Miranda fait son théâtre

Cet article est le premier d’une série consacrée aux compagnies théâtrales niçoises

C’est l’une des plus anciennes compagnies théâtrales niçoises, la Compagnie Miranda. Miranda, au départ je pensais Shakespeare, La Tempête… mais ce n’était pas ça du tout. Entretien avec Thierry Surace, son fondateur –metteur en scène. 

Donc, rien à voir avec Shakespeare. Dommage !
Thierry SuraceÇa fait aussi partie des influences. Mais en fait cela a commencé à Paris, cela s’appelait « Bayreuth Silence » : Bayreuth pour l’opéra et Silence pour contraster. Mais quand je suis arrivé dans le Sud, il fallait trouver une consonance un peu plus d’ici. Un jour je regarde « Amacord » de Fellini. Il y a la séquence où il y a le fou dans l’arbre qui crie : « Voglio una donna ! » et sa mère qui dit : « Viens ici mon fils, redescends ! » et le mari qui lui dit «  Miranda ! commence pas ton théâtre ! » Et Miranda ça venait bien, au bon moment.

Au départ vous étiez une troupe STF, Sans Théâtre Fixe, puis vous avez trouvé des théâtres fixes, puis est venu « Le Cube », lieu de répétition, et depuis 3 saisons, vous avez en charge  la programmation du Théâtre de la Cité, et vous fêtez vos vingt ans d’existence.
Vingt ans c’est un parcours, vingt ans c’est un chemin ardu, vingt ans dans le théâtre à Nice c’est une grande aventure ! On a tout connu : on commence de rien, puis un garage, puis un préfabriqué. On commence à jouer un peu, on tente le coup à Avignon. On nous propose une salle à Beausoleil, la mairie change et on nous vire de Beausoleil. A la mairie de Nice ils aménagent Spada : on nous propose une salle, nous disons : « on veut juste le couloir mais on l’aménage en salle de théâtre ». Changement d’opinion, on nous vire de Spada etc.… de lieux, de péripétie, mais étalées sur vingt ans, on n’a pas tous les malheurs en même temps. On décide à un moment de travailler plus plus plus jusqu’à mettre notre petite monnaie pour louer un grand lieu, « Le Cube » qu’on a retapé de fond en comble. Et là, depuis maintenant 3 ans, on a fait un immense crédit, le « Théâtre de la Cité » qu’on paie chaque mois, lourdement. Alors, bien sûr, on a des partenaires, mais il faut savoir que rien ne couvre les dettes, toutes les sommes dépensées, bien au contraire. Quand j’entends la polémique des intermittents du spectacle, que je soutiens d’ailleurs, bien évidemment, il faut relativiser. J’entends toujours « les structures sont aidées » oui il y a de l’aide, de la reconnaissance. Mais là, pour notre coût, on s’est endetté pour 20 ans. Voilà ce que c’est que d’avoir un théâtre. Pour le Cube, c’est un travail colossal et une acceptation de faire des choses qui n’étaient pas que théâtrales, comme des animations, des sorties. Pour ma part, j’écris, on a eu des commandes d’écriture, on a mis tout notre argent en commun.

Pour toi, les rapports entre les politiques et les compagnies théâtrales sont-ils toujours clairs ?
Actuellement au théâtre de la Cité, notre fréquentation depuis le début est de 38000 personnes. 38000 personnes concernées par le théâtre, on doit être à peu prés 30000 dans les actions Miranda : la violence, le civisme… c’est à dire grosso modo 70000 personnes touchées. Cela devrait pouvoir contenter le politique qui devrait pouvoir nous aider davantage. Mais il y a des tas de paramètres. Tel théâtre est un théâtre national, une scène reconnue par les pouvoirs publics, par le rectorat, les uns, les autres… mais c’est depuis Molière : ou on est l’ami de Monsieur, ou carrément du Roi, ou on essaie de se débrouiller par soi-même en étant à la fois les ouvriers, les artisans et les artistes.

theatre citéPeux-tu préciser ce que sont ce que tu appelles « les actions Miranda ».
J’avais lu, étant étudiant, Bernard Dort*, et qui exprimait l’idée – je vais le trahir sans doute- que dans l’infrastructure sociale émergeaient des thématiques qui faisait l’art, que des problèmes de société émergeaient des sujet de pièces… Il me semblait toujours nécessaire, pour ma part, de mêler le social et le culturel. Il ya a souvent du péjoratif dans le « socio -culturel », ça donne une image un peu veillotte, un peu soixante-huitarde, mais c’est pas ça du tout. Ca a commencé à Conflans Ste Honorine, Cergy Pontoise. Je mets quiconque au défi d’aller là-bas dans les belles années de ma jeunesse, où il y avait les skins et  punk qui se mettaient sur la figure,  et il fallait faire une pièce de théâtre pour essayer de réconcilier le tout. C’était un peu idéaliste mais de ces conflits naissaient des choses très belles. Pour moi, l’art fait plutôt partie de la tectonique des plaques qui s’entrechoquent et créent de la lave plutôt que des idées qu’on va coucher sur un papier et mettre en place doucement.

Je crois avoir vu la totalité des opus mirandoliens –ou peu s’en faut. Ce qui m’intéresse c’est que la très grande partie sont des créations. Maintenant, on appelle création tout et son contraire. Non, là, il y a un travail d’écriture, mais, lorsqu’il s’agit de Corneille, Shakespeare, Molière, ou d’auteurs vivants, il y a un travail d’appartenance du texte : vous ne faites pas que jouer X, Y ou Z, vous vous l’appropriez. Et même dans ce que tu écris, quand ce texte est joué, il y a par la compagnie Miranda le même travail d’appropriation qu’il y a eu pour un autre auteur. Et cela est très réjouissant parce que l’on touche du doigt cette unité, cette entente qui est votre force.
Et encore plus de l’unité, de l’identité, c’est à dire à la fois un ensemble disparate, avec des tempéraments différents mais avec une espèce de tronc commun de l’idée de ce qu’on peut faire au théâtre, de ce que l’on peut faire d’un auteur. Après, j’adore cette phrase qu’un bon auteur est un auteur mort :  même lorsque c’est moi qui écrit le texte, je me tue, je me tais. Après la pièce est montée par un metteur en scène, et même si c’est moi, peu importe l’auteur : la loi de la scène l’emporte. Après il y a le respect pour les grands auteurs : nous avons joué Corneille, « L’illusion Comique » : l’alexandrin, le plaisir de ce langage à la fois truculent et dissimulé, précieux… Et maintenant, on commence à avoir une couleur qui fait que l’on lit à notre manière quelques pièces. Pourquoi ? Parce qu’on ne veut pas être des intellos. C’est pas pour autant qu’on n’est pas intelligent. Une intelligence qui se montre intelligente me fait toujours peur. C’est peut-être ça aussi le pont commun avec le socio -culturel : on n’est pas là pour faire de la morale, passer des messages, mais pour que les gens, dans cette distraction, en tire –on espère- quelque chose.

Pour parler du travail de la compagnie Miranda en général, il y a un mot qui me vient, c’est le mot « baroque ».873769theatre-de-la-cite
On parle même de baroque flamboyant, on flirte avec le rococo ! Il y a toujours cette idée de la multiplicité des tons, des genres, des sens, des énergies. On peut aller vers quelque chose de plus simple, on l’a fait quand on a monté « Verlaine », mais la couleur dominante, c’est le flamboyant. Selon mes professeurs de philo, ma pensée était diluée par les jolies phrases. Ils auraient voulu que je supprime la forme pour avoir un fond de plus en plus précis : moi, non, j’aime les jolies phrases, j’aime les points virgule. Et le point virgule, tout le monde me demande : mais à quoi ça sert ? Moi je trouve que c’est une manière qui convient tout à fait au baroque : ce n’est pas une pause, ce n’est pas une fin, c’est presque une fin, c’est presque une pause.

Paris, Marseille… : vous jouez largement en dehors de Nice et des communes limitrophes, ce qui après tout n’est pas anormal pour une compagnie théâtrale.
Je pense même que l’ailleurs et vital. Tous les deux ans, à peu prés, nous jouons deux mois à Paris, c’est la deuxième année où nous jouons à Lyon. Marseille, ce n’est pas du travail, c’est une amitié : Richard Martin est un type extraordinaire, c’est au-delà du travail. Il est toujours attentif, tendre et paternel. Pas paternaliste, paternel, et aussi fraternel. On a besoin de ces échanges. On est parti jouer à l’étranger, on a joué à Tours, on nous propose à Nancy une résidence. Il faut défendre l’exception culturelle française en faisant le tour de France et en disant que l’on n’est pas exceptionnel mais une exception.

 

Jacques Barbarin

* Bernard Dort (1929-1994) est un universitaire, théoricien, traducteur et praticien du théâtre, écrivain et essayiste français. Il assiste en juin 1954 aux représentations de Mère Courage, de Brecht, avec le Berliner Ensemble. Il deviendra l’un des plus grands artisans de la connaissance du théâtre de Brecht. Il enseigne de 1962 à 1981 à Paris III. Parmi ses élèves : Valère Novarina, Patrice Chéreau, Jean-Pierre Vincent ou Jacques Lasalle

 

Publicité

Un commentaire

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s