LULU FEMME NUE de Solveig Anspach
Un entretien d’embauche qui n’aboutit pas , un environnement et une pression familiale trop forte , Lulu lâche les amarres et choisit le chemin des écoliers pour renouer avec les autres , avec elle-même, et avec la vie. Par la cinéaste de Hauts les cœurs ! et de Queen of Montreuil , une fable libertaire réjouissante, librement adaptée de la Bande Déssinée d’Etienne Davodeau , et portée par des comédiens solaires …

Lulu ( Karin Viard ) mère de famille avec déjà de grands enfants . La quarantaine passée elle est au chômage et en quête d’un travail de secrétaire qui pourrait lui procurer cette dignité recherchée et une certaine indépendance qui lui permettrait – à elle femme effacée et quelque peu soumise – de se reprendre , en mains . La peur au ventre ( la belle scène d’ouverture du film dans les toilettes ), elle se rend à un énième entretien d’embauche . Dans le bureau face à un interlocuteur assez distant qu’elle tente de convaincre de sa future « dévotion à l’entreprise » si elle est embauchée, elle n’aura comme réponse que le vague « on vous écrira » et surtout une remarque déplaisante sur son aspect vestimentaire qui lui fait comprendre que c’est fichu. Quelque peu hébétée , Lulu , accuse le coup et erre comme un fantôme dans les rue de la ville, comme absente. Et puis , au cœur de son errance et du décrochage au réel devenu insupportable, quelque chose se produit : « Lulu s’aperçoit qu’elle s’est perdue en route (…) elle décide de ne plus subir sa vie mais de la vivre pleinement ( ..) elle retrouve par bribes son désir égaré, sa personnalité propre , une audace qu’elle ne se connaissait pas (…) la capacité à rencontrer les autres , à redécouvrir les sentiments… », explique en intentions , la cinéaste dans le dossier de presse du film.

La réalisatrice née d’une mère Islandaise et d’un père Américain a fait ses études de cinéma à La Fémis à Paris en 1999 , où elle vit depuis . Son cinéma reflète à la fois les mélanges de cultures et les influences Libertaires qui viennent s’insinuer dans les destinées de ses personnages pour leur offrir cette nécessaire ouverture au monde qui leur permettra de se débarrasser des carcans qui les emprisonnent. De l’échec qui la mine, comme le montre le magnifique plan de son visage liquéfié que lui reflète le miroir de sa chambre d’hôtel refuge, elle va s’en détacher comme on sort de son propre corps . Pour se laisser aller, en « femme nue » du titre, et en roue -libre sur la route , offrant son humanité généreuse et sa curiosité au hasard des rencontres d’autres « ballotés » par la vie , qui , en une sorte d’osmose de contacts , d’échanges et d’ entr’aide libérée des carcans , vont s’illuminer leurs vies. Il y a donc , Charles ( Bouli Lanners ) et sa fratrie protectrice , Marthe ( Claude Gensac ) la vieille dame qui ne veut pas « mourir seule », et cette jeune fille, Virginie ( Nina Meurisse ) , serveuse de bar harcelée par sa patronne.

C’est ce cheminement vers d’autres possibles explorés par Lulu que la cinéaste nous invite à suivre dans une découverte partagée . Et c’est surtout la tonalité et le regard qui font le prix de ce road- movie dans lequel le récit nous immerge. Au cœur d’une région , celle des pays de la Loire dont le décor en toile de fond se fait aussi le révélateur d ‘un certain état de la France profonde . Et au cœur de laquelle se libèrent les envolées poétiques et libertaires des personnages, assorties d’un humour qui fait mouche à l’image de la réjouissante séquence où Lulu accompagnée de Marthe décident de venger la jeune virginie et font irruption dans le bar de la patronne qui la martyrise !. On a beau dire , c’est le même effet que la tarte à la crème lancée au visage dans les comédies muettes d’antan . La tonalité libératrice de l’humour fait mouche et le parcours de Lulu est rempli de ce lâcher – prise , qu’il reflète. De la même manière qu’est constamment présent au fil des séquences , le regard ouvert et dégagé de tous les
a-priori qui paralysent , pour laisser place à cette nécessaire « nudité » laissant apparaître le véritable visage de soi et de l’autre . C’est ce qui rendra la rencontre avec Charles à la fois magique et bouleversante dans ce que la complicité sans entraves laisse sourdre des faiblesses et autres fragilités enfin avouées sans retenue de l’une et de l’autre. C’est le partage d’une innocence retrouvée qui crée ce lien d’une pureté indicible qui vous émeut au plus profond et renvoie la douleur et la tristesse qui vous envahit, au Loin .

On retrouve cette dimension dans les deux autres rencontres de personnes remarquables qui vont croiser la vie et le regard, enfin libre, de Lulu . Celui de la Vieille Marthe rongée par la solitude et laissée , elle , au bord de la route par la vieillesse . Une relation de protection doublement révélatrice dans ce que le futur de l’une pourrait se retrouver dan le présent de l’autre, et qui rend cet échange d’amour et de confiance nécessaire à partage, pour faire un bout de chemin ensemble . Et, nos deux -désormais inséparables – vont dès lors pouvoir se porter au secours de la jeune serveuse humiliée par sa patronne . Car pour la cinéaste, la solidarité, la fraternité sont le « lien » social essentiel , le creuset de l’émancipation et d’une force qui( re) donne envie de vivre . Les deux séquences finales qu’on vous laisse découvrir , en sont les révélatrices, dans leurs tonalités différentes. D’ailleurs on devine que c’est cette fraternité entretenue d’une équipe au service d’un projet qui offre au film la chaleureuse dimension d’une rencontre qu’on a envie de prolonger avec des personnages beaux , solaires ( on le répète) , et émouvants , dont les comédiens à l’unisson ( tous magnifiques) se fondent corps, cœur et âme dans des habits qu’ils semblent avoir toujours portés. Lulu, Marthe , Charles et Virginie sont des hommes et ces femmes fragiles, envers lesquels Solveig Anspach ouvre nos yeux embués par le voile des apparences trompeuses qui parfois, les tiennent à distance . Et si on ouvrait grands les yeux pour mieux les regarder …
(Etienne Ballérini)
LULU FEMME NUE de Solveig Anspach – Sortie Janvier 2014 –
avec : Karin Viard , Bouli Lanners, Claude Gensac, Pascal Demolon, Philippe Rebot, Marie
Payen, Solène Rigot , Nina Meurisse, Corinne Masiero, Patrick Ligardes .