Auteur phare de la scène « polardeuse » française, Jean-Hugues Oppel (Vostok, Ambernave, French Tabloïds, Barjot ! et bien d’autres) sera présent cette année au festival du polar de Drap qui se déroulera le 1er et 2 février 2013 à l’espace Jean Ferrat. Rencontre avec un auteur dont le regard permet une acuité lucide et pertinente sur le monde qui nous entoure…
Cette année encore, vous êtes invité à Drap ; quel est l’intérêt pour un auteur de se déplacer sur les festivals ?
Les rencontres (amis, collègues, lecteurs, etc.), le pastis, un peu de soleil en janvier, le plaisir des échanges, le pastis, vendre des livres (c’est quand même une partie de ce métier qui me fait vivre), la découverte d’un nouveau (nouvelle) collègue en écriture (qui deviendra peut-être un(e) ami(e), qui sait) dont on entendu causer – bref : le partage… et le pastis !
L’écriture, ça vous est venu « comme ça » ?
Disons, pour faire court, que c’est venu d’abord par : le plaisir de la lecture (les auteurs me passionnent – et si c’était moi qui passionnais les autres maintenant, hein ?), les romans de science-fiction des années 70 surtout ; l’envie de frimer un brin en montrant mon nom sur une jolie couverture cartonnée ; et une évidente fraternité d’imaginaire avec mon premier métier de cinéaste opérateur – puis, comme écrire des livres est plus facile (et moins cher) que de fabriquer des films…
Pourquoi le choix du roman noir (au sens large) comme moyen d’expression ?
Parce que j’ai un très mauvais fond, des idées sombres la plupart du temps, un pessimisme forcené, une propension à m’emballer devant les injustices du monde et de la société (c’est dire si je m’emballe souvent), et une éducation qui me porta très tôt à réfléchir là-dessus plutôt que de me regarder le nombril – qui est certes très agréable à contempler, mais d’un intérêt citoyen assez limité ! Et j’aime bien cette définition du roman noir qui dit qu’il s’agit de parler des gens qui sont contraints de faire des mauvaises choses pour de bonnes raisons…
Vous écrivez aussi pour la jeunesse, quelle différence dans l’approche ?
10% – pas pour mon agent, mais pour faire attention : à la langue, mes jeunes lecteurs ne maîtrisant pas encore toutes les subtilités du français (rien de plus normal) ; aux thèmes traités, pour les mêmes raisons… ce qui ne veut pas dire que je me censure : on peut (presque) tout raconter du Noir dans un polar jeunesse, mais pas tout à fait de la même manière que pour un ouvrage pour les adultes ; le maître-mot est COMPRÉHENSION, alors sans prendre mes chers petits pour des crétins, il me faut parfois simplifier et faire des impasses – mais j’ai le droit de découper les baby-sitters en rondelles !
En 1987, vous avez été aperçu à un concert de Pierre Bachelet. Vous assumez toujours ?
C’est un mensonge éhonté que j’ai maintes fois dénoncé : j’ai passé toute cette année-là à sillonner la France entière (donc pas seulement au Nord) pour trouver dans quelle salle de spectacle Plastic Bertrand devait faire (enfin) son come-back !
En tant qu’auteur, quelles sont vos influences ?
En vrac, non-exhaustif et dans l’ordre chronologique sans souci de hiérarchie : Le Club des Cinq, Fantômette, Alice, Langelot, Conan Doyle, Simenon, Zola, San Antonio, Ray Bradbury, Aldous Huxley, George Orwell, Clifford D. Simak, Pierre Pelot, Blueberry et Achille Talon, Boule et Bill, Jean-Patrick Manchette, Claude Klotz-Cauvin, Yoko Tsuno, Les Passagers du Vent, Hugues Pagan, James Ellroy, Jim Nisbet, Romain Slocombe, Fred Vargas, Stéphanie Benson, Jorn Tiel (il faut barrer le O de Jorn)… et j’en oublie !
Et quels sont vos « thèmes » de prédilection ?
Quand j’ai acheté ma maison, les affreux promoteurs immobiliers ont envahi mes pages – étonnant, non ?! Mais je travaillais déjà pas mal la vengeance personnelle (c’est très vilain mais ça fait du bien) et le triomphe des Méchants… sans que les bons ne soient récompensés, bien sûr ! Sinon, étant paranoïaque (et donc conspirationniste), j’ai beaucoup travaillé la Raison d’État et battu les allées du Pouvoir, un cycle de trois ou quatre livres auquel succédera (j’espère !) une étude (en Noir) sur l’Économie et ses dérives de plus en plus criminelles. Et je voudrais faire un essai philosophique très sérieux sur le Mal… mais, me connaissant, je sens que le sérieux de la chose s’envolera dès la page trois !
J’ai lu quelque part que le cinéma a une part importante dans votre vie… À-t-il une influence dans votre travail d’écriture, et dans quelle mesure ?
C’était mon premier métier – « était », donc de moindre importance depuis que je ne fais que l’écrivain. Son influence majeure sur mon écriture, outre le fait qu’un scénario en béton est indispensable à un (bon) roman comme à un (bon) film, c’est de me pousser à fabriquer du mieux possible des images mentales (pour ton plaisir de lire, lecteur, lectrice) rien qu’avec des mots, en appliquant (du mieux possible aussi) un vieux principe de mise en scène cinématographique : montre ce que tu ne peux pas faire dire, et fais dire ce que tu ne peux pas montrer… C’est moins simple à réaliser dans l’écriture, quand même !
Dans chacun de vos romans, le style semble recherché, travaillé, soupesé. C’est beaucoup de boulot ? Un talent naturel ? C’est en forgeant qu’on devient forgeron ? Advienne que pourra ?
C’est beaucoup de boulot d’enfer, un putain de talent naturel, qui n’est rien sans le boulot d’enfer sus mentionné qui lui-même n’est rien sans le putain de talent naturel – et réciproquement ! C’est lié, ou il adviendra rien que ne peut… mais je ne force personne à penser ainsi.
Un livre incontournable… EURÊKA STREET de Robert McLiam Wilson
Un disque immanquable… UMMAGUMMA de Pink Floyd
Une admiration secrète pour Mireille Mathieu ? Non, Mylène Farmer !
Dernier film que vous recommanderiez ? MOONRISE KINGDOM de Wes Anderson
L’adresse d’une bonne boucherie ? Mon traiteur marocain au marché de Nogent, qui fait des boulettes de viande aux épices que c’est une tuerie avec des spaghettis – j’écris ces lignes un vendredi soir… demain, marché !!!
En tant qu’auteur (mais aussi lecteur), quel regard portez-vous sur l’édition numérique ?
Là, je confesse ma génération dinosaurienne : en tant que lecteur, je répugne à lire sur tablette… sans doute par principe ! L’électronique ne fera pas lire quelqu’un qui ne lit pas, je crois, mais permet au lecteur fervent d’emporter sa bibliothèque avec lui, c’est vrai, et de la perdre s’il fait tomber sa tablette qui se casse ! Un livre, ça se ramasse… En tant qu’auteur, même punition générationnelle ; j’ai sans doute tort, je sais, mais on ne se refait pas.
Et en tant que moi, auteur et lecteur, je rappelle qu’une belle connerie écrite à la plume d’oie, tapée à la machine ou imprimée à grands jets d’encre, imprimée ou mise en ligne, c’est d’abord une belle connerie !
Propos recueillis par Fabrice Rinaudo
[…] de Robert Audiffren à Michel Tourscher. Parmi eux, certains reviennent comme Jean Hugues Oppel (lire son interview), Romain Slocombe (L’an dernier, Monsieur le commandant : roman sous forme de lettre de […]