ONLY LOVERS LEFT ALIVE de Jim Jarmusch.
Le réalisateur de Strangers Than paradise , Down By Law, et Broken Flowers explore, à sa manière, le film de Vampires pour en faire une ballade décalée et romantique dans le monde des Stars de la Pop . Adam et Eve , pas moins , y sont les héros en sursis dans un monde où l’avidité et le cynisme font loi , et , auquel ils opposent leur culture intemporelle et leur quête élégante de perdants magnifiques …

On le sait, les vampires sont immortels et traversent donc les époques et la nuit des temps, comme des fantômes avec leur teint blafard, s’abreuvant du sang revitalisant de leurs victimes. Le cinéaste New-Yorkais qui cultive son indépendance créatrice hors de la grande production, en inscrivant depuis ses débuts sa marginalité artistique dans une approche à la fois esthétique et thématique qui lui fait investir – à la fois- les formes et les genres en y apportant sa touche personnelle, comme il le fit par exemple pour le si symbolique genre, le Western, avec Dead man (1995). Et son exploration des formes restée toujours cohérente dans une sorte de dévitalisation dont elle fait preuve , eu égard aux genres en question , mais , en harmonie avec sa quête esthétique dont une certaine forme d’épure trouve ici son écho ( nostalgique?) dans les références artistiques et littéraires à un riche passé dont la créativité et la pensée philosophique renvoient définitivement au rencart les prétendus artistes et ( ou ) penseurs d’aujourd’hui. A l’image du dégoût que manifestent ses héros vis à vis du monde des humains modernes imbus d’eux-mêmes et reflétant , un certain néant…

A l’évidence Jim Jarmusch, y inclut ceux d’un certain cinéma dominant représentant des formes d’une décadence artistique via les blockbusters style Twiglight , qu’il fuit . Et le choix de ses interprètes, pour les rôles d’Adam et d’Eve n’y est sans doute pas étranger, jouant sur leurs références pour construire son couple d’amants romantiques dont l’attrait de leurs différences, est partie intégrante de leur aventure d’amants éternels. Une aventure aux accents Pop et romanesques, qui s’inscrit dans une éternité sur laquelle pèse un sombre nuage d’inquiétude, celui , lié à leur survie . Car Adam ( John Hiddleton, ( vu dans Wallander, Thor et The Avengers, entr’autres ) et Eve ( Tilda Swinton, la sublime ) qui hantent cette nuit des temps sont désormais fatigués d’avoir vécu plusieurs vies, traînant leurs visages pâles et leurs yeux injectés que cachent des lunettes noires de Stars du Rock. Leurs déambulations dans les nuits sombres de Détroit ou de Tanger, envahies de sonorités électriques sont – en parallèle du constat sur un monde qui va de plus en plus mal – celles de la nécessité de la quête d’une nourriture devenue de plus en plus rare. Vampires dont la soif de sang nécessaire, se retrouve détournée du code ( la morsure du cou des victimes) du genre, en une autre quête: celle des flacons d’hémoglobine faisant l’objet de trafic et autres « deals » qui ne sont pas à l’abri des dangers de la contamination…

Jim Jarmusch fait de cette inquiétude le cœur de son récit, dont les accents romantiques revêtent ceux de la transgression qui seule pourra permettre de préserver l’éternité des amants. On vous en laisse,bien sûr, la surprise . Mais son parcours de survie de ses amants romantiques , Jim Jarmusch s’amuse à l’habiller des ses fantasmes en même temps de cette ironie décalée singulière dont ses films ont souvent justement porté , les formes de la transgression. Souvenez-vous de l’intrusion du personnage , avec son humour particulier, de Roberto Benigni dans Down By Law . On retrouve , ici, dans le personnage décalé de la sœur d’Eve, Ava ( Mia Wasikowska ) dont l’immaturité et l’insouciante jeunesse, va provoquer bien de déboires au couple , en enfreignant certaines règles de vie devant préserver leur intégrité face aux dangers du monde des vivants. De la même manière que l’on retrouve dans le personnage d’Adam, musicien Dandy reclus dans son domicile feutré et son univers ( studio) de sonorités avec sa collection de guitares de prestige , mais porté à une sorte tentation suicidaire chronique, héritée de ses confrontations avec un certain….Lord Byron !. Cette ironie que l’on retrouve aussi dans les « échanges » entretenus au long de siècles , avec ces savants , philosophes , penseurs, écrivains …( Einstein , Shakespeare ) et tant d’autres artistes reflets d’une culture du passé , qu’ Adam et Eve entretiennent au présent en forme de rêve éveillé . Ses héros dont Jim Jarmusch dit , dans ses notes d’intention, s’être inspiré de La vie privée d’Adam et Eve de Mark Twain , pour en faire les « archétypes des êtres en marge menant une vie de bohème (…) aux confins le plus obscurs de la société (…) Adam et Eve sont des métaphores de l’état actuel de la vie humaine – ils sont fragiles et menacé , vulnérables face aux forces de la nature et au comportement irréfléchi, totalement dépourvu de vision à long terme, de ceux qui sont au pouvoir », dit-il .

Amants romantiques et transgressifs qui opposent leur idéal de couple éternel et leur décadence remplie des valeurs elles aussi éternelles d’une culture dans laquelle elles trouvent le refuge de l’espoir pour continuer à espérer pour pouvoir survivre .
La mise en scène, servie par le beau travail sur les atmosphères nocturnes, les envolées poétiques et les décalages ironiques qui en sont le moteur, enchantera les « fans » du cinéaste . De la même manière que les notes et morceaux , d’une la partition sonore où se côtoient , Joe Chastain ( le superbe : Can’t Hardly Stand it) , ou Paganini interprété par Charles Yang, Wanda Jackson , Bill Laswell …et d’autres, qui l’habillent de leurs envolées.
(Etienne Ballérini )
ONLY LOVERS LEFT ALIVE de Jim Jarmusch – Usa, 2013-
Avec : Tom Hiddleston , Tilda Swinton , Tom Hurt , Mia Wasikowska , Jeffrey Wright….