Pour deux semaines encore, le musée National Fernand Léger* à Biot dans les Alpes Maritimes propose un nouveau voyage à travers les œuvres de l’artiste. Pour cette exposition, le thème est très précis, on y retrouve l’œil du maître dans ses créations à partir des objets familiers de son quotidien : clé, tire bouchon, compas, échelle, etc. Sans s’occuper de leurs proportions, ces objets noyés dans les couleurs de la toile invitent le visiteur à prendre son temps, à réfléchir, comment l’œil de F. Léger observait son époque ,ou chaque parcelle d’une peinture où d’un dessin est un regard précis sur l’actualité des années 1920/1930.

Nature morte au masque de plâtre 1927. c/ Fondation Beyeler, Riehen/Basel, Beyeler collection, Photo Robert Bayer, Basel c,Adagp, Paris 2014
Chaque nouvelle exposition au Musée Léger est une surprise car on a l’impression de tout connaître du travail de l’artiste mais avec un thème à chaque accrochage, on voit que l’œuvre entière ne peut se comprendre sans justement cette division des périodes importantes dans la créativité du peintre, en fait des grands moments que proposait Léger qui avait sans cesse un regard sur tout ce qui l’entourait, sur toute la création de ses amis peintres et sculpteurs, sur les nouvelles techniques qui évoluaient, sur les conditions de vie de ceux qui construisaient ce modernisme. Il fût l’artiste certainement le plus près de l’humain regardant son époque, Nelly Maillard chargée de collections au Musée Fernand Léger nous guide sur le travail de l’artiste à travers quelques exemples, elle a aussi dans cette exposition travaillé sur un abécédaire, un petit répertoire de formes référencées dans l’œuvre du maître « il est habituel d’affirmer que Fernand Léger a érigé en principe de sont art la représentation objective du monde. Cependant, au début des années 20, alors qu’il réalise Le Ballet Mécanique, premier film sans scénario, Léger met en avant les objets standardisés qui s’imposent dans la vie moderne dans des compositions surprenantes : il joue de juxtapositions incongrues, de rapports d’échelle improbables, place les objets en apesanteur dans l’espace de la toile, recourt à des formes molles et organiques. S’établit alors un répertoire de procédés et de formes que l’on retrouve également dans les œuvres des tenants du surréalisme, constitué au même moment en mouvement par le manifeste d’André Breton en 1924. Léger ne cherche pas des objets à peindre, son œil se porte sur les choses avec sensibilité. Dessiner ces choses c’est expérimenter les multiples possibilités plastiques des formes pour faire ressentir cette vision poétique à l’aide des seuls effets picturaux. Cerner la forme de l’objet, lui donner l’espace nécessaire pour faire valoir la force de ses lignes, le poids de sa matière, puis choisir sa coloration se fait en plusieurs étapes. De nombreux dessins sont produits avant de porter sur la toile les meilleures formulations. Dans la série de ces divertissements expérimentaux, voilà le dessin «Composition au tire-bouchon »v.1930 : cette fois il s’agit d’associer le tire-bouchon Zig-Zag plié lui, ne laisse pas voir la spirale qui se termine par une pointe dangereuse – son arme secrète qui fait l’objet d’autres dessins. Le tire-bouchon a bien résisté à tous les efforts et les expériences du dessin. Il est possible de lui inventer un tout autre contexte, il est finalement peint dans d’autres univers imaginaires ». Parmi l’intérêt que trouve Fernand Léger au progrès technologiques, il y a aussi la photographie représentée à l’époque par Man Ray ou Brassaï. Il en sortira des créations comme la Danseuse Bleue, Composition La Main et Aux Chapeaux, Nelly Maillard nous en dit un peu plus « il met en parallèle l’analyse visuel du peintre et les fonctions mécaniques d’un appareil photographique. Il s’agit du diaphragme. Disque percé d’une ouverture réglable, il permet de faire rentrer plus ou moins la lumière dans la chambre de l’appareil photographique. Léger l’emploie comme tel dans ses compositions picturales. Il apparaît sous la forme d’un disque noir et blanc et donne une effet « d’ouverture ». Confronté à d’autres éléments cette forme circulaire déconcerte souvent l’œil du spectateur. Sa représentation n’est pas figée, elle évolue et se transforme au gré des tableaux ». Il serait trop long d’énumérer tous les objets qui ont figuré sur les oeuvres du peintre, objets anodins ou objets repérés chez des amis, ils justifient chacun une réflexion intellectuelle parfois déconcertante…des clé et la Joconde côte à côte…quelques cinquante peintures où l’on retrouve une feuille d’arbre ou encore l’échelle et le tire-bouchon, un peu plus tard il s’amusera avec une série de représentations avec des chapeaux, bref, tout objet est sujet à une réflexion picturale.

Diana Gay, Conservateur du Musée Léger s’est intéressé à ces objets décontextualisés « La contextualisation de cette production étonnante permet d’établir un lien entre l’exaltation des sens due à la passion et une prise de conscience que l’optimisme des Années folles laisse désormais place à une incertitude face à la montée des périls. Le 25 novembre 1933, il écrit à Simone « tous les hommes que je connais qui sont engagés dans cette bataille ont changé physiquement – tous ont maigri – Picabia – Brancusi – maigri moi aussi je crois. » Le 16 septembre 1933, il lui révèle le code secret sous-jacent au réalisme exacerbé qui caractérise ses objets de papier « 25 dessins en 5 jours, dessins au trait très fini des (genre Dürer) serrés durs éclatants tout cela à cause de nous – même méchants – ils sont méchants. » La représentation quasi photographique d’une serrure d’un wagon de troisième classe renvoie ainsi, par son aspect tactile, à l’univers érotique d’une escapade amoureuse à Boulogne sur Mer vécue par les amants » Plus de 60 toiles ou dessins à l’encre de chine et crayons de couleurs sont présentés afin de mieux apprécier une partie de la créativité de Fernand Léger au cours de cette période. Il ne faut pas oublier de découvrir la dernière œuvre acquise par le musée – Tronc d’arbre là l’objet est moins reconnaissable que sur les autres toiles, il prend l’aspect de formes peu reconnaissables à première vue…corps humain, monstre marin, morceaux de corail …la peinture, c’est cela, imaginer son imagination.

*Le musée propose aussi une programmation culturelle avec des projections de films, à venir le 1er juin « Contrastes d’objets et perturbations des rapports d’échelle » du tchèque Alice de Jan Svankmajer, tourné en 1989. Il y a aussi régulièrement des conférences en partenariat avec tous les musées nationaux du XXème siècle des Alpes maritimes et les Centres Culturels du département. La dernière conférence de la saison avec Diana Gay le 2 juin portera sur Le Corbusier et la Couleur.
– Le prochain accrochage aura lieu à partir du 21 juin avec John Armleder où il sera encore question d’objets dans ses créations, une exposition imaginée spécialement pour le musée. A partir de la même date sera exposée l’une des œuvres importantes de Fernand Léger de 1954 – La Partie de Campagne – elle est prêtée par la Fondation Maeght de St Paul de Vence à l’occasion de son cinquantième anniversaire.
Nous y serons !
Jean Pierre Lamouroux