JE VOYAGE SEULE de Maria Sole Tognazzi.
Ils se sont séparés pour se sentir plus libres et indépendants, mais sont restés proches . Ils s’investissent désormais à la fois dans leurs passions et le travail comme le fait , ici , le personnage féminin sur lequel la cinéaste pointe plus particulièrement son regard pour nous offrir , tout en délicatesse -sur la tonalité de la comédie douce-amère- le portrait sensible de la difficile conquête de l’indépendance féminine dans notre société moderne ….

Elle et Lui, forment un de ces couples d’aujourd’hui, qui, après avoir vécu et passé de nombreuses années ensemble sans se marier, ont décidé de mettre fin à une liaison au cœur de laquelle chacun ressentait sa liberté mise en danger par des obligations et des choix qu’ils n’étaient pas en mesure d’affronter. Ainsi Irène ( Marguerita Buy , la grande comédienne Italienne: éblouissante ) qui refuse de se voir laisser emprisonner par la maternité et une vie de femme ( modèle?) au foyer. Irène qui a décidé désormais de se défaire de toute implication sentimentale qui puisse freiner son indépendance et son désir de liberté , a choisi d’asocier travail et voyage. Employée par une société de contrôle et de notation de prestations clientèle dans les grands palaces où elle s’y glisse « incognito » pour en mesuer les qualités et en faire les compte-rendus adéquats. Alliant voyage aux quatre coins du monde, rencontres et séjours dans les hôtels de luxe, le tout gratifié d’un salaire … avec la seule contrainte des rapports à fournir, Irène y trouve son compte de liberté et d’indépendance .
Tandis que son compagnon, Andrea ( Stefano Accorsi , impéccable) l’indépendance retrouvée découvre désormais le plaisir de faire jouer son charme resté intact malgré l’âge et la quarantaine qui se profile. Et il s’épanouit dans sa petite entreprise « bio » qui lui permet de ne pas avoir de patron sur le dos et trouver ses espaces de vie privée.

Le cadre établi dans lequel Irène trouve désormais ses repères, va se confronter à une réalité quotidienne qui peut malgré tout le mettre en danger. Et les occasions ne manquent pas , à commencer par les réflexions et commentaires des amis et des proches, comme c’est le cas de sa sœur Silvia( Fabrizia Sacchi ) qui ne cesse de fustiger sa vie de bohême et de lui répéter jusqu’à satiété que les années passant, il serait temps de penser à se caser « avant qu’il ne soit trop tard!». Andrea qui a renoncé, lui, à la faire changer d’avis préfère désormais conter fleurette ailleurs … et finira par être confronté à une paternité qu’il va décider d’assumer. Iréne jusque là confiante en l’ ex- amant resté ami, craint de le voir s’éloigner… et va tout à coup vasciller dans ses certitudes revendiquées si fièrement . D’autant que d’autres rencontres et événements survenus lors de ses voyages viennent y ajouter leur lot de questionnements, comme élements déstabilisateurs . Tentée de lâcher du lest, à l’image de la séquence où elle ( à qui l’on reproche d’être une étrangère à sa propre famille ) va se résoudre à inviter ses nièces à l’accompagner dans un de ces Palaces où -cette fois-ci – elle pourra jouer les mères de famille, après avoir y « interprété » incognito, tant de rôles différents pour son travail…

La belle idée de Maria Sole Tognazzi ( fille du célebre comédien Ugo Tognazzi) , c’est de mettre face à ce défi son héroine dans sa quête de liberté, nous renvoyant en miroir la complexité des obstacles à surmonter dans une société qui balise les chemins de la normalité et vous renvoie à la solitude et à la marginalité . La réussite du film est dans ce questionnement et la manière avec laquelle la cinéaste en propose l’exploration. Habilement , la réalisatrice qui signe ici son troiséme film , et qui paraît forcer le trait de caractère d’Irène ( l’intransigeance et l’insoumission) jusqu’à la rendre parfois antipathique, le retrourne en argument pouvant permettre à celle-ci qui pourrait flancher, de s’affranchir des obstacles. Dans l’imprévu qui la contraint à porter un nouveau regard sur elle-même, elle y puise les motivations d’une nouvelle résistance. Son nomadisme, jusque là empreint d’une sorte d’inconsciente légèreté et d’insouciance , s’habille d’une certaine gravité. Celle que lui renvoie la vacuité et l’insignifiance d’un univers de luxe où elle finit par mesurer et prendre conscience – au travers de ce que lui renvoie la « routine » de son travail – d’une certaine forme d’aliénation , en même temps que de la complexité des postures sociales qui l’accompagnent. Comme en témoignent les rencontres ( l’homme séduisant du palace de Marrakech, ou la féministe convaincue du Palace Allemand) dont les destinées lui ouvrent les yeux. Dans sa quête la détermination d’Irène s’habille désormais de la conscience de la fragilité de sa liberté. Comme le lui renvoie en écho la séquence de ce jeune couple visiblement d’origine modeste ayant consenti des sacrifices pour s’offrir en cadeau de mariage le séjour dans ce Palace, et à vis à vis duquel, le personnel va se comporter de manière très méprisante ! .

Les barrièes sociales et morales, restent un frein et ne sont pas près de tomber, de la même manière, la conquête de la liberté est un luxe qui demande des sacrifices et la force de caractère , car on ne vous la concèdera pas facilement. Dès lors, certitudes mises à l’épreuve et soutien moral renouvelé d’Andrea « je serais là , si un jour tu as besoin » , des armes nouvelles en mains va pouvoir poursuivre sa route , sans devoir à renoncer à ses rêves . Avec ce deuxième souffle et sa valise à la main dans le hall d’un aéroport , la voilà est prête à nouveau à s’envoler vers des destinations qu’elle aura choisies … sans obligations, ni rendez-vous . Le regard pointé vers l’horizon, en route vers la ( sa ) liberté …
(Etienne Ballérini)
JE VOYAGE SEULE de Maria Sole Tognazzi- 2014-
Avec : Margherita Buy, Stefano Accorsi , Fabrizia Sacchi …