VIVA LA LIBERTA de Roberto Ando.
Le nouveau film du cinéaste et romancier, remarqué pour Voyage Secret (2007), propose un autre voyage , cette fois-ci , au cœur du pouvoir. En suivant les péripéties du dirigeant de l’opposition de gauche qui crée la panique au sein de son parti en difficultés dans les sondages électoraux, en disparaissant sans donner de raisons. Dans un pays gangrené par les mensonges politiques ,le film s’attache à une belle réflexion sur l’obscurantisme du pouvoir qui n’est pas uniquement l’apanage de la société Italienne . Edifiant …

C’est cette fois-ci, à l’adaptation de son livre Il trono Vuoto ( Le trône vide ), faite en collaboration avec Angelo Pasquini au scénario , que le cinéaste s’est penché, avec la volonté de s’inscrire dans l’analyse de la société et politique Italienne de l’après Berlusconi , dont l’état des lieux se révèle désastreux comme le soulignent les premières séquences du film où l’on se retrouve au cœur d’une opposition , elle , divisée par des luttes internes et aux objectifs « flous » face aux échéances de l’alternance au pouvoir convoité. Les sondages catastrophiques en témoignent. Enrico Oliveri ( Tony Servillo , une fois encore magistral ) le secrétaire Général du parti usé par les dissensions et le spectre d’une future défaite qui ferait voler en éclat le parti , décide de créer l’électrochoc , en se retirant des débats…pour mieux se faire désirer ?. Dans les coulisses, autour de son conseiller, Andrea Bottini ( Valerio Mastrandrea, impeccable ) on s’active pour trouver des solutions à une absence qui s’éternise , et c’est Anna ( ( Michela Cescon ) la femme d’Enrico qui suggère de faire appel à son frère jumeau, Giovanni pour le remplacer et faire illusion, face à la presse et l’opinion publique .

C’est le thème de l’homme et son double qui se retrouve au cœur d’un récit où le vrai et le faux se glissent , en miroir révélateur d’une réalité politique rendue impuissante par la corruption , les mensonges et les faux-semblants dont elle a revêtu le masque, celui du pouvoir . La complexité des attitudes dissimulées derrière les personnages des deux jumeaux, comme celle du conseiller et des proches, nous entraînent vers une sorte de vertige ( folie?) où fiction et réalité semblent se juxtaposer en contradictions, dont la mise en scène, traite avec un joli recul ironique les éléments du ressort dramatique qui viennent l’enrichir . Pour lui offrir les perspectives ,qui, au delà de la seule vision idéologique de la politique , lui ouvrent les portes d’un certain romanesque faisant le « lien » entre celles-ci , et le quotidien de la vie de la cité, comme le confirme l’auteur dans le dossier de presse du film « je voulais établir un rapport entre la politique et la vie, la recherche de leur vrai sens et leur échec étroitement lié. On aimerait une politique d’action alors que la plupart du temps ça stagne, ça n’évolue pas » , dit-il. Et le film est tout entier est le reflet de cette dualité dont les deux jumeaux se font,chacun, porteurs.

Habilement Roberto Ando inscrit à la fois au coeur du réalisme, le paradoxe, le suspense et la distanciation ironique, tout aussi bien dans le récit des trajectoires des deux frères , que , dans ce que la situation inédite reflète d’une réalité politique . Et cette schizophrénie jumelle en est l’emblématique illustration servie magnifiquement par Tony Servillo dans un double rôle auquel il donne la mesure de toutes les ambiguïtés des personnalités de l’un et de l’autre . En Docteur Jeckyll et Mister Hyde de la politique . L’un, fatigué et dépassé qui espère dans une momentanée retraite en forme de retour sur soi et son passé ( les retrouvailles avec ses deux passions de jeunesse : le cinéma et un ancien amour – Valéria-Bruni Tedeschi- resté vivace ); retrouver l’énergie du combat et susciter le désir chez les électeurs qui lui ont tourné le dos. L’autre , philosophe de génie mais atteint de dépression bipolaire l’ayant conduit en asile psychiatrique , et dont le retour dans le monde des humains normaux, fait renaître en lui la combativité annihilée par la réclusion et retrouve une énergie qui se reflète dans des discours dénués de cette « langue de bois » et de ces « fausses promesses » qui ont dénaturé la crédibilité des politiques dont l’entre-soi et les compromission multiples , les ont éloignés des électeurs.

C’est donc, cet exclu dont les paroles sonnent juste , et qui, en allant à la rencontre des gens et de ceux qui se sont sentis délaissés, va faire renaître l’espoir… et « booster » les sondages . Le remède , le philosophe , le puise dans le refus du renoncement et dans la nécessité du « sursaut » démocratique, faisant référence à Bertold Brecht dont les mots reviennent dans un discours qui va galvaniser les espoirs « les ténèbres progressent , nos forces diminuent (…) l’ennemi pourtant est plus fort que jamais, ses forces ont grandi, il semble à présent invincible . Mais ,nous avons fait des erreurs. Nous ne pouvons le nier, notre discours est confus, certains de nos mots déformés par l’ennemi (…) allons nous rester à la traîne , sans pouvoir se faire comprendre ?. Ainsi tu t’interroges. N’attend pas d’autre réponse que la tienne ! » , lance-t-il à la foule , en appelant à la responsabilité individuelle et collective et au réveil des consciences nécessaire pour mettre fin a des années de tromperies qui ont conduit au pire. Au masque de la duperie il faut opposer le visage de la vérité et de l’honnêteté qui seul peut ouvrir l’espoir de mettre fin à cette crise d’époque dont le cinéaste fait, lui , le constat de ce qui la gangrène : « nous sommes tous persuadés que nous allons atteindre un point de non retour et que nous devrons tout recommencer à zéro, avec d’autres valeurs, en laissant derrière nous la dissimulation comme forme de gouvernement ou comme modèle de communication dans le milieu politique », dit-il .

On retrouve dans son film le prolongement de ce regard que le cinéma Politique Italien des années 1970 portait sur les maux de l’ Italie d ‘hier dont les films de francesco Rosi ( dont il fut l’assistant et auquel il se réfère ) ont témoigné. Mais aussi à ceux d’Elio Petri dont -ici- les dissensions au sein de l’opposition de gauche, font penser à celles du huis clos du règlement de comptes au sein du parti de la démocratie Chrétienne dans Todo Modo ( 1976) .Tandis que la « disparition » du secrétaire général du parti, offre un écho étonnant et passionnant, à celle du Pape de Nanni Moretti dans Habemus Papam , effrayé par un pouvoir dont il va devoir endosser les responsabilités. Roberto Ando, nous offre une subtile fable politique empreinte à la fois de la gravité d’un constat et de la dérision de la farce qui l’inscrit dans la tradition de la Commédia dell’Arte, dont les frères jumeaux sont porteurs.
(Etienne Ballérini )
VIVA LA LIBERTA de Roberto Ando -2013-
Avec : Toni Servillo, Valério Mastandrea, Valéria Bruni-Tedeschi, Anna Bonaiuto, Massimo
De Francovitch , Andrea renzi, Renato Scarpa, Eric Nguyen , Judith Davis , Brice
Fournier, Lucia Mascino , Giulia Ando, Stella Kent .