BIRD PEOPLE de Pascale Ferran.
Un cadre dynamique Américain travaillant pour une multinationale décide de tout laisser tomber. Une jeune étudiante qui pour se payer ses études travaille comme femme de chambre dans un hôtel d’aéroport, va se défaire de ses chaînes… l’ouverture à une autre vie , est-elle possible ?. La réalisatrice de Lady Chatterley ( 2007 ), revient après huit ans de silence avec un nouveau film surprenant et passionnant qui nous plonge à la fois dans le réel et dans un prolongement fantastique en forme d’ouverture – saisissante – à d’autres possibles …

Comme chez Claire Simon et son Gare du Nord (2013) , la première séquence de Bird People , s’ouvre sur une multitude de gens affairés dans un lieu public en attente de transports pour se rendre sur leur lieu de travail et (ou) à leurs rendez-vous. Dans la foule quelques-uns sont individualisés dans leurs attitudes , leurs communications téléphoniques , ou leurs conversations avec leurs voisins . Tandis que certains encore , rêvent ou écoutent de la musique, d’autres relisent les détails d’un dossier important , la caméra s’isole un instant sur une jeune fille , Audrey ( Anaïs Demoustier , lumineuse ), étudiante qui se rend à son travail de femme de chambre qui lui permet de se payer des études . Elle consulte son planning à venir , fait le décompte des heures de son trajet et s’écrie « la vache !, ça fait quarante heures par mois ! » , tandis que posé sur le rebord de la fenêtre du wagon , un moineau semble l’observer . Cut . Dans l’avion qui l’amène de l’Amérique vers Paris où , une réunion pour finaliser un contrat important l’attend, Gary ( Josh Charles ) le cadre de la société Américaine attendu à l’aéroport est amené en taxi à la réunion où il « décroche » absorbé par d’autres pensées … qui le poursuivent à son arrivée à l’hôtel toute une longue nuit pour se concrétiser au lendemain à son réveil : il ne partira pas à Dubaï où on l’attend pour mettre en route le projet dont il a la charge . Il a décidé de démissionner !…

L’Hotel de l’aéroport sera, en quelque sorte, le troisième personnage du film qui va s’inscrire comme le « lien » entre les deux destins croisés d ‘Audrey et de Gary , puisque c’est là que tous les deux vont se retrouver . Lui , dans cette chambre où il a décidé de bouleverser le destin de sa vie . Elle, qui y accomplit mécaniquement les gestes d’un travail quotidien, dont elle essaie de s’extraire en se rêvant ailleurs ou en s’intéressant aux allées et venus des clients , captant aussi quelques bribes de conversations révélatrices de leurs vies . Deux destinées parallèles reflétant celles de deux personnages d’univers et de classes sociales diamétralement opposés . Deux quotidiens différents , mais, tous deux révélateurs d’une « inadaptation » au monde qui se reflète dans leurs comportements et leurs désirs . Et chacun va trouver sa propre réponse à ce besoin de tout lâcher et de rompre : l’un avec le stress, l’autre avec les humiliations . Toutes ces choses accumulées qui se reflètent dans le ressenti d’un malaise et d’une pression insupportable dont le besoin impérieux de s’en évader a quelque chose d’irrépressible . Et chacun va le vivre selon les possibilités que lui ouvre sa position sociale .

C’est l’enjeu du film, et Pascale Ferran nous offre la vision étonnante de deux quêtes sur fond de réalité sociale, qui , par l’ originalité du choix d’en transcrire le désir, trouve sa prolongation dans la radicalité d’une mise en scène qui lui offre une dimension inattendue dans laquelle les envolées vers le merveilleux font écho au réalisme pour y inscrire ,en miroir, de la globalisation des destinées, la dimension sociale d’une aspiration à la renaissance à une autre vie . La force du pari de la cinéaste est là , dans cette dimension qu’elle ouvre aux possibles et dans laquelle elle nous entraîne avec la précision mécanique d’une mise ne scène , qui , à l’image d’un Jean Cocteau, hier , nous donne à percevoir -ici aussi – ce que le merveilleux de la fable recèle de vérités profondes . C’est la dimension du conte populaire dont on vous laissera découvrir , pour ne pas déflorer votre plaisir , la beauté qui se dégage de cette vision poétique empruntant aux accents d’une réalité socio-politique ( le stress du travail , mais aussi le problème de la précarité et des sans logis …) les éléments de l’expression d’un désir de liberté , d’une possibilité de changer sa vie , son destin …

Et ce désir, Pascale Ferran l’inscrit sans détours , à la fois, au cœur du statut social de ses deux héros et dans la perception qui sera la leur, de chercher à s’en extraire avec leurs armes . Et la cinéaste l’exprime admirablement dans la manière dont chacun , va utiliser les formes de ce que sera son envol vers la Liberté . La violence de l’univers impitoyable du cadre représentant de multinationale se retrouve dans la violence et l’intransigeance avec laquelle il fait preuve pour affronter les conséquences de sa démission avec ses patrons ( perdre ses parts, ou devoir faire face à un procès qui peut lui coûter cher ne lui fait pas peur …) . Et , surtout il y a cette violence qui s’exprime dans le cadre de la vie intime à l’image de celle qu’il emploie pour rompre avec sa femme ( sa famille ), via ordinateur et liaison internet ( Skype ) interposée. Superbe séquence de rupture qui prend une dimension exceptionnelle dans la froideur qu’elle installe par la « distance » qui s’y inscrit , via le moyen de communication . Et qui en dit long sur celle qui , plus largement , s’inscrit dans les rapports quotidiens collectifs qui délaissent de plus en plus le « lien » social de la proximité, en l’inscrivant dans une démarche de virtualisation ( mails, sms …) désincarnée , qui exclut le contact physique . Spike Jonze récemment dans Her , en déclinait d’ailleurs, une variation, en forme d’addiction emblématique ouvrant à une certaine impasse…

Pour la jeune Audrey qui, elle , n’a pas le même poids social face à ses partons ( et dans la vie ), la quête de liberté et de proximité prendra une autre dimension plus symbolique et poétique, en forme d’échappée belle ( fantasmée ? ) qui renvoie au (x ) conte (s ),dont on vous laisse la surprise ( c’est le souhait de la réalisatrice …) de la découverte .
Ne manquez pas le plaisir de celle-ci , nous qui l’avons vu on vous l’assure, vous ne regretterez pas de vous y laisser entraîner …
(Etienne Ballérini)
BIRD PEOPLE de Pascale Ferran- 2014-
Sélection Un Certain Regard , Festival de Cannes
Avec : Anaïs Demoustiers, Josh Charles , Roschdy Zem, Camélia Jordana ,
Geoffrey Cantor, Taklyt Vongdara, Radha Mitchell, Akéla Sari, Anne Azoulay,
Manuel Vallade…