LES DROLES DE POISSONS CHATS de Claudia Saint-Luce
Leur rencontre à l’hôpital où elle sont soignées, va se poursuivre pour ces deux femmes dans la vie quotidienne, faisant place à une magnifique ouverture à l’autre, au partage et à toutes ces choses qui finissent par donner un sens à la vie et permettent de briser les solitudes et les souffrances. La réalisatrice Mexicaine , explore ce mystère d ‘une rencontre autobiographique ,à laquelle elle a donné un prolongement dans ce premier film bouleversant, qui lui offre une écho universel .
Prix du Jury Jeune au Festival de Locarno et Prix de la critique internationale au Festival de Toronto.

C’est dans une chambre d’hôpital que se retrouvent Martha ( Lisa Owen ) et Claudia
( Ximena Ayala ), la première mère de famille de 46 ans et quatre enfants dont elle s’occupe seule qui est là pour de soins réguliers dont on ne saura pas précisément de quelle maladie chronique elle souffre ; L’autre , jeune fille de 22 ans qui s’y retrouve pour un crise soudaine d’appendicite . Le quotidien des soins partagés et la promiscuité , quelque mots et regards échangés , suffisent pour installer une affinité qui va se prolonger au sortir de l’hôpital, lorsque Martha invite, la jeune Claudia à venir habiter chez elle. Celle-ci , la surprise passée , va se laisser entraîner et immerger dans un quotidien chaotique qui va la changer de la solitude dans laquelle elle s’était enfermée. Un glissement progressif dans une « tribu » familiale où elle va trouver à la fois sa place et endosser un rôle auquel elle n’est pas destinée dont la réalisatrice ouvre avec pudeur et délicatesse , les perspectives d’une transmission …

La dimension autobiographique , la cinéaste la résume ainsi dans les notes d’intention du dossier de presse du film « j’ai souhaité raconter l’histoire de Martha que j’ai connue à Guadalajara et qui est devenue mon histoire de chevet (…) quand je me remémore cette histoire de ma vie, les fais et les lieux s’étoffent de détails fantasmés et magnifiques (…) ma mémoire a su sélectionner et reconstruire les plus beaux moments de notre rencontre, les plus percutants aussi (…) de mon passé je préfère ne garder en mémoire que les détails qui me réjouissent et pas ceux qui m’attristent ( …) nous sommes seuls dans la vie , mais la rencontre entre deux personnes qui partagent les même sentiments , peut rendre la vie plus légère » , dit-elle. Et son film, tout en petites touches sensibles, l’exprime merveilleusement. On en sort bouleversés par la magie d’un récit et d’une mise en scène qui nous y immergent totalement . La force du film tient en effet à cette dimension d’un naturalisme quotidien dont la cinéaste sait extraire la matière vive pour traduire la dimension humaine exprimée ici par un geste , là par un regard ou d’une simple acceptation naturelle qui n’a même pas besoin d’un « oui » pour être traduite dans la réalité. C’est celle qui s’inscrit dans les magnifiques scènes qui nous font complices de la manière dont Claudia la trouve, petit à petit , au travers du relationnel avec chaque membre de la Tribu de Martha.

Et par cette transmission de « détails fantasmés et magnifiques » dont la réalisatrice a fait le cœur de son récit , on se retrouve en position de spectateurs complices d’une sorte de construction naturelle d’affinités électives qui est en train de prendre forme et dont on mesure – encore mieux – la dimension humaine, par les éléments qui s’y révèlent au cœur d’une expérience dont la dimension autobiographique est transcendée par la volonté d’en laisser sourdre, cette nécessité impérieuse de faire face à l’adversité par un amour surdimensionné de la Vie . Et c’est dans le personnage de Martha que celui -ci s’exprime dans sa lutte contre la maladie par une étonnante joie de vivre communicatrice qui lui fait oublier ( ou cacher) ses douleurs, afin de ne pas inquiéter ses enfants . Cette mère qui va leur trouver en la personne de Claudia, une nouvelle sœur aînée qui va pouvoir s’occuper d’eux. Superbes moments d’apprivoisements entre la fratrie et Claudia. Et cette dernière qui s’était construite une sorte de prison en forme de protection sociale qui lui faisait refuser , en dehors de son travail ( dans un supermarché) , tout contact avec le monde extérieur et va se retrouver à la suite de sa rencontre avec Martha, dans le tourbillon de la vie et des problèmes dont elle se protégeait. Une ouverture aux autres et à elle- même , au sein d’une famille qui s’ouvre à elle .

Une adoption dont le double écho se prolonge dans la dimension que revêt, en filigrane, la relation entre Martha et Claudia dont cette dernière va trouver dans Martha la mère de cette fratrie qui l’adopte – aussi – cette mère qu’elle n’a jamais eue .Et Claudia happée par cette double adoption , en cadeau, entre dans la danse de la vie… et dans le bocal que traîne toujours avec lui le petit garçon de la fratrie , le poisson-chat, continue lui aussi sa danse de la vie dans l’eau, sous la protection amoureuse de son maître qui veille …
(Etienne Ballérini )
LES DROLES DE POISSONS CHATS de Claudia Saint-Luce – Mexique , 2014-
Avec : Ximena Ayala , Lisa Owen , Sonia Franco, Wendy Gillen, Andrea Baeza,
Alejandro Ramirez Munoz ….