LES SORCIERES DE ZUGARRAMURDI de Alex de la Iglésia.
Le nouveau film du réalisateur de Balada triste de Trompeta s’inscrit dans la droite lignée d’une œuvre où le grotesque et les codes des genres , parfois détournés, s’inscrivent comme éléments d’une esthétique assumée. Les sorcières de son dernier film qui nous invitent au bal d’un déchainement gothique et fantastique en apportent la preuve, et, la dérision qui s’installe dans le récit offre sa démesure et sa folie dévastatrice , au spectacle ...

La place de la Puerta del sol de Madrid est le théâtre du braquage d’une bijouterie par une groupe d’hommes parmi lesquels , José (Hugo Silva ) le meneur, et son complice Antonio ( Mario Casas) qui après leur forfait , poursuivis par la police, vont prendre la fuite vers la France en s’emparant d’un taxi et de son chauffeur, Manuel ( Jaime Ordonez ) … leur échappée belle sur la route sera détournée vers le village millénaire de Zugarramurdi où ils vont être confrontés à une famille de sorcières dont ils vont devenir les proies destinées à une cérémonie d’offrande . Dès la première séquence, Alex de la Iglesia, annonce la couleur avec le spectacle de marionnettes des rues dont ses héros revêtent les habits, dans le but de détourner l’attention pour masquer le braquage. Mais , subtilement, déjà , au cœur de cette mise en scène il insère un autre détournement via cette vieille prédicatrice qui sur la place se fait annonciatrice des maléfices passés… et à venir . Dès lors le film qui installe un double » leurre » , va forcément entraîner les spectateur dans la dérive fantastique annoncée dans laquelle la « cavale » emprisonne inexorablement les héros. Une dérive où l’humour noir se mêle à un fantastique décomplexé , où l’horreur et la folie dévastatrice font écho à une guerre des sexes où le sclapel de l’outrance et de la farce macabre se fait miroir de la misogynie et du machisme … dont les relans d’un passé trouble sont encore présents.

Les outrances , Alex de la Iglésia les fait siennes et elles sont même une forme de provocation dans laquelle s’inscrivaient déjà les films de « la movida » réalisés par cette génération des cinéastes Espagnols amoureuse du cinéma issue de l’école des Ciné-Clubs , dans laquelle il s’inscrit dans la continuité dès 1992 avec son premier film Action Mutante , financé par Pédro Almodovar où son goût du baroque assaisonné d’humour noir décalé, est déjà présent , en même temps que sa propension aux parti-pris totalement assumés d’une mise en scène dont la provocation, est le moteur destiné à dynamiter de l’intérieur les thèmes ( comme ici ceux de la misogynie et du machisme ) dont on pourrait croire qu’il les fait siens !. Pourtant , il suffit d’être attentifs au dialogues et au décalage d’un récit qui inscrit au cœur de sa dynamique , le recul de cet humour noir qui y fait écho… et les tient justement à distance. A l’image des répliques de la scène finale qui apportent le contrepoint nécessaire, après l’ahurissante scène du spectacle de la cérémonie sacrificielle dans la grotte, organisé par Graziana ( Carmen Maura, maléfique à souhait!) où la déesse de la terre s’invite , en Guest Star!!! . C’est le carnaval d’une certaine démesure que le cinéaste assume jusqu’au bout , pour faire sourdre justement de celui-ci , la satire d’une certaine hystérie dont les échos contemporains , trouvent leur ( s) origine( s) , dans le passé et l’histoire Espagnole .

Ce qui frappe , en effet , dans les films du cinéaste , c’est souvent la référence à un passé lointain ou plus proche qui vient faire écho au présent et poursuit ses personnages . C’était le cas dans Balada triste ( 2010) où le spectre de la violence de la guerre civile était au cœur de la destinée des héros. De la même manière que dans 800 Balles ( 2002 ), la nostalgie des anciens cascadeurs de cinéma ayant joué dans les westerns tourné près d’Almeira dans les années 1960, sera le moteur de leur « union » pour s’ opposer ( à la manière des justiciers des westerns ) aux promoteurs et à leur œuvre de démolition de leur ville. Pour en revenir à nos sorcières en question ici, et au village de Zugarramurdi, le cinéaste l’a choisi en référence à un passé qui l’a lié à la sorcellerie dans les Années 1610 où il fut en effet le théâtre d’un autodafé au cours duquel onze personnes furent condamnées à mort pour actes de sorcellerie par le tribunal de l’inquisition et périrent sur le bûcher , et dont les noms de certaines de ces victimes figurent sur une plaque dans la grotte située prés du village et théâtre de Sabbat et réunions païennes . La référence explicite de la séquence finale de la cérémonie dans la grotte avec sa démesure, est donc bien un « lien » assumé par le cinéaste . Et le fantastique et l’humour qu’il emploie pour décrire cette « guerre des sexes » au cœur de son récit , dont les excès renvoient, et font écho, à ceux des procès en sorcellerie du passé , liés au une inquisition religieuse en guerre contre les manifestation d’un mal, qu’elle voyait caché partout !. Des excès qui ont façonné , d’une certaine manière, certains comportements qui perdurent dans la mémoire collective.

On peut ne pas aimer les parti-pris de mise en scène du cinéaste , mais on peut aussi lui reconnaître l’originalité de son regard et sa manière d’investir les codes du genre en y intégrant ces éléments d’un culture et de l’histoire d’un pays et lui offrent l’opportunité d’une exploration qui est loin d’épouser, l’ambiguïté qu’on lui prête parfois. L’art de la surcharge, n’étant pas forcément synonyme d’aveuglement sur un point de vue , mais peut se faire le reflet d’une complexité explorée dans tous ses aspects qui peuvent permettre de l’éclairer pour ne pas la réduire a des slogans dévitalisés de leur matière profonde . C’est ce que suggère la référence à la sanglante hécatombe des procès en sorcellerie , dont le dossier de presse du film fait le bilan « au moyen âge un demi- million de sorcières périrent sur les bûchers , furent noyées au pendues . Ces actes barbares ont laissé dans notre inconscient collectif , l’idée que la sorcière était coupable d’actes maléfiques . Pourtant les sorcières du moyen-âge étaient dans plusieurs cas, l’unique médecin du peuple. Elles étaient, aussi, parfois des sages-femmes , des herboristes, des prophétèsses, des femmes clairvoyantes…», y est-il epliqué .
(Etienne Ballérini)
LES SORCIERES DE ZUGARRAMURDI de Alex de la Iglésia – 2013-
Avec : Carmen Maura ( Graziana), Hugo Silva ( José), Mario Casas ( Antonio), Carolina Bang
(Eva), Gabriel Delgado ( Sergio), Jaime Ordonez ( Manuel), Terele Pavez ( Marichu )…