Braque à la Malmaison

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Lettera

Après la rétrospective de l’œuvre de Braque qui s’est terminée le 6 janvier au Grand Palais à Paris, c’est au tour du Centre d’Art de la Malmaison à Cannes d’accueillir ce peintre jusqu’au 27 avril, on pourra le suivre à travers ses 250 estampes qu’il a réalisées entre 1921 et 1963. Cette exposition Magie de l’Estampe est due à l’initiative de Frédéric Ballester Directeur du lieu et fervent admirateur de l’artiste.

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 Soupente

Georges Braque n’a cessé jusqu’à sa mort en 1963 d’être créatif en marquant à chaque étape de sa vie artistique son image des plus personnelle, sans se soucier des courants culturels, innovant dans l’utilisation des supports : papiers collés, pochoirs, sculptures, peintures sur vitraux, lithographies. Jamais fatigué par les petites querelles que les médias entretenaient entre lui et Picasso, il disait d’ailleurs à l’un d’eux pour mettre les choses au point « ce n’était pas une coopération artistique mais une union dans l’indépendance… » Son œuvre puissante est aussi liée à l’extrême amitié qu’il entretenait avec des écrivains et des poètes, l’un d’eux Jean Paulhan dira qu’il a passé la moitié de sa vie à expliquer l’œuvre de son fidèle ami, dans cette exposition, on retrouve dans ces estampes le travail en commun réalisé par le peintre et l’écrivain. S’il a séjourné dans de nombreuses régions de France, c’est sur la Côte d’Azur qu’il trouve d’autres motifs de création avec son ami  Picasso mais, même invité par ce dernier, il préfère loger chez son éditeur Adrien Maeght à St Paul de Vence plutôt qu’à Vallauris, est ce à cette époque qu’un chroniqueur fera dire à Picasso ? « Braque a copié mes colombes… ». Une chose est certaine, si ce bras de fer artistique, pourrait-on dire, a existé il ne fut que prolifique au regard de l’oeuvre de chaque artiste, côté humain ils ont eu les mêmes engagements politiques, on connaît bien sûr celui de Picasso mais peut –être moins celui de Braque qui refusa, par exemple d’illustrer Travail, Famille, Patrie version régime de Vichy.

En ce qui concerne l’exposition, Cannes propose en plus des estampes des séquences  de films d’actualité, notamment celle où l’on voit Malraux présenter l’exposition « L’atelier de Braque » au musée du Louvre en 1961, un moment rare d’ailleurs car Braque a été le premier peintre à avoir cet honneur de son vivant. Frédéric Ballester commissaire de l’exposition évoque le travail de Braque et les liens avec PicassoMalmaison 239Pourquoi avoir choisi Braque ?
FB : « Braque, ça fait partie d’un cycle à la Malmaison  que j’ai instauré sur la gravure, je l’ai commencé en 2001 avec Miro ensuite j’ai fait un gros travail autour de Masson, on avait sorti une énorme collection de ses livres illustrés. Je suis très sensible à la gravure et à tous ces métiers qui disparaissent aujourd’hui au 21ème siècle…nous n’avons plus de graveur,  plus de lithographe, ce sont des métiers qui accompagnaient le travail des peintres, il y a eu vraiment l’apogée de la lithographie et de la gravure et c’est vraiment au 20ème siècle.

En voyant les œuvres de Picasso et de Braque, peut-on dire que parfois ils ont eu la même idée ?
FB : « «Ce n’est pas qu’ils ont eu la même idée, c’est qu’ils ont considéré qu’ils pouvaient ensemble avoir un fonctionnement, ça a été le cas en 1907, c’est quand même Picasso qui a initié le cubisme avec les Demoiselles d’Avignon, mais ils se sont rencontrés, ils se sont entendus sur le fait de réfléchir à de nouvelles propositions sur le plan pictural et sur le plan des idées surtout, c’est une révolution complète. Ils se fréquentaient beaucoup, c’est la guerre de 14 qui les sépare mais il y avait cette volonté de réfléchir et de créer sur un même concept celui du cubisme, il a débouché sur ce qu’on a appeler la Cordée…quand on grimpe une montagne on s’entraide les uns et les autres, il y a eu cette relation très humaine pour aboutir à  une création, il est vrai que dans cette période là, on ne sait pas trop qui a fait les choses mais si on connaît bien l’histoire à la fois de Picasso et de Braque, on peut quand même identifier, moi je dis toujours Picasso n’est pas un peintre c’est un dessinateur et Braque n’est pas un dessinateur mais un peintre, c’est la différence qu’il y a si on prend une toile cubiste de 1912 déjà, c’est quand même lui qui va intégrer le papier peint dans le medium qu’est la peinture à l’huile, c’est lui qui quand même initie le collage et c’est surtout Picasso qui va l’exploiter. Il est beaucoup plus quelqu’un qui va toucher la matière, l’œuvre picturale de Braque est beaucoup plus chargée au niveau de l’expressivité de la technique, Picasso, si on regarde bien son travail de peintre, il n’y a pas de recherche picturale au sein de la matière, on va voir la fin de Braque, c’est un matiériste, dans la période cubiste, on va s’apercevoir qu’il y a une relation au pointillisme. »

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Hesiode

A-t-on des détails sur la technique de son travail sur le dessin et la gravure ?
FB : « Cette notion de dessinateur, c’est très important pour la gravure parce que c’est avant tout une libération, la main se libère sur la plaque de cuivre, quand on voit par exemple que Picasso, à la fin de sa vie, va faire plus de 1 000 gravures ici à Mougins, Braque n’a pas cette relation à la quantité, pourquoi parce que ce n’est pas un dessinateur c’est quelqu’un qui va se concentrer davantage, on va plutôt découvrir chez lui ce côté stylisation qu’on retrouve d’ailleurs chez Matisse. Le travail de Braque en gravure est comparable à la fin au « jazz » de  Matisse avec le découpage. On n’a plus cette notion de collage dans le travail de Braque surtout celui qui est présenté à la Malmaison actuellement, Il y a une différence, ce n’est pas une question de quantité c’est une question de rapport qu’il va avoir avec les écrivains, çà c’est très important. Il y a une période classique après la guerre de 1914, il y a ce retour au classicisme et, surtout, on redécouvre la mythologie grecque, « la suite Vollard » de Picasso et « la suite Vollard » de Braque puisque c’est Vollard qui passe une commande à Picasso à peu près à la même époque, il y a ce regard qu’ils vont porter, Braque sur le texte d’Hésiode qui est un texte fondateur de la mythologie grecque, Picasso aussi va être dans la mythologie mais spirituellement c’est très différent, ce sont deux traitements de choses totalement différentes. Picasso est un boulimique, il est dans la production alors que l’œuvre gravée de Braque est beaucoup plus pensée, elle est moins spontanée, il passe énormément de temps sur les lithos, sur certaines, il va passer 25 couleurs, s’il n’est pas content de l’une d’entre elles, sur le même aplat il va redonner 1, 2, 3, 4,5 passages afin d’obtenir une couleur pure. Evidemment, on connaît ses oiseaux fabuleux, derrière il y a ce regard, ce concept qu’il porte sur cet être libre qu’est l’oiseau, un peu comme chez Miro il y a son système de constellations. Il faut se dire que ce sont des gens qui ont beaucoup souffert du comportement des êtres humains au cours de cette période. Il ne faut pas oublier que Braque s’est retrouvé isolé pendant la guerre à Varengeville, que tous ces artistes là ont été des peintres maudits par Hitler, Miro se retrouvant en France comme un peintre dégénéré, il ne pouvait pas retourner en Espagne, il n’avait pas la capacité de partir aux Etats-Unis, c’est Braque qui lui a trouvé une maison à Varengeville et Miro s’est isolé pendant toute la guerre. Pour moi, Braque est un philosophe, c’est quelqu’un qui a quand même une réflexion sur l’humain qui est assez extraordinaire, il est aussi dans un terrain de propositions par rapport à son oeuvre, une œuvre qui a acquis sa liberté, moi c’est un langage que j’aime bien me réapproprier, ce sont des artistes qui se sont terriblement engagés pour montrer justement cet espace de liberté qu’il fallait prendre, qu’il fallait mériter aussi. »

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Ce qui est frappant chez Braque, ce sont les incessants rapports qu’il a entretenus avec les écrivains, les peintres et les sculpteurs ?
FB : « Il y a quand même une période avec le surréalisme, je pense à l’écriture automatique, cette relation directe des auteurs avec les peintres, c’est comme faire partie d’un parti, il y a des idées…on discute sur les idées, Braque Paulhan, Picasso Paulhan, Braque et Picasso ou Reverdi, c’est toute une période de regroupement de pensée, c’est une pensée unitaire donc c’est facile pour eux de collaborer et, finalement ce n’est pas s’adapter à un texte ou s’adapter au langage du peintre, c’est une pensée universelle dans laquelle tout le monde se comprend. Pour nous, c’est une plus grande difficulté de comprendre parce que l’écriture et la façon de montrer des images ont évolué. »

Que peut-on penser de la réponse de Braque à la question d’un journaliste lors de sa rencontre au Louvre avec Malraux « Je ne veux pas convaincre mais c’est la réflexion qui m’intéresse »?
FB : « Le journaliste lui dit, vous leur demandez de réfléchir et Braque répond oui, de réfléchir, de réfléchir. Malraux reprend tout de suite le flambeau pour le défendre. Il faut quand même se dire que le fait que Braque se retrouve au Louvre à l’époque, ça a été un scandale parce que c’était la première fois qu’on ouvrait le Louvre à cet Art cubiste qui n’a pas été forcément accepté tout de suite, mélanger des classiques avec des gens comme Braque révolutionnaire mais Malraux ne s’était pas trompé, il lui commande pour la salle étrusque ce plafond extraordinaire qui est composé d’oiseaux bleus dans ces ciels sydériques, bleus aussi, ça fait scandale et c’et très, très bien pour Braque parce qu’on est en 1962, il va mourir un an après, c’est un bel hommage qu’on lui a rendu. »

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Si on est un peu plus curieux sur tout ce qui touche Braque, après sa mort, hormis  bien entendu une abondante littérature, on peut constater la trace énorme qu’il a laissée auprès de nombreux créateurs qui se sont inspirés de son œuvre : la mode avec St Laurent, la cristallerie avec la maison Daum, la philatélie et même la ville de Paris avec une rue Georges Braque 1882/1963.

Jean Pierre Lamouroux

Centre d’Art : la Malmaison à Cannes jusqu’au 27 avril

Tel : 04 97 06 45 30

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