UN WEEK END A PARIS de Roger Michell.
Le réalisateur de Coup de Foudre à Nothing Hill, et du récent Week-End Royal , nous propose avec son nouveau film , l’échappée belle dans la capitale Française d’un couple de sexagénaires Anglais venus y fêter leur anniversaire de mariage . Une comédie à la fois enjouée, mélancolique et désenchantée sous le signe de la nostalgie et des références, empreinte d’un certain cynisme , et portée par des comédiens superbes …

Les Burrows, Nick (Jim Broadbent ) et Meg ( Lindsay Duncan ), ex-fans des sixtes et qui le sont restés ( Godard pour le cinéma et Dylan pour la musique ), ont vu passer le temps, et quelques feuilles de leur rêves tomber, en cette période de l’automne de leur vie. Et ces feuilles que l’on ramasse à la pelle, ils ne ce sont pas faits à la raison de les jeter définitivement à la poubelle . C’est d’ailleurs tout le dilemme qu’ils traînent comme un boulet d’autant plus lourd qu’il empoisonne le présent avec ces regrets et ces non-dits qui resurgissent à l’improviste au détour d’une conversation en forme de remarques acerbes dont l’une et l’autre se renvoient les responsabilités . On devine dès les premières séquences décrivant leur quotidien et les indices qui s’infiltrent au cœur de dialogues , que le couple s’est laissé envahir au fil des trente ans de vie commune par une sorte de fatalisme qui a pollué leur vie . A l’image d’une sexualité dont ils ont perdu la capacité de la réinventer et qui s’est flétrie avec le temps , laissant même les germes de la jalousie l’envahir . A l’image , encore, de ce coup de fil révélateur d’une situation familiale dont ils n’ont pas su clarifier les limites avec ce fils , loser impénitent, qui leur impose un retour au bercail !. Alors , cet anniversaire de mariage en forme de retour vers le futur dans ce Paris symbole d’un passé et d’une jeunesse insouciante , pourra-t-il raviver la flamme ?.

C’est le prétexte d’un récit qui emboîte leurs pas à la redécouverte d’une capitale Française dont il avaient mythifié les souvenirs, et dont ils vont redécouvrir au rythme de leurs envies, et d’un itinéraire faits des coups de folies inattendus de vieux ados . Un chemin des écoliers qui s’inscrit en marge ( en contrepoint ) de celui qu’aurait pu inspirer un guide de visite pour touristes . C’est Meg qui donne le LA , refusant de rester dans cet hôtel aussi insipide que les couleurs qui ont servi à rafraîchir les chambres . Un refus qui, dans un double impact , vise le choix qu’en a fait son mari dont elle veut se démarquer par une provocation destinée à secouer le cocotier d’un effrayant surplace fait de renoncements qui finissent par lui donner envie, à elle, si vivante et pleine d’envies, de fuit leur couple. Pourquoi ne pas lâcher la bride et s’offrir par exemple le temps d’un Weed-end, les fastes d’une suite dans ce palace qui a vu y séjourner Tony Blair?. Etonné, Nick, suit le mouvement …et nous voilà embarqués dans un itinéraire insolite dans la Capitale où à chaque carrefour, où, on « chine » et l’ on se laisse emporter aux plaisirs du shopping et de l’achat , puis, au détour d’un troquet ou d’un restaurant sélect, on cède à ceux de la dégustation. Emportés par le tourbillon on ne se refuse plus rien …y compris celui de prendre la poudre d’escampette et de ne pas payer l’addition. La première partie du film est réellement jubilatoire , elle le restera sur un autre mode , l’humour cynique , dans le seconde.

La « sauce » du lâcher prise dont Meg est l’instigatrice , va jouer le rôle d’une thérapie improvisée qui va permettre de briser la glace du couple dont les langues vont finir par se délier sur le mode mineur d’abord , pour s’emballer – ensuite- dans un jeu de règlements de comptes sans retenue en un échange de ping-pong où l’humour s’inscrit au cœur des insultes, les rendant encore un peu plus cinglantes , avec décalage sur soi et sur l’autre. Et celui-ci se poursuivra en dehors du terrain de l’intimité avec la rencontre de Morgan ( Jeff Goldblum ) un ancien disciple admirateur de Nick devenu écrivain à succès, lors d’une soirée mondaine, à laquelle notre couple est invité. Dès lors, la confrontation avec une certaine collectivité « bobo » intellectuelle à laquelle notre couple est confronté, va déplacer le débat et le constat de celui-ci en miroir d’une certaine hypocrisie de la bienséance sociétale dont Morgan et son amabilité lisse, est le reflet condescendant . La réception qui vire au déballage des désarrois de Nick et Meg et devient une sorte de mise en abîme qui va leur permettre – via l’ indécente liberté de l’étalage leurs problèmes personnels et autres frustrations – de finir par crever l’abcès . On vous laissera la surprise des détails savoureux , et finalement, révélateurs d’un amour dont la peur de le voir dépérir a fini par trouver dans chacun ce repli sur soi , qui renvoie à l’autre les intentions ( et défauts ) qu’on veut bien lui prêter . Aimer à en perdre la raison, disait le poète …

Au delà de l’incroyable prestation toute en nuances dont nous font cadeau les deux comédiens Anglais de cette comédie très « British » , qui entraînent dans leur fougue une mise en scène qui ne veut pas être en retrait , multipliant les références aux comédies Américaines des années Soixante où le couple se malmène avec un malin plaisir . On y retrouve la nostalgie via les références libertaires d’un récit qui y fait l’écho musical ( le Jazz , Dylan…) et cinématographique d’une certaine liberté de ton héritée de la nouvelle vague avec la séquence de la scène de la danse du film Bande à Part ( 1964) de Jean Luc Godard, vue à la télévision de l’hôtel par le couple et qui est reprise dans la scène finale par le trio Nick, Meg et Morgan. On y ajoutera le plaisir de l’écriture et des dialogues ciselés par l’écrivain, dramaturge et scénariste Hanif Kureishi avec lequel Roger Michell a déjà collaboré ( The Mother / 2002 et Venus / 2007), mais aussi Stephen Frears pour My Beautifull Laundrette (1985 ) et Sammy et Rosie s’envoient en l’air (1987 ) , ou , Michel Blanc pour Mauvaise Passe ( 1999 ). Sans oublier la superbe adaptation de son roman, Intimité ( 2001, Ours d’or au Festival de Berlin , Prix Louis Deluc et césar du meilleur réalisateur ), faite par Patrice Chéreau . Des dialogues , ici , d’une subtilité et d’une profondeur dont l’écrivain scénariste a le secret , pour offrir aux personnages la juste mesure d’une douleur et d’un ressenti qui se traduit par cette violence empreinte d’humour décalé qui en dit long.
(Etienne Ballérini)
UN WEEK END A PARIS -2014- Grande Bretagne –
Avec : Jim Broadbent, Lindsay Duncan, Jeff Goldblum , Olly Alexander.
Scénario : Hanif Kureishi .