
C’est basé sur une histoire vraie. Celle de Solomon Althrup, un musicien noir et libre vivant à Saragota dans l’état de New York en 1841. Alors que sa femme et ses deux enfants le laissent seul trois semaines, il accepte de suivre deux blancs qui l’embauchent pour deux semaines afin d’animer en musique les numéros d’un spectacle. Tout juste arrivé à Washington et après une soirée arrosée, il se réveille un matin, enchaîné. Très vite, il est embarqué à bord d’un bateau et se retrouve en Louisiane, vendu par un marchand d’esclaves. Commencent alors ses douze ans d’esclavage, ballotté d’une plantation de cannes à sucre à une autre de coton – l’esclavage était un enjeu économique important, subissant coups de fouets, tortures physiques et psychiques, conditions de vie insalubre.
Lui, un homme libre devient alors une marchandise, traité pire que du bétail. C’est le récit de sa souffrance et de son combat pour sa liberté.
Le réalisateur Steve McQueen réalise là une des plus fortes œuvres sur l’esclavage, cette face obscure de l’histoire américaine que le cinéma américain a peu traité et encore moins sous cette angle. Dernièrement quelques films sont sortis sur le sujet, notamment Lincoln de Steven Spielberg et Django Unchained de Quentin Tarantino. Mais personne ne s’était encore concentré à décrire la matière même de cette situation.

Car McQueen travaille au plus près de ce qui fait le vivant, la chair. Il y a les gros plans de ces dos balafrés par les coups de fouets, de ces visages où la vie est balayée par la souffrance et les conditions d’existence, de ces corps nus que l’on montre sans aucune décence ni respect, comme des vulgaires bêtes. La profondeur du film vient bien de cette volonté de ne pas montrer juste une image choc mais un état des choses. D’aller chercher plus loin que la simple évocation. McQueen depuis ses premiers films, Hunger et Shame (œuvres beaucoup plus radicales) travaille la matière modelant par ses plans, ses cadrages très précis, les corps de ses personnages et l’univers qui les entoure. Ces corps meurtris qui souffrent, deviennent devant sa caméra des corps symboles, des corps politiques.
Ainsi, dans la séquence où Solomon est suspendu entre la vie et la mort, le réalisateur tourne autour de cette corde et de cet homme. La séquence dure longtemps. Les blancs le regardent. Les noirs évitent. Le temps passe. Le travail sur les différentes profondeurs de champ donne toute l’ampleur du drame que Solomon traverse. Tout le monde voit mais personne n’ose bouger – seule une jeune fille noire vient lui donner de l’eau. Son corps disparaît peu à peu dans le paysage, semblable à ces fougères tombant des arbres.
Par des choix précis de mise en scène, utilisant des ellipses narratives et le hors champ de manière très intelligente, le cinéma de McQueen va à l’essence brute des choses, des hommes et des émotions, qui se trouve souvent dans les détails de ce violon brisé, de ce morceau de savon, de ces relations difficiles entre les esclaves eux-mêmes… Comment exister quand on a n’a plus d’identité ? Quand on ne nous laisse plus rien construire ? Quand on a plus le droit de vivre mais juste celui de survivre ?

Filmant la forêt, les marais, cette nature omniprésente et étouffante, McQueen cherche ce sentiment d’étranglement. Ses plans ne laissent jamais d’échappatoire, ni au regard, ni aux personnages. Chacune de ses images venant apporter une touche supplémentaire à ce terrible tableau.
Car McQueen est un artiste contemporain avant tout et cela se ressent dans son cinéma. 12 Years a Slave est un bloc de souffrance où la narration se laisse engloutir par l’esclavage de Solomon qui perd le fil de sa vie. La force du film devient alors frontale. Dans ce plan où celui-ci se tourne doucement vers la caméra et regarde le spectateur au fond des yeux.
« Souvenez-vous de tout ça » semble-t-il nous dire.
Julien Camy
Note: 12 year a Slave est le grand favori pour Oscars. Chiwetel Ejiofor qui joue le rôle de Solomon est investi corps et âme dans le rôle. Face à lui, Michael Fassbender (l’acteur fétiche de Steve McQueen) – il joue ici le rôle d’un maître ignoble et sadique, est encore une fois excellent.
[…] la vie de Django Rheinardt situé en 1943. Avec Reda Kateb et Cécile de France. France 2 à 21h05 Twelve Years a slave de Steve McQueen (2013). Plaidoyer contre l’esclavage inspiré d’une histoire vraie. […]