Nous continuons donc un tour d’horizon des auteurs présents au Salon du polar à Drap le 1er et 2 février*, rendez-vous des amoureux de littérature noire, avec l’écrivain Romain Slocombe.

Tout d’abord illustrateur, photographe, collaborateur de fanzines et magazines de culture underground et déviante (Bazooka, Métal Hurlant), il se distingue par ses photos et ses dessins. Puis, il se met à écrire et c’est dans la case noire qu’on le range (oui, il faut des cases dans notre société). Pourtant, dès son premier roman Un été japonais, il se démarque par un ton intimiste, par un héros, Gilbert Woodbrooke, photographe, qui se retrouve toujours mêlé à des histoires qui le dépassent mais dans lesquelles, il faut qu’il plonge pour s’en sortir. Car, il y a sans doute un côté masochiste ou christique dans les héros de Slocombe… ou alors, un certain sadisme de l’auteur. Tout dépend du point de vue où l’on se place. En tout cas, le fil narratif de ses romans laisse une impression très étrange, récit noir mais sans enquête véritable. S’il repose sur les principes des ouvrages policiers ou d’aventures avec les retournements de situations, chausse-trappes, découvertes macabres, etc., ce ne sont pas ces événements qui mènent l’action mais la vie intime de son héros. Obsédé par les filles, le sexe et l’amour, il n’en reste pas moins terriblement attachant –humain cela va s’en dire quand on lit cette description ( !), mais aussi par leur ressemblance à Monsieur Tout-le-Monde.
Dans son dernier ouvrage sorti à l’automne, Première station avant l’abattoir, il pose les balises de son histoire en citant Graham Green, Somerset Maugham ou Ernest Hemingway. Ce sera donc un roman d’aventures et d’espionnage se déroulant dans la première partie du siècle précédent. Le titre est d’ailleurs emprunté à Louis-Ferdinand Céline.
Lorsqu’il avait écrit en 2011, Monsieur Le Commandant, Romain Slocombe avait beaucoup lu les romans des écrivains français sous l’occupation afin d’en saisir le style mais surtout l’esprit. Ici, il a dû donc lire un grand nombre de romans d’aventures. Pourtant – et c’est là qu’on reconnaît un auteur, Première Station avant l’abattoir ressemble bien à un roman de Romain Slocombe. Tout d’abord parce le personnage principal, Ralph Exeter est un parent éloigné à Gilbert Woodbrooke, son personnage fétiche. Il en a les traits caractéristiques, un gros penchant pour l’alcool en plus – cela vaut d’ailleurs quelques fameuses descriptions de délirium tremens.
Tout débute dans café, une critique d’art remet alors à l’auteur lui-même**, le manuscrit d’un certain Gordon Woodbrooke qui aurait été agent double pour les Soviétiques dans l’entre-deux guerres – comme le grand-père de Romain Slocombe. L’auteur l’a découvert il y a peu et cela lui a d’ailleurs soufflé l’idée du livre.
Entre ses doutes et interrogations amoureuses, l’éternel héros romantique de Slocombe se perd peu à peu dans la reconstruction politique et sociale de cette Europe qui sera le ferment du fascisme et de la Deuxième Guerre Mondiale. Car, l’auteur s’est particulièrement bien documenté sur cette période de l’histoire. Chaque détail semble véridique, des faits jusqu’aux noms des différents hommes politiques. Ainsi, autour de Ralph Exeter, gravite un écrivain américain répondant au nom d’Holloway, double fictionnel d’Hemingway qui avait, lui-même, suivi la conférence de Gènes de 1922, moment où se déroule le roman. L’explosion du chauffe-eau dans sa chambre a vraiment eu lieu.
Depuis de nombreux romans, Slocombe réussit mieux que quiconque à mêler le vrai et le faux, la réalité et la fiction. Dans L’Infante du Rock, il évoquait les musiciens Jacno et Elie de Medeiros, dans Sexy New York, le 11 septembre, dans Monsieur le commandant, la France sous l’occupation à un tel point qu’il a fallu vérifier pour se convaincre que ses personnages, notamment celui de la belle-fille n’avaient pas existé, que les films dans lesquels elle avait joué, n’avaient pas été tournés.
Marcher sur cette frontière entre l’Histoire et son histoire semble de plus en plus plaire à Slocombe conférant une dimension nouvelle à ses romans, n’hésitant pas à rendre hommage à des genres littéraires sans jamais s’y perdre. C’est la marque des grands écrivains, de ceux qui cherchent aussi, avant tout, le plaisir du lecteur.
Julien Camy
Première station avant l’abattoir de Romain Slocombe (éd. Seuil)
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** Dans une version précédente de l’article, j’avais indiqué que c’était à Gilbert Woodbrooke que l’on remettait le manuscrit. Erreur aujourd’hui corrigée mais n’a-t-on pas tendance à dire que les héros sont aussi les doubles fictionnels des auteurs…
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Attirant, dans le genre polar.