FRUITVALE STATION de Ryan Coogler
Le jour de l’an 2009, la station de métro « Fruitvale » d’Oakland fut le théâtre d’une bavure policière au cours de laquelle un jeune homme noir fut abattu d’une balle dans le dos . De violentes émeutes éclatèrent à l’issue de celle-ci. Ce premier film du jeune cinéaste qui a écrit et mis en scène le récit des Vingt-Quatre heures qui ont précédé le drame, a été remarqué dans de nombreux Festivals ( dont à la Section Un certain Regard , Cannes 2013) et Primé ( Grand Prix du Jury et du Public ) à celui de Sundance.

Le drame qui coûta la vie à un jeune noir originaire de San Francisco, Oscar Grant ( Michaël B. Jordan ) alors que la fête de la nuit du nouvel An, se déroulait dans une ambiance multi-raciale très bon enfant, fut filmé par des téléphones portables de nombreux témoins, et se retrouva rapidement sur les réseaux sociaux , déclenchant une vive indignation et une réaction qui ne le fut pas moins dans les quartiers noirs , où les émeutes éclatèrent. Le film du jeune cinéaste noir ( 28 ans ) débute d’ailleurs par ces images dans le but de l’inscrire dans cette « actualité » brûlante révélatrice des « maux » et tensions Raciales qui minent la société Américaine. Et le choix d’en répercuter les questionnements qu’elle soulève s’inscrit dans la continuité , avec cette volonté du cinéaste et de son récit , de « coller » au plus près au quotidien et du vécu de ce jeune homme d’une génération dont les rêves et les vies, comme la sienne , ont été brisées .

Le parti-pris de le suivre par la forme d’un récit construit sur l’unité de temps , celle des dernières 24 dernières heures de la vie d’Oscar Grant, est une belle idée fictionnelle offrant à la mise en scène qui la sert , réalisme et naturalisme , en même temps que ce concentré nécessaire qui lui permet la concision d’une montée dramatique jusqu’au moment crucial dont on connaît, malheureusement l’issue dramatique. Mais le choix qui y conduit offre l’opportunité ( voulue par le cinéaste qui est aussi l’auteur du scénario ) au spectateur, de se retrouver aux côtés du jeune homme et de le suivre dans son intimité familiale , comme dans son cheminement extérieur pour se sortir d’une situation difficile qui est celle que traversent – et à laquelle sont confrontés – des milliers de jeunes « blacks » des quartiers défavorisés. On pense, aux premiers films de Spike Lee, ou encore à ces gamins des rues de Boyz’n the hood de John Singleton (2008 ) .

Et cet itinéraire Ryan Coogler, le construit au travers d’un regard se faisant le reflet – miroir d’une double réalité dont Oscar Grant , est , l’emblématique héros tragique. Et à cet égard le portrait est tout aussi , émouvant et fraternel ( brother ) dans ce qu’il révèle des zones d’ombre , que dans celles où il le montre fragile et touchant dans les relations intimes avec ses proches. Magnifiques de tendresse, ces séquences d’intimité familiale avec sa femme ( Mélonie Diaz ) et sa fille de quatre ans , et cette grand-mère ou cette mère ( Octavia Spencer ) dont les plats sont à tomber !. Ryan Coogler rend même les petits secrets et mensonges de famille, touchants dans ce qu’ils reflètent d’une certaine complicité.
Mais c’est aussi la complexité de l’homme que le cinéaste pointe comme conséquence d’un contexte social dans lequel il a vécu et qui en avait fait, ce dealer ( la scène de flash-back sur son passage en prison ), et ce père indigne qui souhaite désormais , sincèrement , tourner la page sur son passé. La fête du nouvel An à laquelle il s’est rendu et de laquelle il revient , devait être celle d’un nouveau départ … dont l’arrêt à la « Fruitvale Station » va anéantir le rêve .

Ryan Coogler distille au fil des séquences du concentré d’une journée un regard aussi implacable que sensible sur une réalité sociale, économique et politique au cœur de laquelle Oscar Grand et sa destinée, sont immergés. Le cinéaste qui joue habilement de l’identification, n’en ménage pas pour autant son héros dont il décrit les zones d’ombres en même temps que cette volonté d’en sortir … qu’il n’aura pas eu le temps de mettre en pratique. Et c’est ce « possible » dont il aura été privé qui est à nos yeux, la belle idée du film, et que le cinéaste fait percevoir … comme une poignante interrogation qui , au delà du geste meurtrier condamnable , interpelle la société toute entière sur ces « possibles » en forme d’espoir d’un parcours qu’ Oscar Grant n’aura pas eu malheureusement , le temps d’explorer …
(Etienne Ballérini )
FRUITVALE STATION de Ryan Coogler -2013-
Avec : Michaël B. Jordan , Melonie Diaz , Octavia Spencer .
Sélection Section Un certain Regard , Cannes 2013 , Festival de Deauville
Prix du Jury et du Public au Festival de Sundance ( Usa)