THE GRAND BUDAPEST HOTEL de Wes Anderson.
Le réalisateur de La famille Tannebaum et de La Vie Aquatique, poursuit avec son dernier film son œuvre originale où, l’humain et l’humour avec ses envolées loufoques se parent à la fois des habits de la dérision et de la gravité . Ici, dans l’hôtel emblématique -avec son personnel et ses clients – d’une certaine Europe des années 1930, c’est la poésie stylisée d’une forme d’imaginaire qui fait face à la surenchère de la violence et du spectre de la barbarie. Un superbe voyage enchanté, truffé de références littéraires et cinématographiques. Grand Prix du Jury au Festival de Berlin 2014.

Inclassable , et pourtant si accessible avec sa poésie qui s’envole vers les univers et les
espaces les plus improbables; habillée d’une superbe bande sonore ( dont la musique originale d’Alexandre Desplat) , ou parfois, empreint d ‘une hyper-réalisme que l’imaginaire même ne pourrait arpenter, à l’image de celui que s’ouvrent dans leur chemin de cavale , les deux adolescents amoureux de Moonrise Kingdom ( 2012 ). Les films du cinéaste sont en effet indissociables d’une réalité dont le cinéaste s’inspire et qu’il transcende par l’épure de sa stylisation. A laquelle les multiples influences musicales , littéraires ( dont celle revendiquée à Stephan Zweig ) et cinématographiques. Des influences dont la nature cosmopolite, se fait le reflet de la synergie matricielle indispensable à sa créativité et à son univers. Pas étonnant d’ailleurs que l ‘un des thèmes centraux de son œuvre fasse référence à la famille ( culturelle aussi ) : « celle que l’on se choisit » , précise le cinéaste quand on le questionne.

Et cette famille , ici, c’est celle que les souvenirs de ce vieil écrivain va faire surgir de sa mémoire et de sa rencontre avec l’étrange et mystérieux propriétaire de l’hôtel Budapest qui, lui, va nous entraîner dans ceux de sa propre jeunesse . C’est ainsi que le récit dans son mécanisme semblable à celui du jeu des poupées Russes, va nous entraîner dans les deux périodes historiques essentielles de l’histoire d’une Europe centrale qui a vu successivement s’éteindre les splendeurs de la belle époque, et surgir les dangers et les violences, avec la montée du fascisme , puis celle de la guerre , et de la domination communiste qui s’est installée ensuite. La symbolique du cadre ainsi défini de cette station thermale de haute montagne et des deux « témoins » -le concierge et son disciple le « lobby boy » ( groom), prénommé zéro – qui ont été les témoins de tous les événements qui se sont déroulés dans cet hôtel emblématique d’un pays imaginaire , nommé Zubrowska, auquel la cinéphilie de Wes Anderson ne peut pas ne pas faire référence au fameux pays imaginaire de « Freedonia » qui vit les quatre zigotos nommés Marx Brothers dans La soupe au Canard ( 1933 ) de Léo Mac Carey, y mener leurs frasques. Ici , le délire de Wes Anderson s’y inscrit lui aussi, au coeur d’une mise en scène dont la stylisation offre à la dimension excentrique et loufoque empreinte d’une touche surréaliste , son contrepoint poétique et romanesque qui vient s’inscrire, au cœur d’une sorte de vertige visuel et de situations , dans lequel ils sont emportés par les événements consécutifs à l’évolution du monde. Construit en chapitres le récit se développe avec l’habillage de chacun d’entr’eux des cadrages d’un format ( de la forme carrée des anciens films jusqu’au cinémascope ) qui inscrit la dynamique formelle , dans l’espace et dans le temps, propre à chacun.

A cet égard Wes Anderson nous entraîne avec ses deux héros dans cette dimension de l’histoire individuelle et collective qui emporte les destinées dont se font écho également les multiples personnages ( un casting de guest- stars, époustouflant ) happés dans le flot des événements de l’histoire. Et au cœur de ceux-ci , s’inscrit la nécessité de garder son intégrité et de faire face aux visages de la violence dont, entre autres, le sombre personnage de justicier ( Willem Dafoe) aux deux mains affublées de poings américains, fait usage et ne cesse de s’en servir pour faire régner la ( sa ) loi au service de certains intérêts. Dans le flots d’événements qui vont se succéder dans , ou en dehors , de l’hôtel , et dont on vous laissera la surprise de découvrir les péripéties , il y a la panoplie des genres cinématographiques qui s’y glisse , explorée sous toutes les formes du regard du cinéaste qui les utilise , pour mieux les dynamiter et leur offrir cette dimension originale d’un choc des contraires , qui installe sa propre vision du monde . Sous la forme de ruptures qui viennent dérégler la machinerie huilée d’un certain ordre et ouvrir les perspectives d’un autre possible , comme le laisse percevoir la scène de l’ouverture des colis des prisonniers par les gardiens détournée dans leur vigilance.

Au delà des multiples saynètes qui constituent en quelque sorte les ingrédients de la garniture du plat principal , il y a ce dernier, rempli des valeurs d’un combat dont on a dit la dimension romanesque enrobée d’une sauce « vintage » , qu’il emprunte pour en faire son rempart raffiné contre les déchaînements porteurs de toutes les perversions extrêmes. Et Monsieur Gustave ( Ralph Fiennes ) dans son intégrité excentrique dont Wes Anderson en fait le préféré de ses clients, et surtout l’ amant de ses clientes dont cette Madame D ( Tilda Swinton, presque méconnaissable en vieille octogénaire ) qui en fait son légataire testamentaire , ce qui va entraîner les convoitises et les déchaînement de violences, dont l’évolution du contexte historique renvoie en écho le déchaînement des siennes , qui en gangrènent la marche . Autre personnage emblématique, et loin d’être insignifiant , celui de Zéro le Lobby Boy ( Toni Revolori ) orphelin apatride qui au fil des événements de l’histoire devient l’étranger indésirable victime désignée au rejet et à l’expulsion. Ce dernier dont la belle protection amicale en forme d’adoption de la part du concierge , devient à la fois le symbole de cette « famille choisie » dont, on l’ a dit, Wes Anderson revendique la paternité inspiratrice de son œuvre où l’apport de la différence de l’autre est source de richesse. Une richesse dont son cinéma aussi jubilatoire qu’inventif se fait l’écho par cette dynamique stylisée d’une mise en scène , et en abîme, dont il l’habille…
(Etienne Ballérini)
THE GRAND BUDAPEST HOTEL de Wes Anderson -2014-
Avec : Ralph Fiennes, Toni Revolori , Tilda Swinton , F. Murray Abraham, Adrien Brody ,
Mathieu Amalric , Willem Dafoe, Harvey Keitel , Jeff Goldblum, Jude Law , Edward
Norton ….