ABUS DE FAIBLESSE de Catherine Breillat
La réalisatrice de Romance et de Une Vieille Maîtresse, a choisi pour son nouveau film de se pencher sur la mésaventure personnelle à laquelle elle a été confrontée alors qu’elle venait de subir un accident vasculaire cérébral, victime d ‘un arnaqueur ( Christophe Rocancourt ) qui , profitant de son état , lui soutira son argent. Evitant l’écueil d’en faire un film personnel et à charge , elle a choisi de tenter de percer les mécanismes et les raisons d’une « emprise » à laquelle elle a succombé. Explorant le mystère de la dépendance et de la survie …

En 2005 , la cinéaste victime d’un accident vasculaire cérébral , se retrouve dans un état hémiplégique, une moitié de son corps paralysé . Défiant la maladie et la solitude des malades mais restée battante elle reporte l’énergie sur sa passion et son travail de réalisatrice qui va lui permettre de surmonter son handicap et rester dans le monde des vivants ordinaires et de la création. A l’image de cette énergie dont les premières scènes du film illustrant sa rééducation, se font l’écho . De la même manière que sa soif de garder le contact avec ses collaborateurs et continuer à écrire et travailler à des projets pour rester en éveil . Et cette soif va se concrétiser, lorsque, elle voit sur son écran de télévision un homme qui vient de défrayer la chronique comme « arnaqueur de célébrités » , se confier avec un aplomb incroyable lors d’une émission. « il me le faut ! » dit à son premier assistant, la cinéaste Maud ( Isabelle Huppert ) qui tout à coup a le sentiment d’avoir trouvé le personnage principal de salaud de son film en projet . La première rencontre avec cet homme, ici prénommé , Vilko ( Kool Shen ) ne fait que confirmer cette impression . Le jeu de séduction et de défiance « je n’accepte que si j’ai pas d’essai à faire » , et la présence animale de ce dernier,font mouche. Elle a trouvé son comédien…

Dès lors l’aventure cinématographique qui commence va être parasitée par , celle , qui s’installe dans les rapports entre la réalisatrice et son comédien qui se fait de plus en plus intrusif à l’image de ses appels ou messages , via son portable . Rendant, au fil des jours et de la dépendance due à l’état de cette dernière, plus qu’ambiguë dans ses aspects quotidiens, leur cohabitation- collaboration . Elle , qui a besoin d’une présence -assistance pour se déplacer et faire certaines tâches quotidienne dont , lui , mesure et joue de la nécessité qu’il transforme en complicité qui va lui permettre d’installer son emprise, pour en faire la ( sa ) victime consentante. Au delà de cette dépendance qui permet à la cinéaste d’explorer une autre facette de la thématique sado-masochiste qui est au cœur de son œuvre dès ses premiers films, on se retrouve plongés – ici- au centre d’une analyse des rapports dominants bien plus subtile qui s’attache à comprendre, in fine, la complexité de la définition du terme « abus de faiblesse » titre du film, reflétant la nature d’une forme d’emprise dont il est extrêmement difficile de définir les raisons « c’était moi, et ce n’était pas moi… » , dit Maud qui explique avoir signé « en pleine conscience les chèques …hormis un, pour lequel j’étais sous l’effet des médicaments anti- douleurs » . Résumant dans ce constat à la fois sa lucidité vis à vis du chantage, en même temps que ce état de faiblesse qui la rend vulnérable. Mettant en lumière la difficulté d’établir, au regard de la loi, ce qui fait partie de la chose consentie et ce qui relève de la manipulation – elle – exposée à des poursuites pénales.

C’est donc, de cette ambiguïté qui finit par révéler les personnages et se faire miroir de leurs forces et faiblesses qui les entraînent dans un rapport de dépendance, que la cinéaste cherche à déceler au cœur d’une mise en scène qui fait- à la fois – dans la distance, l’épure et l’abstraction, en même temps qu’elle flirte avec les sentiments et le désir, explorant une double emprise, faite d ‘attirance et de rejet. Comme l’illustrent , les séquences de la maison en construction dans laquelle Maud s’installe et où Vilko prend racine, mais se retrouve relégué dans un vieux lit d’enfant !. Une demeure dans laquelle se révèlent par la proximité d’un enfermement souhaité , les failles d’une dépendance dans laquelle chacun s’est laissé entraîner. Elle, par son désir de se sentir vivante et créatrice par une présence rassurante dont elle croit pouvoir maîtriser les intentions , comme l’illustre la scène où elle éclate de rire au nez de son premier assistant lorsqu’il la prévient « c’est un tueur !, arrête tout de suite avec lui… ». Refusant même l’attention dont ses proches souhaitent l’entourer, choisissant de l’être par son comédien dont le travail commun au quotidien fait « qu’il était là …», dira-t-elle plus tard à sa famille cherchant à comprendre comment elle a pu se laisser entraîner dans le piège.
Et lui, dont la situation vis à vis d’une justice qui le surveille, qui fait jouer son assurance et son charme, pour se rendre indispensable aux yeux de Maud, ne laissant apparaître son vrai visage que lorsqu’il se sent en danger de rejet qui le renvoie, à ses failles. Ces états de faiblesse qui finissent par en dire long sur l’une et sur l’autre, et l’engrenage dans lequel , ils se sont laisser entraîner pour des motivations tout à fait opposées. Un jeu du chat et de la souris décrypté avec une certaine ironie , et dont l’innocence immature, fait écho à des séquelles inconscientes de ces jeux d’enfance dont le lit dans lequel est relégué Vilko, est symbolique de la sienne , qui fut douloureuse , et sur laquelle il prend une revanche. Dès lors , les éléments de la manipulation s’en trouvent éclairés dans leurs motivations profondes , servis par deux comédiens qui en traduisent toutes les subtilités . Isabelle Huppert est une fois encore prodigieuse dans cette capacité à habiter un personnage dont elle traduit à la fois par la gestuelle les séquelles de la maladie ( son bras paralysé ) et par les traits de caractère, toutes les nuances d’un tempérament dont l’énergie combative n’a d’égal que l’ironie dénuée de toute complaisance dont elle fait preuve à son égard . Et Kool Shen, venu du Rap ( NTM) qui fait ses débuts derrière la caméra , est surprenant dans un rôle difficile d’escroc dont il joue avec retenue des ambiguïtés ( Séduisant et inquiétant ) de son personnage « dans les essais il était magnifique, il émanait de lui une tension incroyable », dit de lui sa réalisatrice .

Au delà de son choix des comédiens, il y a celui d’une légèreté dont la dimension de comédie qui s’installe dans certaines scènes, fait un bel écho à la gravité. Et surtout , il y a le choix de trouver cette distance nécessaire pour faire un film qui raconte une histoire au cœur de laquelle elle a refusé de SE mettre en scène pour se justifier .« Je raconte Maud et pas moi ( …) abus de faiblesse n’a rien d’un exutoire pour moi, contrairement à ce que certains ont pu croire. Je n’ai pas besoin de ça . Pour moi , je le répète c’est un film comme un autre . D’ailleurs sur le plateau je disais toujours « elle » et « lui » pour parler des deux personnages principaux , jamais « moi ». Je n’aurais pas pu le supporter », affirme -t-elle dans le dossier de presse . Et c’est bien ce choix et cet éclairage qui rend – pour nous – le film passionnant dans ce qu’il révèle du rapport de l’artiste à la création.
(Etienne Ballérini )
ABUS DE FAIBLESSE de Catherine Breillat – 2014-
Avec : Isabelle Huppert, Kool Shen, Laurence Ursino ,Christophe Sermet, Ronald Leclerq.