la fois le travail de montage ,d’assemblage et de maîtrise de tous les éléments qui en organisent la cohérence , sont un véritable travail d’orfèvre de la part du cinéaste . Chapeau…

Mais, au delà de l’histoire et de la chronique d’un enfanc , celle de Mason , il y a celle d’une famille moderne ( Re- recomposée ) et aussi celle d’une mère que l’on retrouve dès la première séquence en instance de séparation et qui va devoir élever seule ses enfants, et faire face. Si les rapports avec l’ex, restent cordiaux et les enfants garderont tout au long , des rapports privilégiés avec ce père qui a du mal a trouver sa voie ( Musicien?) et son équilibre personnel .La mère, qui finit par trouver sa voie professionnelle ( enseignante ) multipliera , par contre , les ratages sentimentaux . Mais elle tiendra bon la barre « tu les as bien élevés » reconnaîtra le père dont elle s’est séparée. C’est au bout du compte , la question du « comment et pourquoi vivons nous » que pose par la bouche de son héros Mason, le cinéaste. Et son récit se fait le reflet d’une vie familiale ( presque ) sans drames excessifs ni surcharges, en somme banale et suffisamment emblématique pour permettre au spectateur de réfléchir sur ces « choses de la vie » qui au travers d’une fiction simple, le renvoient à ces moments qui ont imprimé et infléchi les vies ( mariage, enfants , travail , santé , déménagements, séparations, re-mariages, déboires sentimentaux … et tous ces petits arrangements avec la vie ) , et se sont inscrits dans le temps , comme les étapes marquantes . En même que la mémoire des événements extérieurs ( politiques : Guerre en Irak, fin de la période Bush, campagne électorale et élection d’Obama , mutations technologiques , les chansons d’époque, les événements culturels ..) , accompagnateurs et eux aussi , marqueurs d’époque et de mémoire collective.

C’est à la dimension Universelle que Richard Linklater élève son projet expérimental à la fois ambitieux, et unique dans sa dimension de production. Engageant sur la durée tout un système ( de production , mais aussi de comédiens, opérateurs , décorateurs, scripts et autres métiers…) au cœur ( et au service ) d’un projet artistique audacieux s’inscrivant en totale opposition et en marge du système traditionnel . Pied- de- nez aux blockbusters qui envahissent les espaces de nos toiles … au bout du compte ce qui est ,aussi,réjouissant que rassurant au vu des premiers échos et au delà de la bonne réception critique et festivalière ( Ours d’argent du meilleur réalisateur au Festival de Berlin ) , c’est l’accueil et le succès public du film aux Usa . On espère , et on vous invite, à faire en sorte que le succès se perpétue chez nous afin que celui-ci permette à d’autres projets de la même nature de voir le jour et nous préserver un peu mieux , à l’avenir, du tout venant formaté qui malheureusement nous impose souvent sa médiocrité ! . Après l’expérience de la série Before devenue « culte » au fil des ans , Richard Linklater nous en offre encore une autre expérience de création « temporelle » dont l’audace artistique servie par la qualité du résultat proposé, trouve le public au rendez-vous . Bonne nouvelle pour le cinéma…
(Etienne Ballérini)
BOYHOOD de Richard Linklater – 2014 –
Avec : Ellar Coltrane, Patricia Arquette, Ethan Hawks , Lorelei Linklater…
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