LES POINGS CONTRE LES MURS de David Mackenzie.
Le cinéaste Anglais remarqué par Young Adam ( 2003 ) et Perfect Sense (2011) , nous plonge avec son jeune héros dans la violence des prisons , empruntant les voies du réalisme et de l’ épure. Autour du récit de ce jeune délinquant qui se retrouve dans la même prison que son père, il construit un huis clos saisissant sur la brutalité de l’univers carcéral, qui ouvre la réflexion sur les possibilités de se soustraire à la violence par la réinsertion , en même temps qu’il explore, habilement, sous le thème de la filiation, l’héritage de celle-ci.

Dès les premières images on entre dans un huis clos , celui d’une prison , duquel on ne sortira pas. La première séquence nous montre un jeune homme de 19 ans, Eric Love ( Jack O’Connell, totalement impliqué ) menotté et soumis à la traditionnelle séance de consigne de ses objets personnels et habits , suivie de douche et de revêtement de tenue de prison, menottage et enfermement en cellule. Un rituel qui sera suivi d’un autre, la découverte par Eric d’un Univers carcéral en forme d’état sauvage qui s’est construit ses propres règles , compromissions et rapports de forces, sous le signe des « clans » qui permet de faire fructifier les trafics, sous la menace du glaive qui ne manquera pas de punir tout contrevenant . En parallèle il y a , aussi , le poids d’une administration et des gardiens chargés de faire régner l’ordre et la sécurité . Et, puis il y a cette dimension intime- le père et le fils réunis dans le même lieu – qui insuffle au récit sa dimension tragique et vient compléter ( compliquer ) la réflexion par la dimension romanesque qui s’y attache , en l’ouvrant au débat sur l’absence d’éducation…

Ce qui frappe d’emblée donc, c’est la manière dont le cinéaste organise la mise en place des éléments et des codes de ce genre cinématographique qu’est le film de prison , pour en concentrer toute la charge des tensions dont il est porteur , et l’ouvrir à une démarche de réflexion sur le thème de la violence dont il évacue les clichés , pour ouvrir à une analyse des rapports humains dans un lieu clos qui les exacerbe pour tenter de sonder ( percer?) les possibilités de s’y soustraire . Les clichés de la violence et de son spectaculaire trop souvent banalisés via les » blockbusters », le cinéaste a fait le choix de la styliser par une mise en scène du réalisme et de l’épure , revendiquant les influences de Robert Bresson et de Don Siegel . Le cinéaste explique son choix dans le dossier de presse « j’ai aimé m’attaquer à deux limites , celles du film de genre et celle d’un environnement clos, un lieu où le langage visuel est restreint et où le rythme et les comportements sont répétitifs . Il y a quelque chose de très fort dans le fait de rentrer dans un monde de limites cinématographiques (…) de plus j’ai essayé de faire un film très sobre, sans fioritures , et de minimiser la distance entre acteurs et spectateurs (…) j’avais en tête deux films que j’ai vus lorsque j’étais très jeune . Le premier est Un Condamné à mort s’est échappé de Robert Bresson dans lequel l’attention portée aux détails et la simplicité créent une force et une tension très intéressantes. Je l’ai revu avant de commencer mon film , il m’a totalement époustouflé . Le second, c’est L’évadé d’Alcatraz de Don Siegel , je me souviens d’un refus de sentimentalisme et d’une pureté de réalisme (…) ces deux films on eu une influence sur ce que j’ai essayé de faire ici » , dit-il

Et David Mackenzie inscrit également dans sa démarche de « refus de sentimentalisme et pureté de réalisme » , les séquences destinées à traduire au delà de la violence de l’univers carcéral , le questionnement sur les origines de celle-ci et sur la manière de tenter de d’y faire face .Dans cet espace clos , il a le mérite de faire sourdre de l’image la subtile complicité entre celle-ci et Eric qui y est constamment présent , et dont elle capte et décrypte l’intensité des excès de violence d’un écorché vif en même temps que cette vulnérabilité et fragilité qui se cache derrière les blessures intimes.
A cet égard , les scènes où il s’expose lors des séances de thérapie de réhabilitation, sont doublement révélatrices. D’une part par leur volonté de tenter de chercher à faire sourdre la parole libératrice d’une violence qui s’exprime habituellement par les comportements. Magnifiques séquences de « duels » de paroles qui se substituent à ceux des coups …dans lesquelles le rôle d’Olivier ( Rupert Friend ) le thérapeute de prison est renforcé dans son authenticité par le « vécu » du scénariste Jonathan Asser qui a transcrit pour le film son expérience personnelle d’une douzaine d’années passées dans les prisons pour mineurs de Feltham où il fut amené à « identifier les racines de la violence comme étant une honte, une perte de statut social et la diminution ou l’absence de sentiment d’appartenance ».

Et ces séances s’enrichissent de la révélation qui finit par éclater à vif, des failles et blessures intimes d’Eric qui surgissent au sein de ces « duels » de paroles libérateurs, comme peuvent l’être des coups de poings aveugles et rageurs, contre les murs . Des bribes de mots qui sortent, révélant la douleur de l’abandon paternel , l’absence d’affection maternelle et une enfance douloureuse confrontée à la honte et à l’humiliation ( pédophilie? ) dont Eric raconte avoir tué , a dix ans, un homme « qui a voulu abuser de lui ») , et à la révolte qui l’a conduit dans les centre pour adolescents , puis aujourd’hui , dans le milieu carcéral adulte … et à ces retrouvailles avec un père , Nev ( Ben Mendelsohn ) qui se veut protecteur , mais qui substitue l’éducation paternelle qu’il n’ a jamais pu transmettre par celle d’une éducation de survie en milieu pénitentiaire qui ne peut que se révéler néfaste pour Eric. Tentatives d’approches et tensions revivifiées au sein d’un entourage de rapports de clans qui les irrigue de sa sauvagerie , et guettés , du coin de l’oeil par le sournois surveillant Hayes. Le chemin ne sera pas facile …ni celui d’une possible rédemption .

Le film est sec , comme le couperet prêt à tomber , mais il s’illumine aussi de ces ouvertures possibles qui laissent la porte ouverte . La force du film est dans son refus du manichéisme et dans le constat d’un état des lieux glaçant où la violence et la haine semblent faire leur loi face à une justice impuissante et une administration pénitentiaire qui s’ en accommode , à l’image de l’expérience Thérapeutique d’Oliver que certains aimeraient voir échouer . Mais, de celle-ci , comme de certains élans du cœur qui font écho à l’horreur des passages à tabac, ou aux simulacres de pendaison , il y a comme une étincelle d’espoir qui semble survivre …
Un film fort qui aborde avec une intégrité d’écriture surprenante un sujet qui fait souvent débat , et qui est servi , faut-il le souligner une fois encore , par des comédiens anglais remarquables qui ont le don de s’investir dans leurs personnages pour leur donner vie et sens, comme jamais…
LES POINGS CONTRE LES MURS ( Starred Up ) de David Mackenzie -2014-
Avec : Jack O’Connell, Ben Mendelson , Rupert Friend, Sam Spruell, Anthony Welsh,
Peter Ferdinando…