BLACK COAL de Diao Yinan.
Le troisième long métrage du cinéaste Chinois,est, à plus d’un titre surprenant par les choix stylistiques d’un récit qui irrigue de ses zones d’ombres la dramaturgie , en même temps qu’il brosse , en toile de fond, le portrait d’une Société Chinoise explorée ,elle aussi, dans ses coins les plus reculés . Sacré par la plus haute récompense , L’Ours d’or au Festival de Berlin 2014 et le prix d’ interprétation Masculine . Un film à découvrir ….

On avait suivi le parcours débutant du jeune cinéaste de ce que l’on appelle la Sixième génération du cinéma Chinois , d’abord au Festival de Venise où avait été présenté son premier long métrage , Uniform (2003 ) puis au Festival de Cannes où son second Train de nuit ( 2007) avait eu les honneurs de la section Un Certain Regard . On avait été sensibles à un regard qui semblait vouloir emprunter d’autres chemins pour exprimer sa vision d’ une Société chinoise dont les populations subissent , y compris au plus profond des provinces isolées , les contrecoups d’une modernisation tout crin déstabilisante et porteuse de fêlures et de questionnements qui reflètent une sorte de malaise général qui se perpétue dans les comportements aussi irrationnels et inquiétants que les raisons qui les ont déclenchés !.

On a un premier élément de réponse dans le « synopsis » qui nous est proposé par les auteurs en forme de fait divers sanglant révélateur d’une certaine violence sociétale qui prend une dimension inattendue « le corps d’un ouvrier de carrière minière assassiné est dispersé aux quatre coins de la Mandchourie . L’inspecteur en charge de l’enquête doit l’abandonner après avoir été blessé lors de l’interpellation des principaux suspects … Cinq ans plus tard deux nouveaux meurtres commis dans la régions, tous deux liés à l’épouse ( Gwen Lun Mei ) de la première victime, amènent l’inspecteur de police ( Liao Fan ) reconverti en agent de sécurité … à reprendre du service en privé , et à se rapprocher de la mystérieuse jeune femme » . On le comprend rapidement , c’est la trame et les codes du polar que le cinéaste a choisi d’arpenter , à sa manière , et dont il revendique l’héritage notamment du cinéma Américain , mais surtout plus particulièrement des romans noirs dont un certain Raymond Chandler et son célèbre privé , Philip Marlowe , ce sont inscrits dans les mémoires comme les spécialistes d’intrigues déroutantes , dont le mystère et la confusion font le prix . Et Diao Yinan a choisi de s’y coller au plus près , en inscrivant son récit dans un cadre ( rarement exploité , hormis celui des films documentaires ) d’une ville de province chinoise éloignée , qui lui permet d’ouvrir une approche des codes du genre à une autre réalité et reflexion « le choix d’une cité industrielle du Nord de la chine relève moins de la sociologie que de ma volonté de l’inscrire mon histoire dans le réel », affirme-t-il dans le dossier de presse du film.

Et son choix est à plusieurs titres passionnant dans ce qu propose cette approche d’une réalité Chinoise par le biais d’un genre cinématographique qui lui est extérieur . Une approche d’autant plus originale qu’elle ouvre les perspectives d’une analyse s’appuyant sur une forme de cinéma dominant ( Américain ) dont les codes et l’écriture, vont servir à décrypter une autre réalité culturelle, sociale et économique. C’est, aussi , en quelque sorte une manière- habile – de contourner les difficultés ( la censure ) en investissant les codes d’un genre. C’est d’ailleurs la voie qui a été empruntée par son compatriote Jia Zangké dans son récent A Touch of Sin (2013 – voir critique sur notre site , Novembre 2013) ). Elle permet, ici , au cinéaste une forme de liberté à la fois stylistique et visuelle qui nourrit son récit ( dont il est aussi l’auteur du scénario ) et l’ouvre à une analyse des personnages et des événements , en forme de « feu d’artifice en plein jour » , titre original du film ( objet de la séquence finale ) qui se fait emblématique de cette mystérieuse opacité d’un réel et d’une société en plein mutation dont les personnages et les lieux subissent ( et certains en profitent…. ) le poids, avec cette sorte de fatalisme « on a évolué , mais , bons ou mauvais les souvenirs restent » , comme, le dira un des personnages du film.

Et la force du film est dans cette dimension que les auteurs traduisent avec d’autant plus de bonheur qu’elle s’habille du mystère de l’énigme du fait divers , et des personnages qui y sont , ou pas, impliqués. D’autant que le temps ayant fait son affaire , depuis la première enquête , les personnages ne sont plus les mêmes , comme le souligne avec une maestria remarquable , la scène de l’élipse où la voiture de police s’engouffre dans un tunnel … pour ressortir cinq ans plus tard , dans la ville de province enneigée . Où l’on retrouve notre inspecteur de Police qui a sombré dans l’alcool reconverti en agent de sécurité d’usine, et qui va – reprise des meurtres mystérieux aidant – s’investir en enquêteur privé, pour tenter de résoudre le mystère . Obstination en forme de revanche , comme motivation « le récit met en lumière un individu en guerre contre lui-même , et son chemin vers l’épanouissement et la rédemption » , explique le cinéaste .
Mais aussi ,obstination saupoudrée de l’attirance vers cette femme , épouse de la première victime , aujourd’hui employée d’une petite laverie et dont la beauté et le mystère intrigue notre ex-inspecteur . Le film se peuple, aussi , dans le sillage de la nouvelle enquête , d’autres personnages insolites et énigmatiques à l’image du patineur sur glace , dont vous laisse le suspense entier et le plaisir de la découverte.

Ils sont la matière vivante du film comme l’est , en toile de fond qui se dessine au fil des déambulations de l’enquête , le portrait de cette ville de province en plein hiver qui sous son manteau neigeux , vit , vibre et cache ses turpitudes. . Activités diurnes , travail , petits commerces et ( ou ) arrangements et trafics qui se perpétuent aussi sous les néons et dans les boîtes de nuit. Ombres et lumières . La violence quotidienne qui s’y inscrit au détour d’une ruelle ou par le biais d’une certaine forme de délation .« l’indécision, la lâcheté , la traîtrise, la soumission aux normes sociales…autant de faiblesses causées par la passivité et la négativité du cœur humain. Elles peuvent assombrir l’esprit de chacun, mais être aussi , une source d’humanité » , dit encore le cinéaste . Et on a aimé sa manière de la dire avec une mise en scène qui ménage- à la manière de l’intrigue – ses surprises dans les ellipses étonnantes , par les plans fixes qui travaillent à la fois sur la durée et l’espace , par la touche d’évasion qui s’inscrit au cœur du réel comme une envolée libertaire poétique et (ou ) surréaliste, par la manière aussi de s’inscrire dans les codes du genre et de s’en évader . Et enfin, par sa subtilité dans la façon d’arpenter les lieux et les individus et d’y inscrire , la fragilité de ces pulsions et impulsions qui rendent inexplicable le passage de cette frontière ( que d’aucuns voudraient simplifier ) entre le rêve et la réalité , mais également entre le bien et le mal . Parmi les films qui ont nourri son inspiration pour l’écriture et la réalisation de son film, le cinéaste fait référence à ceux qui lui ont servi de modèle. « avant de me lancer dans ce projet , j’ai pensé à La soif du Mal d’Orson Welles et sa séquence d’ouverture , le faucon Maltais de John Huston , et Le Troisiéme Homme de Carol Reed ». Pas si mal non ? .
(Etienne Ballérini)
BLACK COAL de Diao Yinan -Chine – 2014- Ours d’or Berlin 2014-
Avec : Lioa Fan , Gwen Lun Mei , Wang Jinchun, Yu Ailei, Wang Xuebing ….
Stop Stop Stop!
…et encore !.
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