
66 ans après les premières notes sorties de la trompette de « Satchmo » en concert à Nice, le jazz résonne toujours dans la ville lors du festival d’été, l’un des plus importants en Europe. Ibrahim Maalouf pourrait être à l’image de cette continuité du jazz, même si la sonorité de sa trompette n’a rien à voir avec celle de son illustre aîné, aujourd’hui, les musiques du monde s’invitent dans le répertoire du jazz, et l’édition 2014 du Nice jazz festival reflète bien la tendance proposée par les organisateurs.

Bien entendu, depuis tant d’années, beaucoup de choses ont changé les lieux et les figures emblématiques du jazz qui ont jalonné toutes ces années ont laissé leurs empreintes sur le chemin. Bien sûr, on évoque souvent Armstrong qui, en 1948 ouvre le premier le bal et pas n’importe où…à l’Opéra de Nice, on attendra 1970 pour revoir ensemble les grands noms au théâtre de Verdure, ils s’appelaient Ella Fitzgerald, Charlie Mingus et bien d’autres. Pour assurer ce succès estival, Nice choisit d’accueillir dès 1974 plus de 200 musiciens sur quatre, puis trois scènes, ce sont les belles heures de la Grande Parade du jazz sous les oliviers des jardins des Arènes de Cimiez. Parmi ces artistes, les gloires mondiales du moment : Miles Davis, Fats Domino, Lionel Hampton ou le grand orchestre de Count Basie. Une époque où les musiciens restaient deux ou trois jours n’hésitant pas à partager sur les mêmes tables un plat de haricots rouges mijotés par des cuistots de la Nouvelle Orléans. Au fil des années, la technique et les sonos compliquent l’écoute des concerts surtout pour le jazz, le public est toujours plus nombreux et, heureuse coïncidence en 2011 on déménage pour la place Masséna et le Théâtre de Verdure pour une nouvelle vague jazzique. Nouveaux lieux, nouvelle programmation, toujours du jazz bien sûr mais les tourneurs et les programmateurs, qui ont besoin de remplir de grands espaces pour accueillir un public plus jeune, plus ouvert à la musique actuelle qu’ils écoutent sur les radios branchées, délaissent un peu les grandes pointures du jazz même si l’année dernière, le théâtre de Verdure a fait le plein, notamment avec Ahmad Jamal ou Herbie Hancock…Bon, on ne va pas refaire le monde et il y a de la musique pour tous les goûts, les organisateurs (ville de Nice) ont bien compris qu’il fallait différencier les deux scènes selon les formats acoustiques employés par les groupes : donc petit conseil entre ami, Théâtre de Verdure pour oreilles sensibles et la scène Masséna est toute désignée pour oreilles habituées à écouter à fond la caisse.

Et le programme, me direz vous, je ne vais pas vous énumérer toute cette édition 2014 mais seulement souligner les artistes qui dans l’année ont fait les belles affiches dont Richard Galliano, honoré d’être le parrain du festival, un artiste qui revisite sans cesse des répertoires en s’associant à chaque fois avec des musiciens différents « Je suis très touché, très ému de savoir que l’on pense à moi, il y a tant d’illustres musiciens qui auraient pu aussi être d’excellents parrains…j’aime bien cette ambiance festival, on rencontre toujours un tas de gens que l’on n’a pas vu depuis longtemps et, en plus, on découvre de jeunes talents, je suis enchanté de voir en chair et en os la chanteuse Cécile Mc Lorin Salvant qui passe avant moi et, je suis comblé quand je vois qu’on a programmé un autre accordéoniste comme Vincent Peirani, je le connais très bien, c’est moi qui lui avais conseillé d’aller à Paris au Conservatoire de Jazz et c’est moi également qui ai trouvé son premier orchestre…de rock à ses débuts. Depuis, il a fait son chemin associé à un autre jeune qui ira loin, le saxophoniste Emile Parisien… »

Il faut souligner que Richard Galliano jouera avec le Nice Jazz Orchestra, un big band dirigé de main de maître par le saxophoniste Pierre Bertrand. Ils n’ont pas encore écrit l’histoire du jazz mais ils y rentrent au fil du temps, je veux parler de deux autres grands noms qui seront à l’affiche, Kenny Garrett et Joshua Redman.

Pour le premier, sa carrière a bien commencé quand à 18 ans, il est pris dans le Duke Ellington Orchestra dirigé par le fils du Duke, Mercer. Tout va s’enchaîner très vite, d’Art Blakey à Miles Davis, on se l’arrache, on se souvient du bel enregistrement en 1998 « Garrett 5 ». Dans son dernier CD sorti en 2013 enregistré en studio« Pushin G The World Away », on voit bien dans le titre la recherche musicale de ce morceau de plus de 9 minutes avec en plus les voix de 3 musiciens.
Quant à Joshua Redman, il était presque normal qu’avec un papa (Dewey) célèbre saxophoniste, le chemin semblait tracé, semblait car Joshua s’intéressait autant à ses études (fac de droit à Yale dans les années 90) qu’au jazz, ce qui ne l’empêchait pas entre deux cours de jouer avec son père au Village Vanguard à New York. Comme Garrett, il ne reste pas longtemps dans l’anonymat, Elvin Jones lui demande d’enregistrer avec lui, Roy Hargrove et Jack DeJohnette l’invitent à jouer avec eux.
Depuis, les enregistrements en leader s’enrichissent de ses sons très particuliers, dernier CD en date de 2013 «Walkin 6 Shadows » avec un super morceau « Lushy Life » qui illustre bien le jazz qu’il affectionne. Quelques pointures musicales fêteront à Nice leurs décennies de carrière comme Deep Purple créé en 1968, les Gipsy King (25 ans) et puis l’inépuisable Dr John digne représentant de la Louisiane, cet excellent compositeur aura une nouvelle fois à ses côtés la tromboniste Sarah Morrow. Quant à la scène Masséna, ça va encore déménager : électro funk, hard rock, groove, pop acidulée, reggae et soul, bref des soirées favorables au déhanchement à l’image du groupe français Electro Deluxe qui tient superbement la route depuis plus de 10 ans.
Pour finir, place à Ibrahim Maalouf, si les critiques le cataloguent le plus souvent dans la rubrique jazz, je dirais qu’il dépasse les frontières du jazz non pas comme beaucoup d’autres artistes cités précédemment mais avec une profondeur musicale à l’égal d’un autre trompettiste, le sarde Paolo Fresu, comme lui, chaque concert ou enregistrement n’est pas signe d’une répétition, à chaque fois, c’est un renouvellement flamboyant, d’autres expériences avec des sons entre rupture et enchaînement.
Ibrahim Maalouf n’est pas seulement un grand trompettiste parce qu’il a un piston de plus à son instrument mais parce qu’il sait donner à son instrument ces sons tellement reconnaissables. Bon…il est vrai que parfois il en fait un peu trop dans ses belles musiques arabo andalouses mais cet univers lui convient très bien et puis, il enchaîne si bien sur du Bach ou du Miles Davis, bref un artiste à l’aise dans tous les registres du classique au jazz, curieux de toutes les musiques, toujours en train de lancer différents projets, de Vincent Delerme à Grand Corps Malade en passant par un ensemble féminin de percussions brésiliennes, rien ne lui semble impossible. Son Cinquième album récompensé par une Victoire de la Musique est musicalement dans cette universalité qu’il donne au jazz et dans le titre Illusions il est plus présent que jamais. Le Nice Jazz Festival 2014 se veut éclectique et son directeur artistique Sébastien Vidal a fait le choix de l’ouverture musicale, du jazz et des musiques actuelles « j’aime la musique en général, je me lève en écoutant ACDC, je fais du rameur avec le Creedence Clearwater Revival et je me couche en écoutant Armstrong, la période avec l’orchestre Luis Russel dans les années 1930…donc, dans cette édition, je vais aussi avoir cet éclectisme » Rendez vous du 8 au 12 juillet pour tenir la plus belle forme de l’été et comme disait Boris Vian « Sans le jazz la vie serait une erreur »
Jean Pierre Lamouroux.